US (Critique)

Jordan Peele moitié du duo comique de la chaîne Comedy Central Key & Peele avait frappé un grand coup en 2017 pour son premier film Get Out sous les auspices de la maison Blumhouse (Sinister, the Purge, Split) qui  remporta un triomphe à la fois public et critique allant jusqu’à décrocher l’Oscar du scénario original. Une telle réussite dés son premier long-métrage place son auteur devant un dilemme souvent insurmontable pour son second film : prouver que ce succès n’est pas le fruit du hasard en produisant une oeuvre qui doit être à la fois aussi percutante mais assez différente pour ne pas apparaître comme une copie en trouvant des éléments qui feront la marque d’un véritable style. Avec Us , son nouveau thriller horrifique qui met une famille Gabe (Winston Duke) et Adélaïde Wilson (Lupita Nyong’o) , leurs deux enfants Zora (Shahadi Wright Joseph) et Jason (Evan Alex)  aux prises avec un groupe de mystérieux inconnus de plus en plus hostiles lors d’un séjour dans leur maison de vacances, la dernière partie du contrat est pleinement remplie. Peele revisite la figure du body-snatcher et du double maléfique à travers un mélange des codes du film de « home-invasion » ou d’apocalypse zombiesque désormais familier du public contemporain. On retrouve un mélange d’éléments déjà présent dans Get Out qui définissent le style Peele : une intrigue qui part d’une situation étrange créant un climat anxiogène où le fantastique sert de vecteur à un commentaire social à la manière de la série Twilight Zone (dont Peele immense fan de Rod Serling produit et présente une nouvelle version pour CBS All Access), un travail sur les cadres minutieux qui rappelle John Carpenter, un gout pour les « expériences interdites », la paranoïa, des moments surréalistes et bien-sur un humour toujours présent. Ainsi si Get-out a été salué pour l’acuité de son commentaire sur les relations raciales aux USA, Peele reste fidèle au genre fantastique même si Us possède aussi un sous-texte sociétal.

La métaphore de Us couvre un spectre plus large que celle de Get Out, ces doubles émergents pour prendre notre place symbolisent aussi bien les laissés pour compte de nos sociétés d’opulence que l’on refuse de voir que cette part de nous-même que l’on cache derrière notre masque social. Ils représentent tout ce que l’on rejette de notre nature, notre culpabilité individuelle mais aussi en tant que société. Us interroge la société américaine sur les rapports de classe (à travers le couple d’amis incarnés par Elisabeth Moss et Tim Heidecker) et sur les divisions de plus en plus profondes qui la traversent. Ainsi une des premières réponses sur leur identité que donnent ces doubles n’est elle pas « Nous sommes américains » ? Le message est clair dans cette Amérique qui a peur de cet «autre» qui vient pour tuer ou voler des emplois le véritable ennemi est avant tout intérieur. Quand Peele cadre en très gros plan le visage de Lupita Nyong’o dévoré par ses grands yeux si expressifs, comme il le faisait avec Daniel Kaluuya dans Get out le regard qu’il porte se fait plus ambigu. Us est moins manichéen que Get Out, plus mystérieux, plus ouvert à l’interprétation. La frontière entre les héros et les monstres est moins claire quand ils partagent le même visage.

La double performance de Lupita Nyong’o en Adelaide et Red tout à la fois physique, vocale et émotionnelle porte le film. Elle est tout aussi émouvante en mère protégeant sa famille que stupéfiante en double malveillant aux mouvements d’insectes et à la voix rauque. Elle devient de plus en plus vibrante à mesure que les deux femmes s’affrontent et que la nature de leur lien devient plus clair. Dans le rôle de son mari Gabe, Winston Duke (Black Panther) dont la principale inspiration fut la personnalité de Peele lui-même, parvient à faire oublier son physique de colosse et compose un personnage chaleureux enthousiaste et plein d’humour qui donne son humanité au film. Le contraste avec la brutalité et le coté inquiétant de son double n’en est que plus frappant. La jeune Shahadi Wright Joseph qui incarne leur fille est aussi juste en ado blasée qu’en créature rejoignant le panthéon des enfants démoniaques les plus inquiétants du cinéma. ElizabethMoss (Handmaid’s tale) a peu de temps devant l’écran, mais montre tout son génie quand elle incarne son double meurtrier.

Issu lui-aussi de la même weird-science façon pulps que celui de Get Out le concept derrière les doppelgängers de Us, si il est plus ambitieux est aussi moins cohérent . Sans parler des éléments volontairement inexpliqués qui participent de sa mythologie (Pourquoi la main droite gantée, la tenue rouge ou les ciseaux ?) les détails sur ses concepteurs et leurs buts sont beaucoup plus flous que les motivations des procédures psycho-chirurgicales de la famille Armitage. Comme Get Out, Us s’ouvre sur un événement traumatique qui a marque la protagoniste du film et après un générique inquiétant et mystérieux ( un thème anxiogène de Michael Abels qui mélange des chants latins façon the Omen de Jerry Goldsmith à des polyphonies africaines en swahili ) et l’introduction de ses protagonistes Peele fait monter la tension par une accumulation de détails inquiétants, de coïncidences troublantes qui installent une atmosphère pesante sur cette villégiature. Cette montée de la tension atteignant son crescendo avec l’irruption des doubles. L’enchaînement des séquences de terreur est alors moins fluide que dans son premier film où elles ponctuaient le chemin vers la révélation finale. Us a un rythme plus erratique, alternant des séquences diaboliquement construites, pleine de violence sanglante et de folie surréaliste mais qui semblent parfois déconnectées les unes des autres, parfois répétitives . L’humour fonctionne à travers les réactions de Gabe et des enfants à certaines situations extrêmes mais son intégration est moins habile car la situation dégénère si rapidement qu’il semble parfois déplacé.

Us est en revanche formellement plus abouti que son prédécesseur , Peele et son directeur de la photographie Mike Gioulakis devenu en l’espace de cinq ans l’architecte de l’imagerie fantastique américaine avec son travail sur It Follows, Split ou Get Out, conjurent à l’écran des images sublimes ou terrifiantes qui ont souvent la texture des rêves … et des cauchemars. Le pas de deux gracieux et violent dans lequel s’engagent Adélaïde et Red sur les pulsations d’une version orchestrale du I Got 5 on It de Luniz constitue le sommet de leur collaboration. Le travail du compositeur Michael Abels qui évoque le meilleur des compositeurs des 70s contribue à l’atmosphère anxiogène de l’ensemble.

Conclusion : Si sa structure est plus lâche et son rythme plus inégal que ceux de Get Out, on tient avec Us relecture de la figure du double maléfique la confirmation Jordan Peele est un véritable auteur du fantastique moderne. Parcourus moments de tensions intenses , porté par le jeu de Lupita Nyong’o sublimé par la photographie de Mike Gioulakis, Us constitue bien le haut du panier du fantastique américain.

Ma Note : A-

Us de Jordan Peele (sortie le 20/03/2019)

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