BIG TROUBLE IN LITTLE CHINA (1986)

Quand Big Trouble in Little China débarque sur les écrans américains à l’été 1986, la quatrième collaboration de John Carpenter avec son interprète fétiche Kurt Russell – après ElvisEscape from New York et The Thing – s’avère être un échec cuisant. Les spectateurs sont déconcertés par ce mélange improbable de comédie, d’action, de kung-fu et de fantômes chinois, préférant se tourner vers des blockbusters plus évidents comme Aliens ou Top Gun. À l’origine conçu comme un western par le co-scénariste de Total RecallGary Goldman, le film est adapté à l’époque contemporaine par W.D. Richter, l’auteur d’un autre mashup de genres devenu culte, Les Aventures de Buckaroo Banzaï à travers la 8e dimension. Les aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin connaissent ainsi une genèse compliquée, avec un temps de production réduit pour devancer la sortie d’un autre film d’aventures « orientales », Golden Child avec Eddie Murphy. De plus, les cadres de la Fox peinent à comprendre le caractère peu héroïque du protagoniste principal, alors qu’ils espéraient un héros d’action dans le moule d’Indiana Jones. Finalement, le film quitte les salles sans avoir pu établir de connexion avec les spectateurs, mais il parviendra à le faire avec le temps, devenant ainsi une œuvre culte.

L’histoire suit un conflit séculaire entre des factions belligérantes de guerriers chinois surpuissants utilisant la magie (la plus sombre !). Pour maintenir leur domination sur la planète, le sorcier Lo-Pan doit s’emparer de deux jeunes filles aux yeux verts. Le cow-boy urbain Jack Burton, camionneur de son état, débarque au cœur de ce conflit tel un chien dans un jeu de quilles, ou plutôt comme John Wayne dans une production des Shaw Brothers. Les aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin est clairement en avance sur son temps, ce qui explique à la fois son échec à sa sortie et sa longévité par la suite. John Carpenter, l’auteur d’Halloween, a sans doute eu l’inspiration géniale que l’hybridation du film d’action américain et du Wu Xia Pian pourrait revigorer le genre. Pourtant, en 1986, le public américain n’est pas familier avec les codes des films asiatiques, et l’utilisation des câbles et de Zu, les guerriers de la montagne magique, une des inspirations visuelles majeures de Carpenter, ne sont connus que d’un petit cercle d’initiés fréquentant les festivals. La confusion du public est d’autant plus grande que le réalisateur de The Fog transforme le film en une satire de la figure du héros américain – certains diraient même une déconstruction. Il attaque le mythe du « sauveur blanc » avec ce héros autour duquel la promotion du film est construite. « Who is Jack Burton ? » claironnent les affiches promotionnelles de la Fox, et la réponse est claire : personne dans le récit ne se préoccupe de cet intrus blanc, qui, malgré ses airs fanfarons, se révèle être un gaffeur plutôt pleutre, complètement dépassé par les événements. Il doit régulièrement être secouru par Wang Chi (interprété par Dennis Dun, qui avait impressionné Carpenter dans L’Année du dragon de Michael Cimino), présenté comme habile et héroïque. Carpenter inverse ainsi sciemment la dynamique classique du héros blanc et de son acolyte issu d’une minorité, faisant de Jack Burton le sidekick du véritable héros du film, Wang.

Cette note d’intention satirique est parfaitement incarnée par Kurt Russell, qui offre un pastiche du jeu de John Wayne, l’archétype sur lequel s’est construite la figure du héros américain depuis trois décennies. Ce choix souligne en quelque sorte le début de la fin de son hégémonie sur l’imaginaire mondial. Cependant, ce message reste inaudible pour le public américain et les producteurs de l’époque, plongés dans les années de Reaganisme triomphant. Jack Burton sert de substitut au spectateur occidental non-initié, posant sans cesse des questions sur les événements, les mythes et les coutumes asiatiques. Ce personnage, à la fois comique et maladroit, permet au public de naviguer dans cet univers culturel étranger tout en soulignant son propre décalage. Il est également important de noter qu’à une époque où la représentation était souvent un enjeu, Kurt RussellKim Cattrall et Kate Burton sont les seuls acteurs non-asiatiques du film, ce qui accentue encore davantage la singularité de cette œuvre. En intégrant des éléments de satire et en renversant les stéréotypes, Big Trouble in Little China devient ainsi un film à la fois avant-gardiste et révélateur des tensions culturelles de son temps.

John Carpenter prend grand soin, malgré les aspects folkloriques et serialesques du film, d’éviter les clichés racistes. Il réalise une passe sur le script pour en supprimer les éléments offensants pour les Chinois et fait appel à quelques-uns des plus grands noms de la scène asiatique américaine : Victor Wong, le vétéran James Hong, ainsi qu’une pléthore de vétérans des films de kung-fu, dont Dan Inosanto (partenaire d’entraînement de Bruce Lee), son élève Jeff Imada (devenu célèbre comme coordinateur de combats et doublure de Brandon Lee après son décès sur le tournage de The Crow), James LewGeorge CheungAl Leong (que vous avez pu voir mourir dans L’Arme FataleDie Hard, et même tué par un cornet de glace dans The Last Action Hero), et Gerald Okamura. Ces acteurs composent des personnages mémorables, à l’image de l’iconique méchant Lo-Pan, incarné par James Hong, dont le look et les intentions évoquent le célèbre Fu-Manchu de Sax Rohmer. Les Trois Tempêtes, ses hommes de main magiques, deviennent également l’un des éléments les plus identifiables du film, ajoutant une touche de fantaisie et de mystère à l’intrigue. Grâce à cette attention portée à la représentation et à la diversité des personnages, Big Trouble in Little China parvient à transcender les stéréotypes tout en offrant une expérience cinématographique riche et divertissante.

Une grande partie de la réussite de cet improbable mélange des genres repose sur Kurt Russell, qui parvient à incarner à la fois la lâcheté et le charisme, tout en présentant une vulnérabilité affable, même lorsqu’il tente d’endosser le rôle du héros. Ce mélange d’agressivité machiste et de ridicule presque absurde lui permet de rendre crédibles les éléments les plus fantastiques du film, même lorsque le scénario devient de plus en plus étrange. Comme à son habitude, John Carpenter exploite son cadre anamorphique pour construire le suspense, servi pour la dernière fois par les images superbes de son directeur de la photographie « historique », Dean Cundey, avant qu’il ne soit définitivement coopté par les productions Amblin. Ce dernier tire le meilleur parti des effets visuels astucieux, qui combinent des effets optiques du maître Richard Edlund et des maquillages spéciaux de Steve Johnson. L’aspect cartoonesque de ces effets contribue à l’esthétique intemporelle du film. Bien qu’il vacille légèrement dans le final, Carpenter et ses monteurs Edward A. Warschilka (Running Man) et Steve Mirkovich (Les ailes de l’enfer) impriment un rythme enlevé qui confère au film une véritable énergie cinétique, propulsant le spectateur dans une expérience immersive et palpitante. Ce dynamisme, allié à une narration inventive, permet à Big Trouble in Little China de rester gravé dans les mémoires comme une œuvre unique et audacieuse.

Conclusion : John Carpenter est l’un des rares cinéastes à avoir réussi un mélange aussi audacieux de genres, alliant comédie, action et aventures tout en intégrant des éléments surnaturels et l’influence du cinéma hongkongais. Visionnaire, il a tenté d’introduire cette sensibilité unique dans un blockbuster, créant ainsi une œuvre véritablement originale et inoubliable.

Ma Note : B+

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