JFK (1992)

Trente-quatre ans après sa sortie, JFK demeure, avec Platoon, l’un des films les plus puissants d’Oliver Stone. Ce thriller politique d’une ambition vertigineuse, où l’enquête se transforme en quête de vérité quasi mystique, continue de marquer les esprits. Le film réunit un casting hybride, mêlant icônes du vieux Hollywood (Jack Lemmon, Donald Sutherland, Walter Matthau) et figures montantes des années 1990 (Kevin Costner, Gary Oldman, Kevin Bacon). Cette fusion confère au récit une dimension mythologique, accentuée par un montage audacieux qui entrelace archives, reconstitutions et visions subjectives. L’une des forces du film tient à l’incarnation de Kevin Costner — alors révélé par Les Incorruptibles — dont la droiture tranquille apporte une gravité presque messianique à l’enquête. Pourtant, celle-ci n’atteint jamais le cœur de l’assassinat. C’est plutôt le monologue fictif de Donald Sutherland qui laisse une empreinte indélébile. Cette plongée dans la théorie du coup d’État agit comme une révélation des mécanismes occultes du pouvoir. Au fond, la véracité importe peu ; comme le disait John Ford : « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende. » Stone transforme l’histoire en mythe, et ce mythe résonne bien au-delà du générique.

Le point de départ de JFK remonte aux années 1980. En 1987, le journaliste Zachary Sklar rencontre Jim Garrison, le procureur de La Nouvelle-Orléans qui a mené la seule poursuite publique liée à l’assassinat de Kennedy. De leur collaboration naît On the Trail of the Assassins (1988). Stone, qui découvre le livre à Cuba, en acquiert personnellement les droits. Il y adjoint Crossfire: The Plot That Killed Kennedy de Jim Marrs, assumant dès le départ que son film ne serait pas un biopic, mais une investigation engagée. « On ne combat pas toujours un mythe sans créer un contre-mythe », affirme-t-il. Warner Bros accepte le projet, doté initialement de 20 millions de dollars. Le budget sera revu à la hausse devant l’ampleur du sujet. Stone, déjà auréolé des succès de Platoon et Born on the Fourth of July, aborde le tournage en réalisateur provocateur. L’affaire Kennedy, « signal de la génération de l’après-guerre », devient un terrain de cinéma et de questionnement. Le film ne pose pas seulement la question « qui a tué Kennedy ? », mais « pourquoi ? » et « qui détient le pouvoir derrière les apparences ? ». Il s’inscrit moins dans une logique de reconstitution que dans celle d’une mosaïque cherchant la vérité à travers les théories, les archives et la mémoire. L’influence de Stone est double : historique et formelle. Du côté politique, il s’inscrit dans la lignée des films comme Les Hommes du président, interrogeant la démocratie et le pouvoir. Sur le plan formel, il revendique l’héritage de Z de Costa-Gavras, où un fait politique est éclairé sous plusieurs angles, et de Rashōmon de Kurosawa, où la vérité dépend des points de vue. Stone reprend cette structure fragmentée pour faire de l’assassinat de Kennedy une brèche dans l’histoire américaine. La frontière entre documentaire et fiction devient poreuse, participant autant à l’efficacité du film qu’à sa controverse.

Dans la filmographie de Stone, JFK occupe une place charnière. Après Platoon et Born on the Fourth of July, qui explorent la guerre et la nation, il déplace le regard vers les coulisses du pouvoir. Ce film annonce Nixon (1995) et W. (2008), formant une trilogie officieuse sur la présidence et ses zones d’ombre. Stone y atteint une maturité nouvelle : il ne se contente plus d’évoquer l’expérience individuelle, mais interroge les institutions et l’histoire collective. JFK est l’œuvre d’un cinéaste qui assume la complexité et la contradiction. Le casting reflète ces ambitions : dense, intergénérationnel, alliant stars montantes et vétérans. Kevin Costner incarne Jim Garrison avec une assurance tranquille qui sert de point d’ancrage face au chaos narratif. Donald Sutherland, dans le rôle fictif de « Mr X », offre une prestance oracle, tandis que Gary Oldman donne à Lee Harvey Oswald une inquiétante spectralité. Les seconds rôles (Jack Lemmon, Walter Matthau, Joe Pesci) forment une mosaïque où chaque visage porte sa part de vérité et de manipulation. L’ensemble confère au récit une portée collective et mythique.

La mise en scène de Stone est experte et audacieuse. Dès l’ouverture, le film mêle archives, extraits de journaux et reconstitutions, instaurant un sentiment de bascule dans le passé et l’inconnu. Le directeur de la photographie Robert Richardson utilise une texture hybride : noir et blanc, Technicolor, images altérées. La scène de l’assassinat à Dealey Plaza devient un cauchemar revisité sous divers angles, une discontinuité maîtrisée qui évoque l’inaccessibilité de la vérité. Stone expérimente l’enquête comme une quête visuelle, renforçant sa dimension mystique. Le montage, signé Joe Hutshing et Pietro Scalia (Oscar du meilleur montage), est un atout majeur. Frénétique et hypnotique, il alterne tension et contemplation. La séquence de l’assassinat, déconstruite en un flux de ralentis, superpositions et extraits du film de Zapruder, devient une expérience sensorielle et intellectuelle. Le rythme épouse la logique du questionnement : lent, chaotique, mais toujours électrisant. L’enquête reste inachevée, et c’est cette quête sans fin qui nourrit l’impact du film. La bande-son de John Williams participe pleinement à la dramaturgie. Le thème principal, hymne funèbre à la trompette, mythologise la figure de Kennedy. Mais la partition alterne solennité et dissonance, avec des cues rythmées et inquiétantes qui traduisent la paranoïa et le doute. La musique source (jazz de La Nouvelle-Orléans) ancre le film dans son époque, tandis que les contrastes orchestraux renforcent le paradoxe entre reconstitution et artifice. La musique ne se contente pas d’accompagner ; elle orchestre le récit et son malaise.

L’héritage de JFK est multiple. Cinématographiquement, c’est un jalon du film politique des années 1990, à la fois ambitieux et populaire. Culturellement, il a relancé l’intérêt pour l’affaire Kennedy et contribué à l’adoption du President John F. Kennedy Assassination Records Collection Act en 1992. Le film a changé la mémoire bien plus que l’histoire. Formellement, il a inspiré une génération de récits hybrides mêlant fiction et archives. Aujourd’hui encore, il reste d’actualité à mesure que de nouveaux documents sont déclassifiés.

Conclusion, JFK est bien plus qu’une enquête sur un assassinat. C’est une méditation sur la vérité, le pouvoir et la fabrique des mythes. En fusionnant ambition politique, forme novatrice et casting idéal, Stone signe un manifeste cinématographique et critique. On peut lui reprocher ses excès ou ses libertés avec les faits, mais sa force réside justement dans sa dimension légendaire. Trente-quatre ans après, JFK reste un film mythe — et l’une des œuvres les plus marquantes de son auteur.

Ma Note : A

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