
Bonne nouvelle, Captain America: Brave New World n’est pas un mauvais film. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il n’est pas un très bon film non plus. C’est une œuvre frustrante, car elle regorge de potentiel, mais souffre d’une exécution maladroite. On sent que le studio, échaudé par les échecs récents de certaines productions, prend systématiquement les décisions les plus sécuritaires. Captain America: Brave New World copie servilement la structure de Captain America: The Winter Soldier, alignant des séquences et des dynamiques en miroir de celles du film des frères Russo, mais sans jamais retrouver le même impact. Le casting n’est pas en cause Anthony Mackie a suffisamment de métier pour donner de l’épaisseur à Sam Wilson, Danny Ramirez reste à la limite entre le petit frère charmant ou exaspérant. Carl Lumbly (Alias) un vétéran de la télévision est vraiment excellent , son interprétation d’Isaiah Bradley le Captain America oublié est la plus émouvante et nuancée du film. Malheureusement sa place dans l’histoire est maladroite et on regrette de n’avoir pas plus de temps avec lui car le concept de ce personnage est très riche. Giancarlo Esposito a parfaitement saisi ce qu’on attendait de lui et l’a poussé à fond les ballons comme il le fait toujours et parvient à rendre captivant un personnage d’homme de main sous-écrit. Harrison Ford est surprenant on le sent plutôt impliqué et content de participer au MCU et se montre relativement crédible en version plus âgée et endurcie du personnage interprété par feu William Hurt. Tim Blake Nelson (oscar de la patience puisqu’il a attendu 17 ans avant d’être rappelé) est le type de second rôle à l’image d’Esposito qui comprend ce qu’on attend de lui et parvient à le pousser à fond. Sa version du Leader est plutôt conforme au comics et il compose un vilain intéressant mais hélas trop peu présent à l’écran. La liste des scénaristes impliqués (cinq au total) témoigne d’une genèse compliquée et le traitement des personnages féminins, assez calamiteux, se retrouve victime des nombreuses réécritures et retouches qui ont émaillé la conception du film. Le personnage de Ruth Bat-Seraph incarné par Shira Haas, était à l’origine une adaptation du personnage de Sabra, super-héroine mutante Israelienne un personnage devenu problématique dans le contexte géopolitique actuel, transformée ici en ex-pensionnaire du programme des Black Widow . Elle gravite autour de l’intrigue sans jamais faire grand chose si ce n’est servir d’analogue au personnage de Scarlett Johansson dans Captain America The Winter Soldier. On peut deviner sous sa veste à un moment ce qui ressemble à une sorte de super-costume sans que le sujet ne soit jamais abordé. Il s’agit là clairement de la conséquence des nombreuses réécritures. Xosha Roquemore, dans le rôle de Leila Taylor, passe une bonne partie de l’intrigue à etre présente un peu partout, en donnant l’impression qu’elle devrait faire quelque chose…sans vraiment le faire. On nous dit qu’elle est une amie de Sam, mais leurs interactions semblent avoir été coupées au montage ou sacrifiées lors des révisions du script.

L’intrigue repose sur la découverte de l’adamantium (le métal indestructible qui constituera le squelette de Wolverine) et son intégration dans le MCU. Ce sujet résonne avec des réalités bien ancrées : depuis des décennies, les conflits autour des ressources naturelles précieuses ont façonné la géopolitique mondiale. Pourtant, Captain America: Brave New World parvient à rendre ce concept totalement apolitique. Ce n’est pas une simple projection de considérations politiques sur un film de divertissement : le sujet est littéralement au cœur du scénario. Et voir un protagoniste nommé Captain America, un homme noir reprenant un titre historiquement associé à un personnage blanc, se heurter à un traitement aussi superficiel est regrettable. Cette approche opportuniste séduira peut-être une partie du public, mais elle trahit un manque de profondeur scénaristique. Au lieu d’explorer ces dynamiques complexes, le film préfère les évacuer pour se concentrer sur des scènes d’action. Or, un high-concept géopolitique nécessite une structure narrative solide, et celle de Captain America: Brave New World est trop visiblement rafistolée pour masquer ses lacunes. Ces défauts auraient pu être atténués si l’intrigue assumait une tonalité plus décalée, mais le film se prend au sérieux, ce qui accentue encore ses failles. Sur le plan visuel, la mise en scène souffre d’un aspect télévisuel, indiscernable des productions Disney+, voire parfois moins abouti que la série Falcon and The Winter Soldier. Certaines scènes d’action restent intéressantes, et l’équipe a clairement travaillé pour différencier le style de combat de Sam Wilson de celui de Steve Rogers. Son maniement du bouclier, couplé à l’utilisation de ses ailes en vibranium, lui confère une identité propre. Pourtant, cette combinaison visuelle (issue des comics) ne convainc pas totalement. L’absence du coordinateur de cascades Spiro Razatos, qui avait apporté à The Winter Soldier et Civil War une brutalité réaliste impressionnante, se fait cruellement sentir. Les combats manquent d’impact et de nervosité, contribuant à un manque général d’adrénaline.

Si la séquence où Ross se transforme en Hulk rouge, au cœur du marketing du film semble déconnectée du reste du film et n’a pas vraiment d’enjeu émotionnel à part représenter un dernier obstacle surpuissant que Sam doit surmonter pour dissiper ces derniers doutes quand à sa légitimité à porter le bouclier elle est quand même réjouissante. Cette confrontation entre un personnage sans pouvoir et une Hulk déchainé semble vraiment sortir des pages d’un comic-book. Elle est dynamique (avec un jump scare bien placé) et la version Hulk d’Harrison Ford est réussie même si le vrai moment troublant réside dans le fait de voir cette icône du cinéma évoquer des concepts comme l’adamantium ou les Celestials. Pour le fan de comics le film trouve un intérêt dans son immersion totale dans la continuité et la manière dont il reprend des intrigues abandonnées dans les films précédents (c’est littéralement la suite du Incredible Hulk de Louis Letterier). Depuis Avengers : Endgame les films de Marvel Studios peinent à trouver un équilibre entre entre narration, introduction de nouveaux personnages et expansion de son univers cinématographique. Les échecs publics et critiques d’Eternals, Ant-man 3 et The Marvels semble avoir paralysé le studio qui se réfugie dans la répétition des recettes éprouvées. The Winter Soldier avait réussi en prenant des risques ; Brave New World échoue en refusant d’en prendre. De plus, depuis que Disney a exigé une augmentation du volume de production pour alimenter Disney+, la qualité de fabrication des films Marvel s’en ressent. Tout comme les comics Marvel Studios s’est tellement focalisé sur le prochain grand évènement le studio en oublie l’essentiel : raconter des histoires centrées sur les personnages. Les grandes réunions de super-héros n’ont d’impact que si nous avons suivi un véritable voyage avec eux et développé un attachement à leur parcours.

Si Captain America: Brave New World n’est pas le pire film du MCU, il se regarde sans déplaisir. Mais en jouant la carte de la sécurité en copiant servilement la structure du bien supérieur Captain America: The Winter Soldier, Marvel Studios prouve qu’il n’a pas encore retrouvé la formule du succès et demeure paralysé par la peur de l’échec.