
The Brutalist, le dernier film de Brady Corbet (The Childhood of a Leader, Vox Lux), s’affiche comme une ambitieuse fresque américaine, cherchant à renouer avec les grandes sagas cinématographiques telles que Le Parrain, Il était une fois en Amérique ou, plus récemment, The Master. Avec une durée dépassant les trois heures et un entracte, ce film se veut une exploration du rêve américain. Malgré un budget modeste de 10 millions de dollars, Corbett parvient à insuffler une impression de gigantisme à son œuvre, tant par la qualité de ses compositions visuelles signées Lol Crawley (The Childhood of a Leader, Vox Lux) que par la bande originale de Daniel Blumberg (The Last Black Man in San Francisco), qui s’impose comme l’un des points forts du film. Sa musique, oscillant entre une grandeur écrasante et des moments d’intimité poignants, est à noter, tout comme le fait que Blumberg et Crawley ont tous deux été couronnés d’un Oscar, témoignant de l’excellence artistique de l’équipe derrière The Brutalist.
L’histoire suit László Thot (interprété par Adam Brody, oscarisé pour la seconde fois après The Pianist), un architecte hongrois rescapé des camps de la mort, qui reçoit la commande d’un millionnaire, Van Buren (incarné par Guy Pearce, Memento, L.A. Confidential), pour construire un centre communautaire en mémoire de sa mère. Ce récit aborde des thèmes , tels que la relation complexe entre le capitalisme et l’art, illustrée par l’interaction entre Thot et Van Buren, où séduction et violence s’entremêlent. Guy Pearce offre une performance incroyable en caricature du millionnaire américain, oscillant entre le drame et l’humour, mais se révélant rapidement malsain et sinistre. Un autre point fort du film est la performance d’Alessandro Nivola (American Hustle, The Many Saints of Newark), qui incarne le cousin de Thot, déjà intégré dans la société américaine. Son personnage représente les renoncements souvent vécus par les immigrés, sacrifiant leurs racines et leur identité pour s’assimiler dans un nouveau monde. Cette dynamique entre Thot et son cousin ajoute une profondeur supplémentaire au récit, soulignant les tensions entre l’aspiration à une nouvelle vie et le poids du passé.Le personnage d’Erszebet, évoque celui de Kitty Oppenheimer dans le film de Nolan, mais souffre d’un manque de densité, malgré ses efforts du jeu de Felicity Jones.
Le choix du métier d’architecte comme protagoniste de The Brutalist fait écho à la trame de The Fountainhead d’Ayn Rand mais subvertit l’œuvre de la papesse des libertariens en faisant de son héros un immigrant juif héroïnomane mais sert également de métaphore du metteur en scène de cinéma, qui doit jongler avec des considérations techniques, matérielles et économiques pour donner vie à sa vision artistique. La première partie de The Brutalist est une vraie réussite car elle établit parfaitement ces thématiques en donnant à ce qui est une histoire finalement très intime les dimensions d’un « epic Hollywoodien » . Cependant, la seconde moitié, marquée par l’arrivée de Erszebet, la femme de Thot bien qu’elle ménage encore quelques séquences puissantes traîne en longueur et semble déséquilibrée, perdant de sa clarté et de son focus. Dans cette partie Corbet fait entrer en collision toutes les thématiques du film (parfois illustrées de manière trop littérale comme le viol de László par son mécène) qui si elle génère des moments dérangeants de sexualité où l’intimité et le pouvoir se mêlent évoquant le travail de Bernardo Bertolucci (en particulier sa propre fresque tout aussi ambitieuse qu’était 1900) finit par déséquilibrer l’édifice de The Brutalist. Corbet et sa coscénariste Mona Fastvold cachent au spectateur, jusqu’à l’épilogue, des informations cruciales qui auraient permis une meilleure compréhension du film et de son protagoniste, un homme très réservé, sujet à des accès de colère et à des tendances autodestructrices mais aussi parfois étonnamment passif (sans jeu de mots) qui demeure insondable. De plus, la manière de présenter cette révélation, semblable à un twist à la Usual Suspects, apparaît maladroite par rapport au sujet.
Conclusion : The Brutalist de Brady Corbett est une œuvre ambitieuse, riche en thématiques et portée par de grandes performances. Si le film excelle dans sa première partie en établissant ses thèmes de manière convaincante, il peine à maintenir son équilibre narratif dans la suite, laissant le spectateur sur sa faim face à un protagoniste dont les motivations restent souvent obscures. Je l’ai plus admiré que vraiment aimé, mais malgré ses défauts, le film mérite d’être vu pour sa direction artistique impressionnante et son ambition.