ROBOCOP (1987)

RoboCop de Paul Verhoeven, est bien plus qu’un simple film d’action des années 80. Ce classique du cinéma de science-fiction s’attaque aux dérives du capitalisme et à la culture d’entreprise à travers un prisme satirique. Flashback au début des années 1980, Edward Neumeier, alors jeune cadre chez Universal Pictures, commence à développer une idée qui deviendra RoboCop. Passionné par les films de science-fiction, de Star Wars et de comic-books , il s’intéresse à la facon d’adapter ces univers à l’écran. C’est en travaillant sur un concept intitulé SuperCop avec Michael Miner un réalisateur de clips qu’ils commencent à écrire un scénario en parallèle de leurs emplois réguliers. Leur objectif est de créer une satire de la culture d’entreprise des années 1980, une période marquée par l’agressivité croissante des entreprises américaines face à l’influence grandissante du Japon et de la violence sous-jacente au capitalisme moderne. La défaillance du robot ED-209 dans la salle de réunion de l’OCP, qui marque l’un des moments les plus mémorables du film, lui est inspirée par ses rêveries lors de réunion au bureau où il imagine un robot faisant irruption et décimant tous les participants. Miner, qui se défini comme un hippie ayant grandi pendant le scandale du Watergate et la guerre du Vietnam voit le film comme une réaction à la présidence de Ronald Reagan, une période où les économistes de l’école de Chicago disciple de l’économiste Milton Friedman « pillaient le monde, soutenus par le président et la CIA ». Ce contexte politique est essentiel pour comprendre les enjeux de RoboCop, qui dépeint un monde où les valeurs humaines sont sacrifiées sur l’autel du profit, et où la violence est banalisée.

Le projet attire l’attention de Jon Davison, intrigué par la satire présente dans le scénario, un producteur chevronné connu pour ses films d’exploitation et de série B, mais surtout la parodie Airplane!  (Y-a t-il un pilote dans l’avion) (1980). Pour illustrer le ton qu’il souhaite donner, il montre à Neumeier et Miner plusieurs films, tels que Dirty Harry (1971) et Mad Max 2 (1981). Davison voit en RoboCop une opportunité de créer un film politiquement engagé, mais également accessible et divertissant. Davison défini le film comme « du fascisme pour gauchistes » en raison de sa violence. Il propose le projet à David Cronenberg, Alex Cox qui le refusent et c’est Barbara Boyle, une exécutive d’Orion (société qui a produit The Terminator, Le Silence des agneaux ou Platoon) qui suggère Paul Verhoeven, salué pour ses travaux sur Soldier of Orange (1977) et Flesh+Blood (1985), comme réalisateur. Peu intéressé au départ le hollandais violent fini par accepter convaincu par sa femme, Martine, qui lui fait remarquer l’importance de la perte d’identité du personnage principal. Curieusement Verhoeven, dont la maîtrise de l’anglais n’est pas parfaite, ne saisit pas immédiatement la satire, mais est touché par la scène où RoboCop retourne dans la maison abandonnée de Murphy, revivant des souvenirs de sa vie passée. C’est cette dimension émotionnelle et tragique du récit qui devient centrale dans sa vision du film.

La qualité visuelle de RoboCop doit énormément à sa collaboration avec le directeur de la photographie Jost Vacano (Soldier of Orange, Das Boot, Total Recall). Chaque scène est soigneusement filmée pour maximiser le potentiel dramatique, et les plans-séquence sont d’une fluidité remarquable. La palette de couleurs éclatante contribue à l’atmosphère futuriste et décalée du film. Le montage de Frank J. Urioste (Die Hard, Total Recall), est également remarquable. Le rythme est parfaitement calibré, les scènes s’enchaînant avec une intensité qui maintient le spectateur en haleine. L’action est rapide, directe, sans détour, tout comme le personnage de RoboCop lui-même. La musique de Basil Poledouris (Conan le Barbare) avec un thème principal épique qui évoque à la fois la grandeur et le tragique du personnage entre violence et mélancolie est un élément clé qui participe à l’identité de RoboCop.

Aucune star ne souhaite s’engager dans RoboCop, Peter Weller dans le rôle titre, initialement refusé par Arnold Schwarzenegger, Michael Ironside (ils retrouveront Verhoeven sur Total Recall) et Rutger Hauer, parvient à susciter à la fois la sympathie et l’intimidation, tout en étant dissimulé derrière un costume imposant. Il travaille avec le mime Moni Yakim pour développer un style de mouvement fluide et rigide à la fois, caractéristique du personnage. Son interprétation, mêlant bravoure et vulnérabilité, est au cœur de l’impact émotionnel du film. Nancy Allen,égérie de Brian DePalma dans le rôle d’Ann Lewis, apporte une dimension humaine au récit, soutenant Weller avec brio. Cependant, c’est le trio de méchants qui brille particulièrement. Ronny Cox (Deliverance et Total Recall), Kurtwood Smith (That ’70s Show) et Miguel Ferrer (Twin Peaks et Traffic) offrent des performances explosives. Kurtwood Smith, en particulier, vole la vedette dans le rôle de Clarence Boddicker, un roi du crime sadique. Son interprétation est aussi glaçante que captivante. La décision de Verhoeven de faire tenir à Ronny Cox  le rôle du méchant Dick Jones, après avoir souvent incarné des personnages sympathiques, est payante. Cox se régale dans ce personnage, dénué de compassion, qui représente la face sombre du capitalisme. Miguel Ferrer, quant à lui, est détestable en yuppie arrogant, incarnant à la perfection les excès et l’arrogance de l’époque.

Rob Bottin (The Thing et Total Recall) chargé de concevoir le costume de RoboCop, s’inspire de divers designs de robots Maria de Metropolis (1927), Gort de The Day the Earth Stood Still (1951) et de super-héros pour créer une esthétique élégante qui donne vie au personnage. Après avoir développé environ 50 esquisses en tenant compte des retours de Verhoeven, qui souhaite un personnage davantage machine, Bottin opte finalement pour une esthétique élégante inspirée par le travail de l’illustrateur japonais Hajime Sorayama. L’influence immense du The Dark Knight Returns de Frank Miller (qui signera le script de RoboCop 2) est palpable dans le film. Les insertions de journaux télévisés en sont directement issues. Ces segments de fausses actualités préfigurent l’infotainment, bien avant que les chaînes d’information en continu ne commencent à exploiter la misère. Judge Dredd, son attitude stoïque et son interprétation rigide de la loi, est un autre modèle du personnage (son apparence était même une base de départ des premiers designs de Rob Bottin).

Le film est ultra-violent mais cette violence loin d’être gratuite, elle est utilisées pour illustrer les extrêmes auxquels peut mener le capitalisme en dépeignant une société où la souffrance devient une source de profit. La brutalité de la mort de Murphy, à la fois longue et violente, permet au public de voir dans RoboCop le reflet de l’humanité qui lui a été arrachée par la bande de Boddicker et l’OCP. RoboCop s’inscrit dans la trame classique du héros tragique en quête de vengeance et de rédemption. L’imagerie du film intègre des éléments de la religion chrétienne qui reflète l’intérêt de Verhoeven pour la figure du Christ : la mort brutale de Murphy est comparable à la crucifixion, tandis que sa résurrection en tant que RoboCop fait de lui une forme de Jésus américain, capable de marcher sur l’eau et de manier un pistolet.

Le futur cauchemardesque de RoboCop semble anticiper à quelques avancées technologiques près, notre présent. Les œuvres qui nous semblent prophétiques sont souvent des commentaires de la situation contemporaine à leur création. Comme 1984 de George Orwell, s’écrit en réaction au stalinisme, RoboCop, satire des Reaganomics et de l’ultralibéralisme des années 80, décrit parfaitement l’enfer de notre « late stage capitalism« . Peu de films ont réussi à jongler entre satire sociale et spectacle avec autant d’aisance que RoboCop qui montre la violence indicible qui se cache sous le vernis du capitalisme moderne . Il le fait en montrant la collusion entre Clarence Boddicker et Dick Jones qui trace une équivalence directe entre le capitalisme et le grand banditisme. Boddicker avec ses petites lunettes (inspirées de celle du dignitaire nazi Heinrich Himmler) et son rire de hyène, est un sociopathe parfaitement conscient de son utilité pour le système, pour qui il est un prestataire comme un autre. La critique est évidente mais aussi se transmet de façon plus subtile comme quand, alors que RoboCop tire des milliers de balles sur Dick Jones , la caméra fait un détour pour montrer Donald Johnson (Felton Perry) le collègue de Bob Morton (Miguel Ferrer), manager de niveau intermédiaire (le fameux « ça a le goût de la nourriture pour bébés »), se levant de sa chaise avec un sourire. Certes, il est content de voir le meurtrier de son ami recevoir son juste châtiment, mais il anticipe sans doute également la vacance que laissera Jones dans la hiérarchie de l’entreprise.

Mais le second degré fonctionne rarement sans un premier degré assumé, et la satire est d’autant plus efficace que le récit est dramatiquement solide. De ce point de vue-là, RoboCop fonctionne à plein régime. C’est une origin-story de super-héros et un film de vengeance qui adhère (au premier degré) aux codes du genre avec une dimension émotionnelle sincère et émouvante. Son autre thématique centrale est en effet la question de ce qui défini l’humanité et de ce qu’il reste de Murphy en RoboCop. Malgré son apparence inhumaine, RoboCop possède une âme, ressent de véritables émotions et dispose d’une conscience qui le distinguent d’une simple machine. Aussi divertissant et drôle que soit le film, c’est aussi une tragédie celle de Murphy, qui bien qu’il se souvienne de sa vie antérieure, ne pourra jamais la récupérer. Un film plus conventionnel se concentrerait sur sa tentative de retrouver sa femme et son enfant, mais le fait qu’il ne parvienne pas à retrouver pleinement son humanité, ne récupérant qu’une infime partie de celle-ci, rend l’histoire d’autant plus poignante.

Conclusion : RoboCop est une réussite totale, un mélange explosif de satire, d’action et de tragédie. Plus qu’un simple film de science-fiction, il dissèque avec une précision chirurgicale les dérives du capitalisme et l’inhumanité du monde corporate. Mais ce qui le rend si puissant, c’est qu’au-delà de sa critique acerbe, il reste une histoire viscérale, portée par une mise en scène percutante et une charge émotionnelle intacte. Un film visionnaire, brutal et tragique.Parafit à sa sortie , parfait aujourd’hui.

Ma Note : A+

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