THUNDERBOLTS* (2025)

Créée en 1997 par Kurt Busiek et Mark Bagley, la série Thunderbolts de Marvel Comics présentait une équipe de super-vilains se faisant passer pour des héros en l’absence des Avengers, certains d’entre eux développant de véritables intentions héroïques. Le film Thunderbolts*, réalisé par Jake Schreier, s’éloigne de cette prémisse originale pour s’inspirer davantage de la Suicide Squad de DC Comics, regroupant une équipe d’anti-héros moralement ambigus sous la direction de la machiavélique Valentina Allegra de Fontaine, interprétée par Julia Louis-Dreyfus (Seinfeld,Veep) . Ce 36e film du Marvel Cinematic Universe (MCU) et dernier opus de la Phase 5 (aka The Multiverse Saga) se distingue par un ton audacieux et une volonté d’explorer en profondeur ses personnages. Jake Schreier, connu pour ses œuvres indépendantes telles que Robot & Frank (2012) et Paper Towns (2015), ainsi que pour la série Beef de 2023 (produite par A24), apporte une sensibilité unique à Thunderbolts*. Il mêle introspection psychologique et action viscérale, tentant de s’éloigner des standards plus formatés du MCU en privilégiant les effets pratiques, les cascades physiques et une esthétique plus rugueuse, évoquant ainsi un cinéma indépendant. Une scène marquante, où Florence Pugh effectue un saut depuis le Merdeka 118 à Kuala Lumpur (le deuxième immeuble le plus haut du monde) sans doublure, illustre cet engagement physique et renforce l’authenticité du film.

La campagne marketing du film joue habilement sur cette identité hybride avec une bande-annonce intitulée « Absolute Cinema », publiée le 7 mars 2025 sur le site Letterboxd. Présentée comme un pastiche des trailers de la firme A24, avec une musique envoûtante de Son Lux (compositeur de la bande originale d’Everything Everywhere All At Once) et des plans contemplatifs, elle met en avant l’équipe technique et les acteurs ayant collaboré avec A24, tout en revendiquant une ambition cinématographique audacieuse. Ce clin d’œil humoristique a suscité des réactions mitigées, A24 répondant par un tweet ironique, tandis que certains fans ont critiqué Marvel pour sa tentative de surfer sur la hype indépendante du studio concurrent. Pourtant, cette stratégie a renforcé l’image de Thunderbolts* comme un film à part, pouvant attirer à la fois les fans du MCU et les cinéphiles. De fait, l’équipe technique est riche de talents ayant contribué à des films emblématiques d’A24, solidifiant cette ambition. Le directeur de la photographie Andrew Droz Palermo (The Green KnightA Ghost Story) livre des images sombres et texturées, alliant son travail indépendant à l’échelle d’un blockbuster. La chef décoratrice Grace Yun (Past Lives, Beef) apporte une esthétique tangible. Le monteur Harry Yoon, connu pour Minari et Shang-Chi, assure un montage rythmé, équilibrant action et émotion. La participation de Lee Sung Jin (Beef) et Joanna Calo (The Bear) aux côtés d’Eric Pearson, vétéran de Marvel Studios (Thor: RagnarokBlack Widow), insuffle un humour noir et des dynamiques interpersonnelles complexes au cœur du film. Enfin, la bande originale de Son Lux, mêlant sonorités expérimentales et épiques, évoque leur travail sur Everything Everywhere All At Once tout en s’alignant avec l’ampleur d’un blockbuster. Ces techniciens, souvent à l’aise dans les deux mondes, confèrent à Thunderbolts* une identité propre, malgré un léger manque de cohérence narrative, le film oscillant entre ambitions indépendantes et contraintes formulaires de Marvel Studios.

Thunderbolts* se démarque des blockbusters Marvel habituels en délaissant l’action frénétique et les spectacles grandioses pour se concentrer sur ses personnages. Les combats, bien que moins nombreux, restent efficaces, mais c’est dans l’introspection et les relations que le film trouve sa force. Florence Pugh (Midsommar, une production… A24) reprend son rôle de Yelena Belova, offrant une performance mêlant cynisme et vulnérabilité, tout en affichant une véritable intensité physique. Sa cascade au Merdeka 118 et ses scènes dans le Red Room, explorant son passé (qui font du film une quasi-suite à Black Widow de 2021), en font le cœur émotionnel de l’histoire. Sebastian Stan, vétéran du MCU faisant ici sa dixième apparition en tant que Bucky Barnes, a récemment élargi sa palette avec des rôles dans des films comme A Different Man (pour lequel il a remporté un Golden Globe) et son interprétation du jeune Donald Trump dans The Apprentice (pour laquelle il a été nommé à l’Oscar du meilleur acteur). Il est plus en retrait ici, oscillant entre stoïcisme et moments de vulnérabilité. David Harbour apporte humour et cœur à Red Guardian, renforçant sa dynamique paternelle avec Yelena, tandis que Wyatt Russell, dont la voix évoque celle de son père Kurt dans le rôle de John Walker, explore une rédemption complexe. Hannah John-Kamen (Ghost) s’affirme davantage par rapport à sa première apparition dans Ant-Man & The Wasp, mais le potentiel du personnage de Taskmaster, incarné par Olga Kurylenko, est malheureusement sous-exploité. Julia Louis-Dreyfus, en Valentina, incarne une antagoniste charismatique,au rôle plus central qu’attendu. Lewis Pullman, (Top Gun Maverick) qui a remplacé au pied levé Steven Yeun, incarne Bob Reynolds, alias The Sentry, un personnage aux capacités quasi-divines souvent décrit comme « le Superman de Marvel », mais rongé par une profonde instabilité mentale. Dans les comics, sa dualité avec le Void – une entité destructrice née de son propre esprit – offre une exploration des méandres de la psyché humaine. Le film adapte cette lutte intérieure avec une approche centrée sur la dépression et les « démons intérieurs », avec un antagoniste qui incarne littéralement ces thématiques. L’adaptation fonctionne plutôt bien à l’écran, portée par une performance habitée de Pullman. Toutefois, elle fait l’impasse sur l’un des aspects les plus fascinants du personnage dans les comics : lors de ses premières apparitions sous la plume de Paul Jenkins en 2000, The Sentry était présenté comme un héros oublié de l’univers Marvel, effacé de toutes les mémoires, y compris celles des autres super-héros. Cette accroche méta-narrative, qui interrogeait la mémoire collective et la réalité des récits de super-héros, est absente de l’adaptation cinématographique. Un choix sans doute nécessaire pour ne pas alourdir la narration, mais qui prive le personnage d’une part de sa richesse conceptuelle.

Le genre super-héroïque n’a jamais réellement existé comme un genre autonome aux codes stricts ; il s’épanouit précisément lorsqu’il se greffe à d’autres formes cinématographiques bien établies. Captain America: The Winter Soldier fonctionne comme un thriller conspirationniste aux accents paranoïaques, Ant-Man emprunte la légèreté et la structure du heist movie, et WandaVision revisite les codes des sitcoms et du drame psychologique. Ce sont ces mariages hybrides, avec des genres ancrés dans l’imaginaire collectif, qui permettent aux récits de super-héros de trouver leur ton, leur rythme et leur singularité. Thunderbolts* tente ainsi d’introduire une touche de thriller horrifique dans le mélange Marvel. La dynamique dysfonctionnelle mais attachante du groupe d’anti-héros constitue l’une des forces du film, bien que les duos fonctionnent souvent mieux que l’équipe dans son ensemble, le scénario mettant en valeur leurs échanges mordants, comme ceux entre Yelena et Ghost ou les affrontements entre Bucky et Red Guardian. Ce retour au film choral qui a fait la force du MCU depuis Avengers et Guardians of the Galaxy, comble un vide dans l’univers cinématographique actuel. Thunderbolts* s’efforce de se distinguer par son exploration de thèmes plus adultes comme la dépression, la solitude, la rédemption, l’identité et la complexité morale à travers une mission suicidaire orchestrée par Valentina. Toutefois, bien qu’il souhaite rompre avec la formule classique du MCU, son style rappelle paradoxalement les origines de celui-ci, évoquant la sensibilité de la Phase 1. En effet, le film ressemble beaucoup à Guardians of the Galaxy, mais sans l’humour de James GunnThunderbolts* n’est pas exempt de défauts, notamment un premier acte brouillon, plombé par une exposition lourde et un montage maladroit, rendant les motivations initiales confuses. Le rythme est souvent freiné par les machinations de Valentina et une histoire qui peine à échapper complètement aux contraintes formulaiques. Les transitions entre thriller horrifique, comédie et drame ne sont pas toujours fluides, créant une impression d’inachevé, certains moments comiques semblant forcés. Néanmoins, le film se rattrape avec un troisième acte, souvent le talon d’Achille des films de super-héros, qui est ici l’un des plus réussis depuis Doctor Strange, avec un dispositif malin où rebondissements et moments émotionnels s’entrelacent pour aboutir à une conclusion satisfaisante.

Conclusion : Thunderbolts* arrive à un moment crucial pour Marvel, qui a besoin de retrouver un second souffle après l’échec de Captain America: Brave New World. Malgré ses imperfections, le film, parvient à surprendre avec son mélange d’action viscérale, d’humour noir et de profondeur émotionnelle, répond à nos attentes en réintroduisant une narration centrée sur les personnages au sein d’un MCU qui pose des bases prometteuses pour son avenir. C’est un film aussi cabossé qu’attachant, à l’image de ses héros, un des meilleurs du MCU depuis longtemps.

Ma Note : B+

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