ARMAGEDDON (1999)

Il est des films qui, par leur simple existence, redéfinissent les contours d’un genre. Armageddon (1998) est de ceux-là. Non pas parce qu’il révolutionne la narration ou qu’il propose une vision inédite du cinéma, mais parce qu’il incarne à lui seul une esthétique, une philosophie du blockbuster : le Bayhem, cette frénésie visuelle et sonore où chaque plan semble vouloir exploser hors de l’écran.

Le projet Armageddon naît dans un contexte de rivalité industrielle. Alors que DreamWorks prépare Deep Impact, Disney riposte avec une production concurrente, confiée à Michael Bay, jeune prodige révélé par Bad Boys (1995) et The Rock (1996). Le scénario, coécrit par Jonathan Hensleigh et un tout jeune J.J. Abrams, repose sur une idée simple : un astéroïde de la taille du Texas menace la Terre, et seule une équipe de foreurs peut le stopper. Une prémisse absurde ? Sans doute. Mais Bay ne cherche pas la vraisemblance : il veut du spectacle, du souffle, du chaos. Le film est aussi marqué par l’empreinte de Gale Anne Hurd, productrice historique de Aliens et The Abyss, qui apporte une touche de sérieux à ce projet démesuré. L’influence de James Cameron et Peter Hyams, bien que non crédités, se ressent dans la structure du récit et la tension dramatique, le film pille par pans entiers leur script commun jamais tourné sur l’arrivée d’un astéroïde menaçant Bright Angel Falling.

Michael Bay impose ici son style : caméra en mouvement perpétuel, contre-plongées héroïques, ralentis dramatiques, explosions chorégraphiées. Chaque plan est pensé comme une publicité, chaque séquence comme un climax. Le montage, nerveux et syncopé, ne laisse aucun répit au spectateur. Certains critiques anglo-saxons ont comparé le film à une montagne russe visuelle, où l’émotion est sacrifiée sur l’autel du rythme. La direction artistique, confiée à Michael White, joue sur des contrastes forts : la froideur métallique des décors spatiaux, la chaleur saturée des scènes texanes, l’iconographie patriotique omniprésente. Le drapeau américain flotte dans l’espace, les héros sont des ouvriers, et la NASA devient le dernier bastion de l’héroïsme populaire. Le casting est l’un des points forts du film. Bruce Willis, dans le rôle de Harry Stamper, incarne le père sacrificiel, dur mais juste, archétype du héros bayien. Son jeu, tout en rugosité, trouve une forme de noblesse dans les dernières scènes. Ben Affleck, alors en pleine ascension, joue le jeune premier avec une naïveté touchante. Liv Tyler, dans un rôle de potiche émotive, parvient malgré tout à insuffler une certaine grâce. Mais ce sont les seconds rôles qui donnent au film sa texture : Steve Buscemi en savant lubrique, Will Patton en père absent, Michael Clarke Duncan en colosse au cœur tendre, Peter Stormare en cosmonaute russe déjanté. Ces “gueules” de cinéma, souvent issues de l’univers des frères Coen, apportent une humanité inattendue à ce récit de fin du monde.

La bande-son, est dominée par le tube planétaire I Don’t Want to Miss a Thing d’Aerosmith, devenu instantanément iconique. Ce morceau, écrit par Diane Warren, incarne à lui seul l’émotion surjouée du film. D’autres titres, comme La Grange de ZZ Top ou Starseed de Our Lady Peace, renforcent l’ancrage rock et populaire du récit.Le score de Trevor Rabin, soutenu par Harry Gregson-Williams, joue sur les codes du film catastrophe : cuivres triomphants, cordes mélodramatiques, percussions martiales. Il accompagne chaque explosion, chaque larme, chaque sacrifice.

Armageddon est un tournant dans la carrière de Michael Bay. Après les succès de The Rock et Bad Boys, il devient le maître incontesté du blockbuster. Le film marque aussi l’apogée de sa collaboration avec Jerry Bruckheimer, producteur de tous les excès, qui poursuivra dans cette veine avec Pearl Harbor (2001) et la saga Transformers.Pour Bruce Willis, c’est le plus gros succès de sa carrière, devant même Die Hard. Le film installe Ben Affleck comme star montante, et confirme le goût du public pour les récits de sauvetage planétaire. Armageddon a influencé toute une génération de films catastrophe. Son esthétique a été reprise, pastichée, critiquée. Des œuvres comme 2012, San Andreas ou Greenland lui doivent beaucoup. Il a aussi contribué à populariser l’idée du “sacrifice héroïque” comme climax émotionnel, devenu un trope incontournable du cinéma hollywoodien.

Conclusion : Armageddon n’est pas un bon film au sens classique du terme. Son scénario est bancal, sa science est risible, son patriotisme est outrancier. Mais il est sincère dans sa démesure, honnête dans son ambition. Michael Bay ne cherche pas à faire du cinéma d’auteur : il veut faire vibrer, faire pleurer, faire exploser. Et il y parvient. Armageddon est une œuvre totale, un opéra du chaos, une déclaration d’amour au cinéma comme machine à émotions. Il est le reflet d’une époque, d’une industrie, d’un imaginaire.

Ma Note : B+

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.