FACE/OFF (1997)

Rarement on aura vu tel écart entre l’absurdité d’un concept et la réussite d’un film. Face/Off, réalisé par John Woo en 1997, appartient à cette catégorie rare de films qui, par leur audace formelle et leur exubérance narrative, transcendent les limites du genre pour devenir des objets cinématographiques singuliers. . Ce thriller d’action, à la fois baroque et viscéral interroge l’identité, la dualité morale et les codes du cinéma hollywoodien avec une virtuosité qui force le respect.

L’idée de Face/Off naît au début des années 1990, dans un Hollywood friand de high-concepts. Le scénario original, signé Mike Werb et Michael Colleary, envisageait un futur dystopique où deux ennemis échangent littéralement leurs visages. Ce postulat de science-fiction, aussi absurde que fascinant, attire rapidement l’attention des studios. Plusieurs duos d’acteurs sont envisagés — Stallone et Schwarzenegger, Douglas et Ford — mais c’est finalement John Travolta et Nicolas Cage qui héritent des rôles, pour le meilleur. L’arrivée de John Woo, alors fraîchement débarqué de Hong Kong après Hard Target et Broken Arrow, change la donne. Le cinéaste impose sa vision : celle d’un ballet de violence stylisée, où les corps s’affrontent avec une grâce opératique et où les armes deviennent des extensions de l’âme. Woo, qui avait déjà exploré la fraternité virile et les dilemmes moraux dans The Killer ou A Better Tomorrow, trouve ici un terrain de jeu idéal pour transposer ses obsessions dans le cadre hollywoodien. Face/Off est imprégné de l’esthétique du cinéma hongkongais des années 80 et 90. Les ralentis, les fusillades chorégraphiées, les colombes blanches qui s’envolent dans les moments de tension : tout rappelle les codes du heroic bloodshed. Mais Woo ne se contente pas de recycler ses motifs. Il les adapte, les pousse à leur paroxysme. L’influence du mélodrame est palpable, le film ne cachant jamais son goût pour l’excès émotionnel : les larmes, les cris, les gestes théâtraux sont assumés, presque revendiqués.

Le cœur du film repose sur la performance de ses deux acteurs principaux. John Travolta, qui sortait alors du renouveau amorcé par Pulp Fiction, et Nicolas Cage, auréolé de son Oscar pour Leaving Las Vegas, livrent ici un véritable numéro de funambule. Chacun doit incarner son personnage… puis celui de l’autre. Travolta devient Castor Troy, le terroriste flamboyant, tandis que Cage se glisse dans la peau de Sean Archer, l’agent du FBI rongé par le deuil. Ce jeu de miroir est vertigineux. Cage, dans ses accès de folie contrôlée, trouve une justesse troublante. Travolta, en roue libre, s’amuse visiblement à explorer les zones d’ombre de son personnage. Leur alchimie fonctionne à merveille. Le spectateur croit à cette permutation impossible, tant les deux comédiens s’approprient les tics, les postures, les intonations de l’autre. C’est une démonstration de virtuosité, un exercice de style qui aurait pu sombrer dans le ridicule mais qui, grâce à leur engagement total, devient fascinant.

Visuellement, Face/Off est un feu d’artifice. La direction artistique joue sur les contrastes : les décors froids et métalliques du centre médical s’opposent aux intérieurs chaotiques du repaire de Troy. La caméra de Woo virevolte, s’attarde sur les visages, capte les regards en contre-plongée. Chaque plan semble pensé comme une peinture en mouvement.La mise en scène des scènes d’action est d’une précision chirurgicale. Le gunfight dans l’église, avec ses ralentis et ses envolées lyriques, est un sommet du genre. Woo orchestre le chaos avec une maîtrise rare, transformant la violence en danse macabre.Le montage, signé Christian Wagner et Steven Kemper, joue un rôle essentiel. Il alterne les rythmes, juxtapose les points de vue, crée une tension constante. Les transitions entre les scènes sont fluides, parfois audacieuses, et participent à l’immersion totale du spectateur.

La musique de John Powell, alors jeune compositeur, accompagne le film avec subtilité. Elle mêle percussions frénétiques et envolées lyriques, soutenant les scènes d’action sans jamais les écraser. Mais c’est dans les choix de morceaux additionnels que le film surprend. L’utilisation de Over the Rainbow lors d’une fusillade est un contrepoint saisissant, presque ironique. Ce décalage crée une émotion inattendue, renforçant le sentiment de tragédie qui plane sur le récit. Autour du duo principal, le casting brille par sa cohérence. Joan Allen, dans le rôle de l’épouse d’Archer, apporte une gravité bienvenue. Gina Gershon, en compagne de Troy, incarne une sensualité brute. Alessandro Nivola, en frère psychopathe, compose un personnage glaçant. Dominique Swain, quant à elle, ajoute une touche de fragilité et de complexité à son personnage, renforçant ainsi les tensions émotionnelles au sein de l’intrigue. Les seconds rôles, bien que parfois caricaturaux, sont tous investis. Ils participent à l’univers du film et donnent de l’épaisseur à l’intrigue.

Conclusion : Face/Off est un film qui ne ressemble à aucun autre. Il ose tout : les retournements invraisemblables, les dialogues emphatiques, les scènes d’action opératiques. Et pourtant, il fonctionne. Parce qu’il est porté par une vision, celle de John Woo, et par deux acteurs au sommet de leur art. Dans la filmographie de Woo, il représente l’apogée de sa période américaine, , pour Travolta et Cage , c’est une parenthèse flamboyante, un moment de grâce où le cinéma devient un terrain de jeu sans limites. Face/Off est une œuvre qui embrasse son absurdité pour mieux révéler sa vérité. Derrière ses fusillades et ses colombes,Face/Off parle de ce qui nous rend humains : le regard de l’autre, le poids du passé, la quête de rédemption. Un classique, tout simplement.

Ma Note : A

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