
Rarement une suite aura su transcender son prédécesseur avec autant de maîtrise. The Empire Strikes Back, deuxième volet de la trilogie originale Star Wars, s’impose non seulement comme le cœur de la saga, mais aussi comme une œuvre cinématographique à part entière, capable de conjuguer spectacle et introspection. Sous la direction d’Irving Kershner (Eyes of Laura Mars, RoboCop 2), ancien professeur de George Lucas, le film abandonne la légèreté pulp de Star Wars (1977) pour plonger dans une atmosphère plus sombre, plus dense, où les enjeux ne sont plus galactiques mais intimes.
Le projet naît dans l’effervescence du succès planétaire du premier opus. Lucas, épuisé par l’experience du premier film en confie les rênes à Kershner, un de ses professeurs à l’université et cinéaste plus rompu aux drames psychologiques. Ce choix, loin d’être anodin, oriente immédiatement le ton du film. Kershner ne cherche pas à reproduire le souffle épique de Star Wars, mais à l’approfondir, à le densifier. Il s’inspire de la structure du deuxième acte d’une tragédie classique : les héros sont dispersés, confrontés à leurs failles, et le récit s’achève sur une note suspendue, presque désespérée. Le film puise également dans les codes du western crépusculaire, du cinéma japonais (Kurosawa plane sur Dagobah), et du space opera, mais les détourne pour en faire les vecteurs d’une narration plus mature. Une première version du scénario de The Empire Strikes Back est rédigée par Leigh Brackett une romancière et scénariste américaine de science-fiction, de fantasy et de roman noir qui participa à l’écriture de classiques : Grand Sommeil (The Big Sleep), de Rio Bravo et signera le scénario du film Le Privé (The Long Goodbye) de Robert Altman. Elle décède d’un cancer après avoir remis la première version du script qui sera complètement remanié par Lawrence Kasdan. Cette réécriture marque un tournant décisif dans la narration de la saga. Kasdan, tout juste révélé par son travail sur Raiders of the Lost Ark, insuffle au récit une densité émotionnelle et une finesse psychologique inédites dans le space opera. Là où le premier opus reposait sur une structure mythologique simple, Kasdan complexifie les relations, introduit des dilemmes moraux, et donne à chaque personnage une trajectoire intérieure. Son écriture, précise et élégante, transforme les dialogues en révélateurs d’identité : la célèbre réplique « Je suis ton père » ne serait pas aussi bouleversante sans la montée dramatique savamment orchestrée par le scénariste. Passionné de religions orientales il insuffle à Yoda des préceptes bouddhiste qui en font un personnage si unique. Kershner lui va resserrer le cadre, ralentir le rythme, et va donner à chaque regard, chaque silence, une portée dramatique. La scène du duel entre Luke et Vador, baignée dans les ombres et les reflets, est un modèle de mise en scène opératique. Le réalisateur privilégie les contrastes : la blancheur glaciale de Hoth contre les brumes organiques de Dagobah, la verticalité oppressante de Cloud City contre l’horizontalité rassurante du Faucon Millenium. Le montage, signé Paul Hirsch (Obsession, Mission: Impossible), épouse cette logique.
Mark Hamill, dans le rôle de Luke Skywalker, livre ici sa performance la plus nuancée. Harrison Ford, en Han Solo, confirme son charisme brut dans un rôle plus vulnérable que dans Raiders of the Lost Ark ou Witness. Carrie Fisher, déjà remarquable dans Star Wars, enrichit Leia d’une mélancolie touchante. Autour d’eux, Billy Dee Williams (Lady Sings the Blues, Batman) apporte à Lando une complexité bienvenue, tandis que Frank Oz (The Dark Crystal, Return to Oz) donne à Yoda une âme et une diction inoubliables. David Prowse (A Clockwork Orange, Vampire Circus) incarne physiquement Dark Vador, mais c’est la voix grave de James Earl Jones (Dr. Strangelove, Field of Dreams) qui lui confère sa majesté tragique.
Ralph McQuarrie (Star Wars, Battlestar Galactica) conçoit les décors et les environnements avec une audace visuelle proprement révolutionnaire. L’équipe d’effets visuels d’ILM, fondée par George Lucas, affine les techniques de stop-motion et matte painting développées dans Close Encounters of the Third Kind et Raiders of the Lost Ark. Les scènes de la bataille de Hoth et des créatures de Dagobah témoignent de cette virtuosité artisanale. La photographie de Peter Suschitzky (The Rocky Horror Picture Show, Dead Ringers) module les textures et les ambiances pour distinguer les mondes avec subtilité : froid clinique, pénombre mystique, éclat industriel. John Williams (Jaws, E.T. The Extra-Terrestrial) compose une partition d’une ampleur dramatique inégalée. The Imperial March entre immédiatement dans le panthéon musical du cinéma, aux côtés de Star Wars Main Theme. Williams développe des motifs thématiques pour chaque personnage ou situation, comme Yoda’s Theme ou Han Solo and the Princess, qui traduisent une émotion pure sans verser dans le pathos. La musique ne se contente pas d’accompagner : elle commente, anticipe, intensifie. Cette bande-originale est la cathédrale sonore de l’Empire.
The Empire Strikes Back redéfinit le blockbuster. Il montre qu’une suite peut s’éloigner du schéma classique de l’ascension héroïque pour plonger dans le doute, la défaite, l’ambivalence. Il inspire un nouveau type de narration segmentée et morale : The Dark Knight, The Matrix Reloaded, Dune: Part Two empruntent sa structure dramatique. Il transforme Darth Vader en icône tragique, fonde le twist narratif comme mécanisme émotionnel, et révèle que les enjeux familiaux peuvent coexister avec les batailles galactiques.
Conclusion : The Empire Strikes Back est l’épisode qui donne à Star Wars ses lettres de noblesse artistiques. Sous la main d’Irving Kershner, avec l’orchestration de John Williams, le montage de Paul Hirsch, les décors visionnaires de McQuarrie et les éclairages de Suschitzky, la saga devient un poème spatial, un opéra intime, un voyage vers l’ombre.