En 1977, The Spy Who Loved Me surgit comme une réponse flamboyante à l’essoufflement de la saga James Bond. Après le relatif échec critique de The Man with the Golden Gun, la franchise avait besoin d’un électrochoc. Ce dixième opus, porté par un Roger Moore au sommet de son incarnation de 007, marque un tournant décisif : celui du retour à une formule spectaculaire, assumée et résolument moderne.
La genèse du film est marquée par des turbulences. Harry Saltzman, co-producteur historique, quitte le navire pour raisons financières, laissant Albert R. Broccoli seul aux commandes. Ne disposant que du titre du roman de Ian Fleming — l’auteur ayant interdit toute adaptation de son intrigue originale — Broccoli doit repartir de zéro. Le scénario est donc entièrement inventé, confié à Christopher Wood et Richard Maibaum, qui injectent une dose d’humour britannique et de gigantisme narratif. Le choix de Lewis Gilbert à la réalisation, déjà auteur de You Only Live Twice et futur metteur en scène de Moonraker, s’avère décisif : son sens du rythme et de la démesure donne au film une ampleur inédite. The Spy Who Loved Me s’inscrit dans une tradition bondienne tout en la réinventant. Il puise dans les codes du film d’espionnage classique — base secrète, méchant mégalomane, gadgets futuristes — mais les magnifie à l’extrême. L’influence de Goldfinger est palpable, notamment dans la construction du méchant Stromberg, héritier aquatique de Goldfinger et Blofeld. Mais le film regarde aussi vers les blockbusters américains de l’époque, avec une ambition visuelle digne de Star Wars ou Superman. Il devient ainsi le modèle du Bond “grand spectacle”, celui qui servira de matrice aux opus suivants.
La direction artistique de Ken Adam atteint ici une forme d’apogée. Le décor de la base sous-marine Atlantis, tout comme l’intérieur du supertanker Liparus, sont des prouesses de design et d’ingénierie. Pour les besoins du tournage, Broccoli fait construire le mythique 007 Stage à Pinewood Studios, alors le plus grand plateau d’Europe. Adam (aussi créateur des décors de Dr. No et Thunderball) joue avec les volumes, les courbes et les textures métalliques pour créer un univers à la fois futuriste et organique. Le résultat est saisissant : chaque plan respire la démesure et l’élégance. Lewis Gilbert orchestre le récit avec une maîtrise remarquable. Le rythme est soutenu, les scènes d’action s’enchaînent sans jamais sacrifier la lisibilité. Le montage de John Glen (futur réalisateur de For Your Eyes Only et Licence to Kill) est nerveux mais jamais précipité. La séquence d’ouverture, avec le saut en parachute dans les Alpes, est un modèle du genre : tension, surprise, et une touche d’humour britannique. Le film alterne habilement entre scènes spectaculaires et moments plus intimistes, notamment dans la relation entre Bond et Anya Amasova.
Roger Moore, dans sa troisième apparition en 007, trouve enfin le ton juste. Moins cabotin que dans les précédents opus, il incarne un Bond plus posé, plus stratège, mais toujours charmeur. Barbara Bach, dans le rôle de l’agent soviétique Anya Amasova, apporte une fraîcheur bienvenue. Son personnage, loin d’être une simple faire-valoir, rivalise avec Bond en intelligence et en efficacité. Leur relation, teintée de rivalité et de séduction, donne lieu à des échanges savoureux.Richard Kiel, en Jaws, vole littéralement la vedette. Son physique hors norme et son mutisme en font une figure quasi mythologique, à mi-chemin entre le monstre de cinéma et le cartoon. Curt Jürgens, en Stromberg, est plus froid, plus distant, mais incarne parfaitement le délire mégalomane du méchant bondien.
Privé de John Barry, Broccoli fait appel à Marvin Hamlisch (The Way We Were, Sophie’s Choice), qui compose une partition à la fois moderne et respectueuse de l’héritage musical de la saga. Le thème principal, Nobody Does It Better, interprété par Carly Simon, devient instantanément un classique. Il accompagne le générique avec une sensualité et une mélancolie rares dans l’univers bondien. La musique électronique, utilisée avec parcimonie, donne au film une touche contemporaine sans jamais trahir son identité. The Spy Who Loved Me redéfinit les standards de la franchise. Il impose une formule qui sera reprise dans Moonraker, Tomorrow Never Dies ou The World Is Not Enough : menace globale, gadgets spectaculaires, Bond Girl forte, et méchant extravagant. Il inspire aussi le cinéma d’action des années 80, notamment dans sa gestion du rythme et de l’espace. Le personnage de Jaws, devenu culte, revient dans Moonraker et influence toute une génération de “henchmen” au cinéma.
Conclusion : The Spy Who Loved Me n’est pas seulement une réussite commerciale ou un divertissement efficace. C’est une œuvre qui réconcilie le spectaculaire et le raffinement, l’humour et la tension, le mythe et la modernité. En redonnant ses lettres de noblesse à James Bond, il rappelle que, parfois, personne ne le fait mieux.
