GOLDFINGER (1964)

L’histoire du cinéma regorge de moments où un film, plus qu’un simple divertissement, devient un jalon, un point de référence indépassable pour tout ce qui le suit. Pour la franchise James Bond, ce film est indubitablement Goldfinger. Après le succès retentissant de Dr. No et Bons baisers de Russie, le réalisateur Terence Young ayant posé les fondations stylistiques de 007, déserte la chaise de réalisateur pour ce troisième opus. C’est finalement à Guy Hamilton que reviendra l’honneur de signer ce qui est unanimement reconnu comme l’étalon-or de la franchise, le film où la « formule » Bond se met en place de manière définitive et quasi immuable.

L’adaptation de Goldfinger, le septième roman d’ Ian Fleming publié en 1959, était une étape logique pour les producteurs Albert R. Broccoli et Harry Saltzman. Le succès grandissant des deux premiers films avait créé une attente massive, et l’équipe était désireuse de capitaliser sur cet élan en offrant un spectacle encore plus grandiose. Le projet visait à solidifier l’identité de Bond, à le rendre plus grand que nature, tout en conservant l’essence d’espionnage et de danger. Les influences de l’époque sont palpables : la Guerre Froide bat son plein, l’espionnage est un thème brûlant, et le public est avide d’évasion et de fantaisie technologique. Le film s’inscrit dans une lignée de thrillers d’espionnage qui, à l’instar de certaines productions Hitchcockiennes (comme La Mort aux trousses), mélangent suspense, glamour et une touche d’absurdité contrôlée. Il y a une volonté manifeste de monter en puissance, d’offrir un divertissement plus audacieux, plus inventif, et surtout, plus « bondien » que jamais.

Le choix de Guy Hamilton (connu pour Les Canons de Navarone et qui reviendra à la franchise avec Les Diamants sont éternels et Vivre et laisser mourir) pour succéder à Young fut une décision inspirée. Hamilton n’a pas seulement repris le flambeau ; il a sculpté la pierre brute pour en faire une statue iconique. Son apport est crucial car c’est sous sa direction que la « formule » Bond, telle que nous la connaissons, est définitivement codifiée. La scène pré-générique, qui montre une fin de mission spectaculaire et souvent déconnectée de l’intrigue principale, devient un rituel. La présentation des gadgets par Q, toujours pince-sans-rire, prend une place centrale. La voiture, non plus un simple moyen de transport, mais une extension de l’arsenal de Bond, devient une star à part entière. Les deux Bond Girls – l’une souvent sacrifiée pour souligner le danger, l’autre survivante et partenaire – et bien sûr, le vilain mégalomane charismatique et son homme de main « spécial » et quasi indestructible, sont des archétypes fixés par ce film. Hamilton a su insuffler un sens du spectacle et une efficacité narrative qui ont élevé Goldfinger au-dessus de ses prédécesseurs.

Au cœur de cette formule, il y a bien sûr Sean Connery . Son interprétation de James Bond dans Goldfinger est souvent citée comme sa meilleure, celle où il atteint l’équilibre parfait entre le charme décontracté, l’humour pince-sans-rire et la brutalité calculée. Il est à la fois sophistiqué et dangereux, invincible et vulnérable. Un critique anglo-saxon a souligné que Connery, dans ce film, n’est pas seulement un acteur jouant un rôle ; il est James Bond, avec une aura de confiance et de virilité qui n’a jamais été égalée. Sa présence à l’écran est magnétique, chaque geste, chaque réplique, est empreint d’une assurance qui définit le personnage. Il maîtrise l’art de la réplique cinglante et du regard perçant, rendant Bond à la fois accessible et mythique.

La conception artistique de Goldfinger est une prouesse. Le film est visuellement audacieux, à commencer par l’image la plus culte : celle de Jill Masterson, la « fille en or », recouverte de peinture dorée. Cette scène, à la fois macabre et esthétiquement frappante, est devenue emblématique de l’excès et de l’ingéniosité de la franchise. La mise en scène de Hamilton est dynamique, alternant scènes d’action intenses et moments de dialogue tendus avec une fluidité remarquable. L’utilisation des décors, qu’il s’agisse de la forteresse de Goldfinger ou du Fort Knox, est grandiose et contribue à l’échelle épique du récit. Le montage du film est d’une efficacité redoutable. Il maintient un rythme soutenu, essentiel pour un thriller d’espionnage, sans jamais sacrifier la clarté narrative. Les transitions sont fluides, les scènes s’enchaînent avec une logique implacable, et la tension monte crescendo jusqu’au climax explosif. L’utilisation du split screen lors de la scène du briefing est également une touche innovante pour l’époque, renforçant le sentiment d’urgence et de complexité de la mission.

Le casting de Goldfinger est sans faute, chaque acteur apportant une contribution mémorable. Gert Fröbe (acteur allemand, vu dans Le Jour le plus long et Chitty Chitty Bang Bang…et Le coup du parapluie) est magistral en Auric Goldfinger. Il n’est pas seulement un vilain mégalomane ; il est un homme d’affaires impitoyable, obsédé par l’or, avec une touche de folie contrôlée. Sa performance est nuancée, rendant Goldfinger à la fois menaçant et étrangement fascinant. La confrontation verbale entre Bond et Goldfinger est le point culminant du film, offrant la plus grande réplique de la franchise : « You expect me to talk, Goldfinger? No, Mr. Bond, I expect you to DIE! ». Cette ligne, prononcée avec un calme glaçant par Fröbe, est devenue un symbole de l’arrogance des super-vilains de Bond.

Honor Blackman (actrice britannique, également connue pour son rôle de Cathy Gale dans Chapeau melon et bottes de cuir et Jason et les Argonautes) incarne Pussy Galore, une Bond Girl qui défie les conventions. Elle est forte, indépendante, et ne se laisse pas facilement séduire, offrant une dynamique intéressante avec Bond. Sa transformation, de réticente à alliée, est crédible et ajoute une couche de complexité au personnage féminin. Enfin, Harold Sakata (haltérophile américain et catcheur, également apparu dans Le Secret de la planète des singes) est terrifiant en Oddjob, l’homme de main coréen au chapeau melon tranchant. Sa présence physique imposante et son silence menaçant en font un adversaire redoutable et inoubliable. Ces personnages ne sont pas de simples faire-valoir ; ils sont des forces à part entière qui contribuent à la richesse du film.

La bande-son de Goldfinger est une pierre angulaire de son succès. La chanson thème, interprétée par Shirley Bassey, est une puissance vocale qui capture parfaitement l’opulence et le danger du film. Ses cuivres percutants et la voix puissante de Bassey sont immédiatement reconnaissables et ont établi la norme pour toutes les futures chansons de Bond. Un site de cinéma a fait remarquer que cette chanson n’est pas seulement un accompagnement, mais une entité à part entière qui incarne l’esprit du film. La partition de John Barry, quant à elle, est un chef-d’œuvre de tension et de sophistication, mélangeant des thèmes iconiques avec des arrangements orchestraux audacieux qui soulignent chaque moment dramatique ou humoristique. La musique est aussi un personnage à part entière, amplifiant l’émotion et l’action.

L’influence de Goldfinger sur les films qui ont suivi, non seulement dans la franchise Bond mais dans le genre de l’espionnage en général, est immense. Il a défini la « formule » gagnante : un mélange parfait d’action, de gadgets, de femmes fatales, de vilains mémorables, et d’un humour so british. Chaque Bond qui a suivi a tenté de reproduire, avec plus ou moins de succès, l’équilibre parfait atteint par Goldfinger. La voiture la plus mythique, l’Aston Martin DB5, avec ses gadgets intégrés, est devenue une icône culturelle, un symbole de l’ingéniosité de Q et du style de Bond. Le film a élevé le niveau d’exigence en matière de production pour les films d’action, poussant les limites des effets spéciaux et des cascades pour l’époque. On peut affirmer sans rougir que Goldfinger a non seulement sauvé la franchise Bond en lui donnant une direction claire, mais a également influencé des générations de films d’action et d’espionnage, des parodies aux blockbusters sérieux.

Conclusion : Goldfinger n’est pas simplement un bon film de James Bond ; c’est le film de James Bond. Il incarne l’apogée de l’ère Connery et a établi les conventions qui continuent de définir la franchise des décennies plus tard. Sa réalisation impeccable, ses performances mémorables, sa bande-son emblématique et son impact culturel durable en font un classique intemporel, un véritable étalon-or du cinéma d’action et d’espionnage.

Ma Note : A

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