LE SECRET DE LA PLANETE DES SINGES (1970)

Dans le vaste cosmos du cinéma de science-fiction des années 1970, Le Secret de la Planète des Singes (1970), réalisé par Ted Post (Hang ‘Em High, Magnum Force), se distingue comme une suite audacieuse et mémorable au chef-d’œuvre original de 1968. Ce film, qui plonge plus profondément dans les abysses d’un monde dominé par des primates intelligents, m’a toujours captivé par son mélange d’action effrénée, de satire sociale et d’horreur cosmique. Bien qu’il ait été conçu sous des contraintes budgétaires et temporelles, loin d’être une simple redite, il transforme l’univers établi en un cauchemar apocalyptique, où les thèmes de la guerre nucléaire et de la folie humaine résonnent avec une pertinence intemporelle. C’est une œuvre qui, malgré ses imperfections, reste un pilier du genre, offrant des moments d’une intensité viscérale qui hantent encore les spectateurs d’aujourd’hui.

Les origines de Le Secret de la Planète des Singes remontent au succès phénoménal du premier film, qui avait captivé le public avec son twist iconique sur la condition humaine. Produit par Arthur P. Jacobs (Doctor Dolittle) sous la bannière d’APJAC Productions et distribué par 20th Century-Fox, ce projet a émergé d’une nécessité commerciale autant que créative. Après que le scénario initial de Rod Serling (The Twilight Zone, Seven Days in May) et des idées de Pierre Boulle (Le Pont de la rivière Kwaï, La Planète des Singes) aient été écartés, c’est Paul Dehn (Goldfinger, Murder on the Orient Express) et Mort Abrahams (Doctor Dolittle) qui ont forgé l’histoire, en s’inspirant directement de la fin choc du film original. Le tournage a débuté en février 1969, avec un budget modeste de 2,5 millions de dollars, et s’est achevé en un temps record, intégrant des décors recyclés d’autres productions pour maximiser l’efficacité. Charlton Heston (Ben-Hur, The Ten Commandments), réticent à revenir pleinement, n’a tourné que huit jours, mais son implication a été cruciale pour ancrer la suite dans la continuité. Ce film naît d’une ère marquée par les angoisses de la Guerre Froide, et canalise ces peurs collectives en une fable dystopique, prouvant que les sequels peuvent naître d’une urgence artistique autant que financière.

Les influences de Le Secret de la Planète des Singes sont riches et ancrées dans les tourments de son époque. Le film puise dans les craintes nucléaires post-Hiroshima, évoquant les bombardements de 1945 pour dépeindre un monde ravagé par l’autodestruction humaine. On y discerne l’ombre de la Guerre Froide, avec ses thèmes de paranoïa et d’annihilation mutuelle, influencés par des événements comme les émeutes de Watts en 1965 qui ont marqué les créateurs. Littérairement, il s’inspire du roman de Pierre Boulle, mais étend l’univers vers une horreur plus lovecraftienne, où des forces invisibles corrompent l’esprit. Cinématographiquement, des échos de The Twilight Zone se font sentir dans les twists psychologiques, tandis que l’esthétique post-apocalyptique préfigure des œuvres comme la série Fallout, avec ses mutants et ses cultes irrationnels. Le film intègre des motifs chrétiens déformés, transformant des hymnes en louanges à la bombe atomique, une satire qui reflète les angoisses existentielles des années 1960-1970. L’idée d’une secte humaine adorant une bombe nucléaire comme une divinité est perçue comme une critique puissante de la religion institutionnelle et de la fascination humaine pour l’autodestruction. Cette thématique, encore pertinente aujourd’hui, confère au film une résonance contemporaine inattendue. Ces éléments forgent une identité unique, rendant le récit à la fois intemporel bien qu’ ancré dans son contexte historique.

Dans la filmographie de Ted Post, Le Secret de la Planète des Singes occupe une place charnière, marquant son incursion dans la science-fiction après une carrière dominée par la télévision et les westerns. Connu pour ses réalisations efficaces dans des séries comme Rawhide et The Twilight Zone, Post apporte ici une énergie dynamique qui élève le film au-delà de ses contraintes. C’est son unique contribution à la franchise, mais elle démontre sa polyvalence, passant d’histoires intimistes à un spectacle épique. Contrairement à Pendez les haut et court (1968), où il explorait la vengeance avec Clint Eastwood ou Magnum Force (1973), qui approfondissait les thèmes policiers, ce film lui permet d’expérimenter avec des effets spéciaux et une narration plus sombre. Post y affirme son style pragmatique, privilégiant l’action sur la subtilité, ce qui en fait un jalon dans sa carrière, prouvant sa capacité à gérer des budgets limités pour des résultats impactants. La mise en scène de Ted Post démontre une maîtrise confiante, transformant les limitations en atouts. Il excelle à bâtir la tension dans des espaces confinés, avec des plans dynamiques qui suivent les invasions simiennes et les poursuites souterraines. Les séquences d’action, comme l’assaut sur la zone interdite, sont filmées avec une urgence viscérale, contrastant les vastes déserts avec les tunnels claustrophobes. Post intègre habilement des illusions psychiques, utilisant des superpositions pour évoquer la folie, ce qui ajoute une couche d’horreur psychologique. Sa direction, influencée par son expérience télévisuelle, maintient un rythme soutenu, rendant chaque scène intense.

Dans la franchise La Planète des Singes, ce deuxième volet joue un rôle fondamental. Il élargit l’univers, introduit des éléments mythologiques, et prépare le terrain pour les suites suivantes (Escape from the Planet of the Apes, Conquest of the Planet of the Apes, Battle for the Planet of the Apes). Il est aussi le seul film de la série originale à proposer une fin aussi radicale, où l’humanité est littéralement effacée.Cette audace narrative a inspiré les scénaristes des reboots modernes, notamment Matt Reeves dans Dawn of the Planet of the Apes et War for the Planet of the Apes, qui reprennent la tension entre guerre, religion, et survie. Le film de Ted Post est ainsi devenu une référence pour ceux qui cherchent à dépasser les limites du divertissement pour explorer des thématiques plus sombres et philosophiques.

La conception artistique de Le Secret de la Planète des Singes est un triomphe d’ingéniosité, malgré un budget restreint. Les décors, recyclés de Hello, Dolly! pour les scènes souterraines, transforment des lieux familiers en ruines post-apocalyptiques, comme la station Grand Central devenue un sanctuaire mutant. John Chambers (Planet of the Apes, The Island of Dr. Moreau), maître des maquillages, excelle avec des masques mutants grotesques et des prothèses simiennes raffinées, ajoutant une texture organique aux créatures. Les costumes, mêlant tuniques romaines pour les singes et haillons pour les humains, renforcent le contraste social. Visuellement, le film captive par ses tons sombres et ses motifs gothiques, comme des statues ensanglantées et des illusions télépathiques, créant une atmosphère de malaise constant. C’est une conception qui privilégie les effets pratiques, rendant l’univers tangible et immersif. Le montage, orchestré par Marion Rothman (The Wild Bunch, Pat Garrett and Billy the Kid), confère au film une fluidité nerveuse qui amplifie son urgence narrative. Les coupes rapides entre timelines – flashbacks sur le passé nucléaire et affrontements présents – créent un puzzle engageant, évitant les longueurs tout en construisant le suspense. Ce style elliptique, typique des années 1970, met en valeur les twists, comme les révélations sur les mutants, et rend les scènes gore plus impactantes sans excès. C’est un montage qui élève le récit, transformant une suite potentiellement routinière en un thriller haletant.

L’interprétation du film repose sur un casting remarquable, qui infuse profondeur et humanité à des rôles archétypaux. James Franciscus (The Valley of Gwangi, Killer Fish) brille en Brent, l’astronaute égaré, apportant une vulnérabilité charismatique qui ancre le récit. Kim Hunter reprend le rôle de Zira avec une intelligence nuancée, tandis que Maurice Evans (Rosemary’s Baby) incarne toujours Dr. Zaius avec une autorité imposante. Charlton Heston fait un cameo en Taylor, sa performance finale étant d’une intensité brute. Ces performances solides, souvent sous-estimées, rendent les personnages attachants et le conflit palpable, élevant le film au-delà du simple spectacle.La bande-son, composée par Leonard Rosenman (East of Eden, Star Trek IV: The Voyage Home) fusionne des thèmes orchestraux dissonants avec des percussions rock et une guitare électrique pour un son avant-gardiste. Elle évoque le chaos post-apocalyptique, avec des motifs lancinants qui amplifient la tension, comme lors des invasions. L’hymne dystopique, une parodie de « All Things Bright and Beautiful » louant la bombe, ajoute une ironie mordante. À sa sortie, le film reçoit un accueil mitigé. Les critiques de l’époque lui reprochent son budget réduit, son scénario confus, et l’absence de Roddy McDowall dans le rôle de Cornelius (remplacé ici par David Watson). Pourtant, avec le recul, de nombreux critiques ont réévalué le film.

Malgré ses défauts de production, le film se distingue par l’un des concepts les plus audacieux et influents du cinéma de science-fiction des années 1970. Sa narration audacieuse et sa fin apocalyptique marquante en font une œuvre significative. Il présente une allégorie des temps de fin, avec la confrontation entre les singes militaristes et les humains mutants religieux, critique des extrêmes idéologiques.

Ma Note : B+

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