NEAR DARK (1987)

Near Dark, réalisé par Kathryn Bigelow (A House of Dynamite, Zero Dark Thirty) en 1987, mélange le western crépusculaire et le film de vampires. Ce long-métrage hybride se distingue par son style audacieux et une voix unique qui remet en question les conventions. À une époque où les films de vampires étaient souvent stéréotypés, Bigelow offre une vision brute et poétique de l’errance nocturne. Le film, qui m’a toujours fasciné par son atmosphère et sa profondeur émotionnelle, réinvente le mythe vampirique en une fable sur la famille dysfonctionnelle et la perte d’innocence, sans jamais mentionner le mot « vampire ». Au-delà du simple divertissement, il plonge dans les profondeurs de l’âme humaine à travers un groupe de nomades assoiffés de sang, avec des performances mémorables et un style visuel captivant.

Near Dark naît d’une volonté de subversion. À l’époque, Kathryn Bigelow, jeune réalisatrice après The Loveless (1981), veut rompre avec les conventions hollywoodiennes. Elle coécrit le scénario avec Eric Red, initialement conçu comme un western pur, mais les contraintes financières les poussent à intégrer des éléments vampiriques pour attirer des financements. Avec un budget modeste de 5 millions de dollars, le film est tourné en Arizona et au Nouveau-Mexique, ancrant son horreur dans des paysages désertiques. Malgré une concurrence avec The Lost Boys, la modestie de sa conception donne au film une authenticité où chaque choix créatif semble découler d’une nécessité artistique. Bigelow fusionne ainsi deux genres apparemment incompatibles : le western et le film de vampires. Plutôt que d’utiliser les codes gothiques classiques, elle place le mythe vampirique dans l’Amérique rurale, peuplée de motels délabrés et de routes désertes. Les influences, bien que présentes, ne sont jamais écrasantes. On peut penser à Badlands de Terrence Malick pour la romance fugueuse, à Bonnie and Clyde pour sa violence romantique, et à Martin de George A. Romero, qui avait déjà amputé le mythe vampirique de ses codes esthétiques classique. L’influence des films de bikers, comme ceux de Roger Corman, se ressent dans le portrait d’une bande nomade, tandis que l’esthétique néo-noir rappelle Ridley Scott avec ses nuits éclairées par des néons. Bigelow ne se limite pas à des références : elle forge une esthétique et une mythologie propres. Near Dark devient ainsi un film fondateur dans sa carrière. C’est ici que son style se cristallise : une caméra mobile, une tension constante, une fascination pour les corps en mouvement et les figures marginales. Elle y explore des thèmes qui traverseront son œuvre : la violence, l’identité et la frontière entre le bien et le mal. Ce film marque aussi sa place parmi les réalisatrices qui s’imposent dans des genres traditionnellement masculins.

Visuellement, Near Dark est une œuvre saisissante. Le directeur de la photographie Adam Greenberg (The Terminator) crée des images d’une beauté nocturne, où les lumières sculptent les visages et les ombres deviennent des personnages. Le film, imprégné d’une atmosphère tactile, présente un rythme alternant scènes d’action brutales et moments de silence, où les personnages semblent suspendus. Bigelow filme les vampires comme des nomades et des survivants, offrant une dimension poétique à ce récit. Les corps brûlés par le soleil, les regards perdus et les gestes tendres créent une esthétique de la dérive. Le montage de Howard E. Smith épouse parfaitement le récit, ses transitions abruptes reflètent l’instabilité des personnages. Le film ne cherche pas à tout expliquer, laissant des zones d’ombre qui renforcent l’impression d’errance. Les vampires sont présentés comme des marginaux en quête de sens, et le montage souligne cette tension entre instinct et mémoire. Enfin la musique de Tangerine Dream (Sorcerer, Risky Business) est essentielle à l’atmosphère du film. Elle mélange nappes électroniques et motifs hypnotiques pour créer une ambiance onirique. Cette bande-son, loin des orchestrations classiques du genre horrifique, confère au film une modernité, une étrangeté qui le distingue.

Le casting de Near Dark est un atout majeur. Adrian Pasdar (Heroes, Carlito’s Way) incarne Caleb, jeune homme naïf entraîné malgré lui dans un monde de ténèbres. Son jeu, tout en retenue, permet au spectateur de s’identifier à lui, de partager sa confusion, sa fascination, sa peur. Les vampires, cependant, restent la véritable attraction du film. Lance Henriksen (Aliens, Millennium) est impérial en Jesse Hooker, chef de clan taciturne et charismatique. Bill Paxton (Twister, Apollo 13) est inoubliable en Severen, vampire psychopathe et flamboyant, dont chaque apparition électrise l’écran. Son interprétation, à la fois grotesque et terrifiante, donne au film une énergie brute, une folie contagieuse. Jenny Wright apporte une douceur au personnage de Mae, créant une romance impossible avec Caleb. Jenette Goldstein (Aliens, Terminator 2) complète le tableau avec une présence physique impressionnante, incarnant la brutalité sans fard.. Cette troupe de comédiens, pour beaucoup issus d’Aliens de James Cameron (qui épousera Bigelow peu de temps après), forme une famille dysfonctionnelle où l’humour précède souvent la terreur. Ces performances renforcent l’attachement aux personnages, rendant le conflit plus tangible.

Dans le cinéma vampirique, Near Dark est unique. Il rejette les codes gothiques classiques et ne prononce jamais le mot “vampire”. Il explore plutôt la condition vampirique comme une métaphore de l’exclusion, de la marginalité et de la dépendance. Ce choix a influencé de nombreux films, de Let the Right One In à Only Lovers Left Alive. Malgré son échec commercial à sa sortie, Near Dark a gagné un statut culte au fil des ans, affirmant Kathryn Bigelow comme une réalisatrice majeure capable de naviguer entre les genres avec audace et intelligence.

Conclusion : Œuvre poétique et violente Near Dark va bien au-delà du film de vampires sous la direction de Kathryn Bigelow, pour devenir une exploration de l’isolement, de la marginalité et des liens familiaux dysfonctionnels et nous rappelle que derrière chaque monstre se cache une âme perdue, et que la véritable horreur réside parfois dans notre incapacité à nous connecter les uns aux autres.

Ma Note : A

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