DEADPOOL & WOLVERINE (2024)

J’ai toujours trouvé le terme « fan-service » inapproprié, mais difficile de nier que Deadpool & Wolverine en incarne l’essence même, un film conçu avant tout pour les amoureux du comics et les passionnés des coulisses du genre. Sans réel enjeu dramatique ni justification narrative profonde, il avance par éclats, rythmé par l’énergie contagieuse de ses acteurs et une succession de moments destinés à ravir les initiés – et, il faut bien l’avouer, à flatter mon propre attachement à cet univers. Paradoxalement, Shawn Levy livre une œuvre sans signature esthétique distincte, mais d’une maîtrise technique indéniable. Jamais transcendante, jamais médiocre, elle navigue dans un entre-deux étrange, oscillant entre spectacle calibré et hommage décomplexé. Et pourtant… alors que je me croyais blasé, trop vieux pour ces clins d’œil appuyés, ce moment autour de Wolverine, attendu depuis 25 ans, m’a quand même fait quelque chose. Parce qu’au-delà des artifices, il y a parfois une vraie magie à voir ces icônes reprendre vie, une nostalgie qu’aucune analyse ne peut totalement dissiper.

Sorti en 2024, le film s’inscrit dans un contexte particulier : l’intégration au MCU des personnages mutants longtemps restés sous l’égide de la Fox, une transition rendue possible par le rachat de 2019 par Disney. Cette fusion, attendue depuis des années par les fans, n’est pas anodine : elle marque une étape de plus dans la volonté de Marvel Studios d’absorber toutes ses propriétés, mais aussi d’utiliser la carte de la nostalgie pour relancer un univers cinématographique en perte de vitesse après Endgame. Le projet Deadpool 3 traînait déjà depuis longtemps : dès 2016, Ryan Reynolds et Hugh Jackman rêvaient d’un buddy movie façon 48 Hours ou L’Arme fatale, mais entre les difficultés internes chez Marvel, la pandémie et les grèves de 2023, le film a longtemps semblé compromis. L’arrivée de Shawn Levy a donné une nouvelle impulsion, en proposant un récit hybride qui mélange buddy movie, satire méta et hommage à l’ère Fox, tout en assumant une intégration multiverselle.

C’est précisément ce mélange qui donne au film son identité paradoxale. Deadpool & Wolverine est un objet hybride, entre pastiche et sincérité. Il accumule les références, puise dans des influences aussi diverses que Midnight Run pour la dynamique de duo, The Nice Guys pour l’humour noir, ou même Rashōmon pour ses retours en arrière subjectifs. Mais il reste avant tout un film Marvel calibré, avec une intrigue claire : Deadpool tente de sauver son univers menacé, Wolverine est forcé de l’accompagner malgré lui, et ensemble ils traversent des dimensions pour affronter Cassandra Nova. Rien de réellement neuf, mais une structure efficace qui sert de tremplin à des dialogues acérés, des scènes d’action explosives et surtout une pluie de caméos destinés à séduire le spectateur averti.

Visuellement, Levy s’appuie sur une esthétique pop et colorée qui joue la carte du contraste. Le rouge vif de Deadpool, le jaune et bleu flamboyant de Wolverine, le désert post-apocalyptique du « Néant » jonché de ruines de la Fox : tout est pensé comme une galerie de souvenirs remixés. Les costumes, supervisés par Kurt et Bart, réjouiront les lecteurs de longue date, en particulier le costume enfin fidèle de Wolverine, soigneusement reconstitué à grands frais. À l’inverse, Deadpool multiplie les variations loufoques – cow-boy, ninja, version cheap – qui moquent à la fois le merchandising et l’obsession du collector. Mais ce plaisir visuel, aussi généreux soit-il, frôle parfois l’overdose. Les néons, les explosions au ralenti et les effets pyrotechniques abondants masquent une absence de subtilité, donnant parfois l’impression d’un patchwork un peu trop poli, presque lisse, alors même qu’il se veut irrévérencieux.

Côté action, Levy s’appuie sur le savoir-faire de Jonathan Eusebio, déjà chorégraphe sur Black Panther: Wakanda Forever. Les combats alternent entre brutalité sanglante et parodie cartoonesque. L’usage des câbles et d’effets pratiques garde une physicalité appréciable, mais la transition entre comédie et action est parfois brutale. Une décapitation suivie d’une vanne méta amuse, mais peut aussi casser le souffle dramatique. Pourtant, certains affrontements – notamment les déclinaisons multivers de Wolverine – restent marquants, autant pour leur énergie que pour l’émotion nostalgique qu’ils suscitent.

Le scénario, cosigné par Levy, Reynolds, Rhett Reese et Paul Wernick, poursuit l’héritage des deux premiers Deadpool tout en essayant de greffer l’univers Marvel Studios. Deadpool commente ouvertement les contraintes budgétaires, brise le quatrième mur plus que jamais, et se moque aussi bien du MCU que de ses propres films passés. Wolverine, quant à lui, apporte une gravité bienvenue. Jackman incarne un Logan fatigué, hanté, qui rappelle parfois la profondeur de Logan (2017) tout en retrouvant le mordant du personnage plus jeune. Le duo fonctionne comme prévu : une bromance sous tension, faite d’insultes, de coups de griffes et de complicité mal déguisée. Mais on sent aussi les limites : Reynolds reste le moteur principal, Jackman un appui solide, et les seconds rôles – Emma Corrin en Cassandra Nova glaciale, Matthew Macfadyen en bureaucrate britannique absurde – peinent à trouver leur place.

C’est dans les caméos que Deadpool & Wolverine joue sa carte la plus spectaculaire. Et si certains apparaissent à peine, trois en particulier méritent qu’on s’y arrête tant ils marquent le film. D’abord Channing Tatum, qui incarne enfin Gambit/Remy LeBeau après des années de projets avortés. On se souvient de ses tentatives de lancer un film solo Gambit chez la Fox, plusieurs fois repoussées, avant d’être annulées au moment du rachat par Disney. Pour Tatum, ce cameo est une revanche, presque un accomplissement personnel : il apparaît en Gambit, cartes explosives à la main, accent cajun volontairement appuyé – jusqu’à ce que Deadpool lui-même tourne la chose en dérision. Ce bref moment condense toute une décennie d’attente et permet à Tatum de concrétiser un rêve souvent brisé. La presse américaine a parlé d’un rôle « make-a-wish » pour l’acteur, tant il l’avait espéré. Même si son apparition reste anecdotique pour l’intrigue, elle donne une valeur symbolique forte au film : celle d’un pont vers un « what if » qui ne s’était jamais concrétisé. Ensuite, Jennifer Garner reprend le rôle d’Elektra, presque vingt ans après l’échec du film qui lui était consacré. Sa présence, même limitée, ajoute une profondeur historique. Son retour n’est pas seulement une blague méta : il témoigne de la volonté de Marvel d’intégrer, sans honte, des fragments de son passé jugés moins glorieux, et de les transformer en clins d’œil attendris. Pour certains spectateurs, la revoir manier ses armes rouges a provoqué un vrai frisson nostalgique. Enfin, l’un des retours les plus marquants est celui de Wesley Snipes, qui reprend brièvement son rôle culte de Blade. On aurait pu penser que le personnage était désormais uniquement associé au futur projet porté par Mahershala Ali, mais Snipes revient, lunettes noires et épée à la main, comme si vingt ans n’avaient pas passé depuis Blade: Trinity. Sa présence a d’ailleurs valu un record Guinness : l’acteur est désormais celui qui a incarné le plus longtemps un super-héros Marvel à l’écran, grâce à ce retour inattendu. Ryan Reynolds, qui avait partagé l’affiche avec lui en 2004, orchestre ainsi une réunion symbolique, où la nostalgie prime sur la logique narrative. Snipes lui-même a reconnu avoir accepté par surprise, amusé par l’idée de ce caméo absurde. Le résultat, pour le spectateur, est un moment fort : un flash d’énergie brute venu d’une autre époque, qui rappelle que Blade fut, avant même Iron Man, l’un des pionniers du genre moderne. Ces trois apparitions, ajoutées à d’autres plus anecdotiques, résument bien le fonctionnement du film : le plaisir du clin d’œil, l’émotion de la reconnaissance, mais aussi une dépendance à l’effet de surprise qui finit par montrer ses limites. On sort réjoui de ces retrouvailles, mais conscient qu’elles ne changent pas vraiment la structure du récit.

Le montage, signé Dean Zimmerman et Shane Reid, pousse l’intensité à son paroxysme. À 128 minutes, le film enchaîne les séquences comme un train lancé à pleine vitesse. Les ellipses liées au multivers dynamisent le rythme, les coupes rapides accentuent l’effet comique, les ralentis soulignent la nostalgie. Mais cette hyperactivité a un coût : les scènes de combat se répètent, certaines blagues s’étirent, et l’on ressort parfois fatigué par tant de stimuli. C’est un style qui colle au personnage de Deadpool, mais qui peut aussi donner l’impression d’un film trop pressé pour respirer. La bande originale, composée par Rob Simonsen, accentue encore cette impression de juke-box nostalgique. On passe de Bye Bye Bye de NSYNC à Like a Prayer de Madonna, jusqu’à Good Riddance (Time of Your Life) de Green Day pour conclure. Des choix assumés, orchestrés par Reynolds lui-même, qui fonctionnent comme des parenthèses émotionnelles. La musique originale soutient l’action avec des cuivres et des percussions efficaces, mais le vrai moteur reste ces chansons populaires qui ancrent le film dans une époque révolue. Comme souvent dans Deadpool, la bande-son commente autant qu’elle accompagne. Mais là encore, on peut regretter un manque d’audace : tout est calibré pour flatter, rarement pour surprendre.

Conclusion : Deadpool & Wolverine se présente comme un pont entre deux âges : celui de la Fox, avec ses réussites et ses échecs, et celui du MCU, en quête d’un second souffle. Il offre un divertissement solide, parfois brillant, souvent drôle, mais limité par sa dépendance au clin d’œil et à la nostalgie. C’est à la fois sa force et sa faiblesse : il nous rappelle pourquoi nous aimons ces personnages, mais peine à montrer pourquoi nous devrions continuer à les suivre demain. Et pourtant, malgré tout, la magie opère. Voir Ryan Reynolds et Hugh Jackman se lancer dans cette aventure, sentir la complicité réelle derrière leurs personnages, croiser Tatum, Garner et Snipes le temps d’un clin d’œil… tout cela finit par emporter l’adhésion. Deadpool & Wolverine n’est pas une révolution, ni un chef-d’œuvre du genre. Mais c’est un hommage assumé, une fête pop où l’on rit, où l’on grince, où l’on se surprend même à être ému.

Ma Note : B+

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.