
La franchise Predator a trouvé en Dan Trachtenberg son architecte le plus visionnaire depuis John McTiernan. Avec Prey (2022), il avait opéré un retour aux sources salutaire, transplantant le conflit ancestral dans un cadre historique et en faisant une fable de survie à la fois primitive et novatrice. Avec Predator: Badlands, Trachtenberg ne se contente pas de réitérer son succès ; il entreprend une refonte audacieuse, déplaçant le terrain de jeu vers un futur lointain et sur une planète extraterrestre, Genna. Ce troisième opus sous sa direction – incluant le récent Predator: Killer of Killers – consolide sa vision et confirme son statut de rénovateur de franchises. Loin de se reposer sur les acquis, il prend le contre-pied total de son précédent film, transformant la saga en une odyssée de science-fiction épique où, pour la première fois, le Yautja (la race des Predators) endosse le rôle de protagoniste. Le résultat est un film palpitant, violent, étonnamment drôle et émouvant, qui allie avec une maestria rare la virtuosité technique, la profondeur thématique et le plaisir brut du divertissement.
Le postulat de départ est un pari risqué : faire d’un Predator, cette créature emblématique de la culture pop synonyme de terreur absolue, le héros de l’histoire. Le film suit le jeune Dek, interprété par l’excellent Dimitrius Schuster-Koloamatangi, un guerrier Yautja en quête de rédemption, banni de son clan et déterminé à accomplir une quête personnelle en abattant un adversaire de la taille d’un kaiju sur la planète Genna. Ce prologue, d’une violence extrême, confirme d’emblée que, bien que s’inscrivant dans un format PG-13, en peuplant son film de créatures et de robots, Trachtenberg peut aligner décapitations et démembrements avec une inventivité qui contourne les limitations sans en diluer l’impact. Le parcours de Dek, qui aspire à honorer sa lignée, n’est pas sans rappeler celui de Naru dans Prey, mais la perspective est radicalement différente. Ici, nous sommes dans la tête du chasseur. Grâce à une combinaison remarquable d’effets pratiques – le costume conçu par Alec Gillis est superbe – et de capture de mouvements faciaux, Dek prend vie à l’écran avec un naturalisme inédit. Koloamatangi, bien plus qu’un cascadeur, livre une performance physique et émotionnelle captivante. Portant un masque spécial et des lentilles de contact permettant la retranscription numérique de ses expressions, il donne à Dek une noblesse et une vulnérabilité inattendues. Le linguiste Britton Watkins a même créé une langue Yautja complètement élaborée, que l’acteur a apprise à parler. Les Predators ne se limitent plus à des cliquetis ; ils ont désormais un langage, une culture.
Le génie narratif de Badlands réside dans la relation qu’il tisse entre Dek et Thia, un androïde de Weyland-Yutani interprété avec brio par Elle Fanning. Leur rencontre improbable est le moteur émotionnel du film. Fanning, est à la fois hilarante et charmante avec un naturel confondant. Son personnage, un androïde dont la sensibilité émotionnelle est anormalement développée, est une création délicieuse. À la fois agaçante et profondément attachante, Thia se révèle être une version sèche et sardonique d’un robot fantasque, comme un mélange de C-3PO et de l’Âne de Shrek. Leur dynamique est captivante. Alors que Dek transporte le buste de Thia sur son dos – une image qui n’est pas sans évoquer Chewbacca et C-3PO –, une alchimie unique se crée. Thia, elle, supplie Dek de comprendre que pour survivre sur Genna, il doit appréhender le rôle de son écosystème et de sa faune, non plus en simple prédateur, mais en être conscient. Ce conflit idéologique est le cœur du film. Le scénario, d’une intelligence rare, évite l’écueil de faire de Thia un simple personnage-relais pour le public. Tous les dialogues de Dek en Yautja sont sous-titrés dès le début, éliminant le besoin d’une traduction constante et affirmant Dek comme un protagoniste à part entière. Cette relation est encore enrichie par le miroir que leur tend la « sœur » de Thia, Tessa, également interprétée par Fanning dans une performance glaciale et malveillante. Cet autre androïde, plus avancé mais programmé pour exploiter ses émotions au service des plans de Weyland-Yutani, établit un parallèle frappant avec la relation de Dek et son frère Kwei. Ce thème de la famille élective est exploré avec un pathos et une énergie authentiques. Les concessions que Dek et Thia font dans leurs systèmes de croyance respectifs les rapprochent pour former un nouveau clan, une famille d’adoption contre l’ordre établi. Le film prend son envol dès qu’ils sont à l’écran ensemble, humanisant le Predator en un outsider qu’on acclame, un héros auquel on peut s’identifier.
La mise en scène de Trachtenberg est d’une inventivité constante. Retrouvant le directeur de la photographie de 10 Cloverfield Lane et Prey, Jeff Cutter, le duo insuffle au film une énergie sauvage et une identité visuelle forte. Les scènes d’action sont lisibles, dynamiques, et souvent spectaculaires. Chaque séquence surpasse la précédente, Trachtenberg imaginant constamment de nouveaux obstacles ingénieux pour son héros. Les chorégraphies de combat sont excellentes, intégrant l’environnement hostile de Genna avec une brutalité et une innovation supérieures aux opus précédents. La comparaison n’est jamais raison, surtout quand on compare avec des géants, mais il y a quelque chose de James Cameron chez Trachtenberg : cette maîtrise de la narration dans l’action, la virtuosité de l’intégration des effets visuels, mais aussi cette maîtrise du ton exact qu’il veut donner au film. Dan Trachtenberg dirige avec une précision remarquable, trouvant l’équilibre parfait entre divertissement, sensations fortes et personnages attachants. Des séquences d’action folles et un rythme implacable en font un film incontestablement divertissant, mais jamais vide de sens.
Predator: Badlands est un film d’aventure de science-fiction imaginatif et divertissant. À l’instar de nombreuses reprises réussies de franchises, il exploite la licence comme un terrain fertile pour de nouveaux visuels, des concepts novateurs et une caractérisation décalée. L’aspect le plus subversif de ce film réside dans son goût pour l’absurde et la fantaisie propres à la science-fiction Trachtenberg offre une vision plus bigarrée et épique de l’univers Predator. À l’instar des planètes de la trilogie originale de Star Wars, Genna regorge de créatures et d’environnements qui dépassent notre imagination. Des insectes explosifs minuscules aux vautours géants semblables à des ptérodactyles, en passant par des prairies d’herbes tranchantes comme des rasoirs et des lianes carnivores, la planète est un personnage à part entière. Pourtant, aussi mortelle soit-elle, on y découvre une quantité surprenante de merveilleux. L’introduction d’un petit compagnon simiesque et reptilien, surnommé Bud, pour apporter une touche d’humour, ne sonne jamais faux car son inclusion obéit à une intention narrative plus large et gratifiante. L’élargissement de la mythologie passe aussi par l’intégration plus poussée d’éléments d’Alien, avec la présence centrale de la Corporation Weyland-Yutani. Si cette inclusion est excitante pour son potentiel de crossover, Badlands est une histoire autonome qui utilise ces androïdes pour servir son propre récit, et non comme un appât bon marché pour la franchise. Le film marque un tournant pour la licence, renouant avec une ambition plus épique et plus introspective. Il pose les bases d’un univers étendu grâce à une fin ouverte géniale qui annonce des suites passionnantes, faisant de Trachtenberg le sauveur incontesté de la franchise.
Certains puristes pourraient critiquer Badlands comme une « version édulcorée » de Predator, pointant son humour et la nature plus humanisée de son héros et un ton qui rappelle The Mandalorian. Cette critique superficielle refuse de comprendre les intentions de ce récit et les nécessités d’une franchise. Pour qu’une saga perdure et conserve sa pertinence culturelle – Badlands étant le 7ᵉ film de la série –, elle se doit d’évoluer. Dan Trachtenberg a exploré le potentiel infini de la franchise avec chacun de ses films, maintenant les fans en haleine et conquérant de nouveaux publics.
Conclusion : Predator: Badlands est l’œuvre la plus ambitieuse et la plus aboutie de Trachtenberg. C’est un voyage brutal et émotionnel qui captive sans temps mort, un film qui réussit de rendre attachants un Yautja et un androïde. C’est une œuvre qui allie virtuosité technique, profondeur thématique et plaisir brut. Le casting, mené par un Dimitrius Schuster-Koloamatangi remarquable et une Elle Fanning , est impeccable. Avec ce film, Dan Trachtenberg non seulement sauve la franchise, mais il lui offre une nouvelle galaxie à explorer. On en ressort avec une fervente envie de suites immédiates, convaincu que le futur de Predator n’a jamais été aussi prometteur.