THE BRIDE OF FRANKENSTEIN (1935)

Il existe très peu de suites capables non seulement d’égaler leur modèle, mais de le dépasser avec une audace et un panache tels qu’elles en redéfinissent durablement le genre. Si la grande machine horrifique d’Universal a été lancée avec l’incontournable Frankenstein (1931), c’est bien The Bride of Frankenstein (1935) qui a permis à James Whale — déjà auteur de L’Homme invisible et de Waterloo Bridge — d’élever le mythe à un niveau inédit. Avec ce film, Whale transforme le récit en véritable opéra gothique, foisonnant de thèmes, d’ironie et d’inventions visuelles. Plus qu’une simple continuation, La Fiancée de Frankenstein s’impose comme une méditation à la fois mordante, émouvante et profondément stylisée sur l’aliénation, l’acte de création et l’amour refusé.

Dès la sortie de Frankenstein en 1931, Universal Pictures envisage naturellement une suite. Le succès est immense, autant critique que commercial, et le studio souhaite capitaliser sur cette nouvelle icône. Un premier projet confié à Kurt Neumann avorte, et ce n’est qu’en 1934 queJames Whale accepte de revenir, à une condition non négociable : disposer d’une liberté artistique totale. Le développement s’avère pourtant chaotique. Les scénarios se succèdent, hésitant entre une noirceur encore plus marquée et l’exploration de nouvelles pistes narratives. Plusieurs versions sont abandonnées avant que William Hurlbut et John L. Balderston ne trouvent la bonne approche : un prologue littéraire dans lequel Mary Shelley, Percy Shelley et Lord Byron imaginent la suite du récit. Ce préambule est fondamental. Il inscrit immédiatement le film dans une mise en abyme assumée : La Fiancée de Frankenstein est à la fois un conte, une fable et un rêve éveillé. Le fantastique y est présenté comme une extension directe de l’imaginaire humain. Si le roman de Mary Shelley reste la matrice, Whale choisit cette fois d’explorer ce que le premier film avait laissé en suspens : la solitude de la Créature, sa quête désespérée de reconnaissance et la responsabilité morale du savant face à son œuvre.

Visuellement, l’influence la plus marquante est celle de l’expressionnisme allemand des années 1920. Whale, Britannique formé au théâtre avant Hollywood, s’approprie avec brio cet héritage esthétique, que l’on associe à Caligari ou Metropolis. Ombres hypertrophiées, décors distordus, angles obliques, éclairages en clair-obscur : le monde de Frankenstein devient une projection mentale, un espace artificiel où la folie et la mélancolie se donnent libre cours. Rien n’y est réaliste, tout y est symbolique. Pandora gothique avant l’heure, cet univers assume sa théâtralité et sa dimension presque onirique. Le film est également traversé par une ironie camp et un sous-texte queer souvent commentés, en écho à l’identité de Whale. La relation ambiguë entre Henry Frankenstein et le docteur Pretorius, tout comme le thème de la création sans intervention féminine, ouvrent une lecture sur l’altérité, la marginalité et l’exclusion. Mais là où La Fiancée de Frankenstein se distingue réellement, c’est dans sa capacité à fondre ces influences au sein d’une œuvre cohérente, à la fois baroque, ironique et profondément humaine. Whale transforme le film de monstres en réflexion sur l’art, la différence et la condition humaine. La mise en scène est tout simplement ce qui propulse le film au sommet de l’âge d’or d’Universal. Là où le premier Frankenstein posait des bases solides, cette suite impressionne par sa fluidité, sa sophistication et son audace. Le prologue métatextuel, avec Elsa Lanchester dans le double rôle de Mary Shelley et de la Fiancée, donne immédiatement le ton. Whale déploie une caméra étonnamment mobile pour l’époque, glissant à travers les couloirs du château et les espaces démesurés du laboratoire. Il jongle avec une virtuosité rare entre le suspense gothique, l’émotion la plus pure et une comédie noire délicieusement grinçante.

La rencontre bouleversante entre la Créature et l’ermite aveugle compte parmi les scènes les plus émouvantes du cinéma fantastique classique. À l’inverse, les apparitions de Pretorius et de ses homoncules flirtent avec une ironie presque blasphématoire. Le montage et le cadrage accentuent constamment l’aliénation de la Créature, opposant son visage scarifié en plans serrés à la masse anonyme et violente de la foule. La séquence de la création de la Fiancée constitue un sommet absolu : éclairs, angles vertigineux, montage frénétique, énergie électrique pure. Whale touche ici à une forme de modernité saisissante. Dans sa filmographie, The Bride of Frankenstein est souvent considéré comme le magnum opus du cinéaste. Après The Old Dark House et The Invisible Man, il atteint un point d’équilibre parfait entre esthétisme maniéré, ironie mordante et humanisme sincère. Les effets spéciaux, supervisés parJohn P. Fulton, combinent miniatures, trucages optiques et pyrotechnie avec un raffinement encore aujourd’hui impressionnant. La destruction finale de la tour demeure un moment de pur spectacle. Les décors conçus par Charles D. Hall participent pleinement à cette grandeur artificielle. Monumentaux, volontairement irréalistes, ils confèrent au film une dimension mythologique. Le laboratoire devient un théâtre de la démesure scientifique, tandis que la chaumière de l’ermite ou la chapelle abandonnée se chargent d’une puissance symbolique forte. La photographie de John J. Mescall sculpte les ombres avec une précision picturale, transformant chaque plan en tableau expressionniste. Le montage, signé Ted Kent, imprime au film un rythme fiévreux, alternant poursuites haletantes et moments de grâce suspendue. La séquence de la résurrection est un véritable ballet rythmique, où chaque éclair semble frapper au tempo de la narration. Le maquillage de Jack Pierce affine encore l’impact émotionnel. La Créature de Boris Karloff gagne en expressivité, tandis que le design de la Fiancée devient instantanément iconique. Sa coiffure striée de blanc, son corps gainé de bandelettes, son allure hiératique évoquent une figure à la fois sacrée et monstrueuse, fusion parfaite d’Éros et de Thanatos.

Côté interprétation, Boris Karloff livre une performance capitale. Pour la première fois, la Créature parle, balbutie, exprime son désir d’amour. Karloff en fait une figure universelle de l’exclu, plus humaine que ceux qui le rejettent. Colin Clive incarne un Henry Frankenstein au bord de la rupture, tiraillé entre sa vie conjugale et l’ivresse de la création. Ernest Thesiger, en Pretorius, est inoubliable : cynique, raffiné, presque démoniaque, il incarne l’hubris scientifique dans toute sa splendeur. Elsa Lanchester, enfin, marque l’histoire du cinéma en quelques minutes à peine. Son rejet viscéral de la Créature est d’une brutalité tragique, et son image demeure gravée à jamais.

La musique de Franz Waxman parachève l’ensemble. Première partition entièrement composée pour la saga, elle apporte une ampleur symphonique inédite au film d’horreur. Les leitmotivs donnent une profondeur émotionnelle rare, notamment celui du Monstre, empreint de mélancolie. La scène de la création de la Fiancée atteint un sommet de fièvre orchestrale, mêlant cuivres, percussions et énergie électrique dans une montée en tension vertigineuse. Image et son fusionnent pour offrir une expérience sensorielle totale.

La Fiancée de Frankenstein occupe une place unique dans l’histoire du cinéma. Non contente de surpasser son prédécesseur, elle élargit considérablement son spectre émotionnel et thématique. Humour noir, poésie macabre, tragédie intime : tout s’y entremêle avec une aisance déconcertante. Sa modernité frappe encore aujourd’hui. Solitude existentielle, quête d’identité, peur de l’autre, science irresponsable : autant de thèmes qui résonnent avec une force intacte. Whale parvient à faire rire, trembler et émouvoir dans un même élan, sans jamais sacrifier la gravité de son propos. La conclusion, où la Créature choisit l’anéantissement plutôt que la solitude, demeure l’une des fins les plus cruelles et les plus belles du cinéma fantastique. Par son audace formelle, son humanisme et sa lucidité, The Bride of Frankenstein anticipe des questionnements qui irrigueront la science-fiction et l’horreur modernes, de Blade Runner à Cronenberg. Son influence est immense, perceptible chez des cinéastes comme Tim Burton ou Guillermo del Toro.

Conclusion : En définitive, The Bride of Frankenstein n’est pas seulement un sommet du cinéma fantastique. C’est un poème en noir et blanc, un conte moral, une icône esthétique et sonore. L’exemple rare d’un studio laissant un auteur s’exprimer pleinement, pour donner naissance à une suite qui écrase l’original et demeure, près d’un siècle plus tard, culturellement, historiquement et artistiquement essentielle. Longue vie au monde des dieux et des monstres !

Ma Note : A+

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