IT : WELCOME TO DERRY Saison 1

Welcome to Derry n’est pas simplement une préquelle de plus dans un paysage audiovisuel saturé de spin-offs et d’expansions d’univers. C’est une plongée ambitieuse, méticuleuse et profondément respectueuse dans les entrailles d’un des mythes horrifiques les plus riches de la pop culture moderne : celui de Pennywise et de la ville maudite de Derry, créés par Stephen King. Dès les premières minutes de son épisode pilote, la série, portée par la vision des frères et sœur Muschietti (Andy et Barbara) et du scénariste Jason Fuchs, affirme sa volonté de ne pas être un simple complément aux films It (2017 et 2019), mais bien une œuvre à part entière, une fresque à la fois historique, sociale et surnaturelle. Elle explore les racines du mal qui imprègne les trottoirs, les égouts et les consciences de cette petite ville du Maine, tout en renouvelant avec brio les codes de l’horreur « kingienne » pour la télévision.

Le pari le plus risqué de Welcome to Derry était de s’attaquer à des zones d’ombre laissées volontairement mystérieuses par le roman originel. Là où les films se concentraient sur le duel entre le Club des Ratés et l’Entité, la série remonte le temps pour s’intéresser au terreau dans lequel cette entité prospère : la ville elle-même, ses habitants, et les cycles de peur et de violence qui la traversent. La saison 1, située en 1962, ne se contente pas de montrer « Pennywise avant les films ». Elle construit une mythologie élargie, une histoire cachée de Derry, faisant de la ville un personnage à part entière, au caractère aussi sombre et complexe que n’importe lequel de ses résidents. La fidélité à l’esprit « kingien » est le pilier de cette réussite. La série maîtrise parfaitement l’alchimie caractéristique de l’auteur : un mélange de drame émotionnel poignant, d’horreur psychologique insidieuse et de commentaire social acéré. L’Amérique des années 1960 n’est pas qu’un simple décor ; c’est un incubateur de peurs bien réelles – la ségrégation raciale, la paranoïa de la Guerre Froide, la violence domestique, l’hypocrisie des apparences – que Pennywise va exploiter et amplifier. La série comprend que la véritable horreur chez King naît souvent de la cruauté humaine bien avant la manifestation du monstre. En ancrant le surnaturel dans un réalisme social brutal, Welcome to Derry gagne une profondeur et une résonance qui dépassent le simple spectacle d’effroi.

La série ambitionne chaque saison d’explorer un cycle précédent de 27 ans (1935, 1908…), faisant de la série une véritable épopée historique du mal. Cette structure permet une exploration patiente et détaillée, évitant l’écueil du préquel bâclé qui ne ferait que répondre à des questions inutiles. Ici, chaque révélation sur Pennywise sert à enrichir le mythe sans l’appauvrir par une explication trop rationnelle. L’implication personnelle de Stephen King, qui a accordé sa bénédiction et une grande liberté créative à l’équipe (« Il nous a dit : « Foncez » »), se ressent à chaque instant : c’est une expansion autorisée, presque canonique, qui respecte l’esprit de l’original tout en osant inventer.

La saison 1 de Welcome to Derry est un modèle de construction narrative progressive. Le rythme, volontairement patient au début, permet une immersion totale et un investissement émotionnel dans les personnages, avant de basculer dans un crescendo horrifique et émotionnel implacable mais sans recourir à des épisodes de « remplissage ». L’ouverture est un coup de maître. La séquence choc et gore impliquant un bébé démoniaque pose d’emblée les règles : l’horreur ici ne sera pas retenue, et elle s’attaquera aux tabous les plus profonds. Andy Muschietti, à la réalisation, installe une atmosphère d’inquiétude palpable dans une esthétique « Americana » des sixties parfaitement reconstituée – un hommage à Norman Rockwell corrompu par une sourde menace. L’introduction des nombreux personnages est fluide et efficace, créant immédiatement des liens d’attachement avec le spectateur. La série prend son temps pour développer ses arcs narratifs. L’épisode 2 approfondit les thèmes sociaux, notamment le racisme, à travers le personnage de Ronnie, tandis que l’horreur devient plus grotesque et psychologique. L’épisode 4, « The Great Swirling Apparatus… », marque un tournant avec des séquences de body horror mémorables et des révélations cruciales sur l’arrivée historique de « Ça » sur Terre, mêlant cosmique et viscéral de manière brillante. Le retour à la maison hantée de Neibolt Street, lieu iconique des films, est traité comme un événement dans l’épisode 5. La réapparition tant attendu de Pennywise (Bill Skarsgård) est terrifiante, et les séquences dans les égouts rappellent la claustrophobie du meilleur de l’horreur. La série prouve qu’elle peut rivaliser avec le spectacle cinématographique tout en approfondissant sa propre mythologie. Le 7e épisode centré sur le prologue tragique du Black Spot – un club fréquenté par la communauté noire de Derry, brûlé dans des conditions horribles est une démonstration de la puissance narrative de la série. Il lie de façon indissociable l’horreur surnaturelle (Pennywise manipulant les flammes et les peurs) à une tragédie historique et sociale réelle. L’émotion y est déchirante, les performances (notamment de Jovan Adepo et Chris Chalk) sont magistrales, et l’horreur atteint une intensité brute et politique rare. C’est l’incarnation parfaite de la promesse « kingienne » : la monstruosité humaine et l’entité maléfique ne font qu’un. Enfin le final est tout ce qu’on peut attendre d’une série d’une telle ambition. Un épisode spectaculaire au rythme est implacable, qui enchainent les twists narratifsà la fois payants et émouvants, et les révélations sur la nature cyclique du mal à Derry. La conclusion offre une résolution partielle tout en ouvrant intelligemment la voie aux saisons futures, avec un épilogue qui crée un lien direct et poignant avec le film de 2017.

Skarsgård réinvestit son rôle de PennyWise avec une maîtrise terrifiante. Libéré de la nécessité de simplement reproduire sa performance des films, il explore ici de nouvelles facettes du personnage : plus calculateur, plus sinistre, presque philosophe dans sa perversion. Sa capacité à alterner entre un charme glaçant et des explosions de violence pure est magnétique. Si Pennywise est l’attraction, les habitants de Derry sont l’âme de la série. Le casting, diversifié et exceptionnellement talentueux, est une des clés de son succès. La famille Hanlon, noire dans un Derry ségrégationniste, offre une perspective essentielle et profondément humaine. Jovan Adepo en Leroy, vétéran marqué, incarne une bravoure tourmentée et un charisme poignant. Taylour Paige, dans le role de Charlotte, est l’ancre émotionnelle de la série, apportant une force et une vulnérabilité nuancées. Le coup de génie narratif est l’introduction de Dick Hallorann (le personnage de Shining), Sa présence, loin d’être un simple caméo clin d’oeil, crée un pont thématique fascinant entre les univers de King, explorant le « Shine » comme une arme et une vulnérabilité face à l’Entité. A ce coup de génie narratif s’ajoute un casting parfait Chris Chalk est fantastique incarnat la fragilité mais aussi le potentiel du futur mentor de Danny Torrance avec une gravité remarquables. Nouveau pilier de la série, ce groupe d’amis (Lilly, Marge, et d’autres) possède une chimie immédiate et naturelle qui rappelle la magie des Losers’ Club, sans être une pâle copie. Leur diversité et leurs personnalités distinctes en font des protagonistes crédibles et touchants. Clara Stack (Lilly) et Matilda Lawler (Marge) livrent des performances étonnantes de maturité, capturant toute la terreur et la résilience de l’enfance face à l’innommable. La série offre aux cinémaphiles des années 80 et 90 deux cadeaix avec la présence de James Remar (The Warriors) qui apporte une complexité bienvenue au General Shaw le militaire en charge d’un projet d’exploitation de la créature, tandis que Madeleine Stowe (Le Dernier des Mohicans, L’armée des 12 singes) est envoûtante et inquiétante dans le double rôle d’Ingrid Kersh / Periwinkle, ajoutant une couche de mystère historique au folklore de Derry.

Welcome to Derry est une série aux « production values » résolument cinématographiques. La direction artistique, signée par l’oscarisé Paul Austerberry, recrée le Derry des années 1960 avec un souci du détail obsessionnel. La ville est un personnage à part entière : ses rues propres et colorées en surface contrastent violemment avec la pourriture et l’obscurité de ses égouts. Cette dualité est magnifiée par une photographie superbe, qui utilise des palettes chaudes et pastel pour le quotidien, basculant vers des tons froids, bleutés et des contrastes brutaux pour les séquences d’horreur. Les effets, qu’ils soient pratiques (maquillages prothétiques grotesques, décors labyrinthiques) ou numériques, servent l’histoire avec une audace remarquable pour une série. Et si certains moments de CGI pur peuvent être discutables, ils sont le plus souvent au service d’une horreur maximale, viscérale et cauchemardesque, repoussant les limites de ce qu’on a pu voir auparavant à la télévision. La bande-son de Benjamin Wallfisch, compositeur des films, est un personnage à part entière. Elle évolue entre des thèmes mélancoliques et des nappes inquiétantes. Le générique d’ouverture, magnifique et inquiétant, mérite une mention spéciale pour sa capacité à encapsuler l’esthétique et le ton de la série.

Welcome to Derry réussit l’exploit d’être à la fois un divertissement horrifique de premier ordre et une œuvre à la résonance sociale forte. En explorant le racisme systémique (l’épisode The Black Spot), les séquelles de la guerre, les abus cachés derrière les portes closes et la militarisation de la société, la série ancre ses monstres dans un terreau de vérités historiques douloureuses. Elle montre comment Pennywise n’invente pas la peur ; il se nourrit de celles qui existent déjà, les amplifie et les révèle au grand jour. Cette approche confère à l’horreur une pertinence et une puissance au-delà du frisson éphémère. La série parvient à enrichir considérablement l’expérience des films It. Certains moments, certaines références, prennent une dimension nouvelle et plus tragique après avoir vu la série. Elle élève également la barre des adaptations de Stephen King à la télévision, montrant qu’avec une vision claire, des moyens appropriés et un profond respect pour la source, il est possible de créer des expansions qui rivalisent en qualité et en ambition avec les œuvres originales.

Welcome to Derry est un « masterpiece » horrifique moderne, une série qui comprend que la peur la plus durable naît de l’investissement émotionnel et de la pertinence thématique. Fidèle à l’esprit de Stephen King, ambitieuse dans son expansion mythologique, techniquement impeccable et portée par des performances exceptionnelles, elle offre une expérience télévisuelle immersive, et profondément satisfaisante. Elle ne se contente pas de faire allusion au mythe ; elle l’approfondit, le complexifie et le revitalise pour une nouvelle génération. La saison 1, avec sa montée en puissance magistrale jusqu’au finale époustouflant de « Winter Fire », pose des bases solides pour une saga qui promet d’explorer les recoins les plus sombres de l’Amérique et de l’âme humaine. Pour les fans de King, pour les amateurs d’horreur intelligente, pour les amoureux de la grande télévision, Welcome to Derry est un indispensable.

Ma Note : A

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