
J’ai eu, en sortant de la salle, la même impression qu’en 1995 après L’Armée des 12 singes. Ce sentiment rare d’avoir vu un vrai film de science-fiction : intelligent, émouvant, ambitieux, et surtout totalement maîtrisé. Looper (2012), réalisé par Rian Johnson, présente un futur crédible, à la croisée du réalisme social et de la dystopie. On y découvre une société en déliquescence, où la technologie la plus avancée côtoie la misère la plus brute. Ce monde évoque la grande SF littéraire des années 70 — celle de Philip K. Dick ou Robert Silverberg — mais aussi le désenchantement visuel d’un Children of Men. La mise en scène de Johnson est d’une sobriété exemplaire : pas d’esbroufe numérique, mais des touches visuelles subtiles et parfois surréalistes, qui rappellent autant Alex Proyas (Dark City) que David Lynch. Son futur est rétro, plausible, texturé — un monde tangible, où tout semble avoir vécu.
Sur ce décor, Johnson déploie son concept des « Loopers », tueurs chargés d’éliminer des cibles envoyées du futur. L’idée, complexe sur le papier, devient limpide grâce à la voix off et à la clarté de la mise en scène. C’est d’ailleurs la grande force du film : jamais les paradoxes temporels ne se dressent entre le spectateur et le plaisir de la narration. La mécanique du temps, ici, s’efface devant la logique émotionnelle. Le scénario, écrit par Johnson lui-même, est d’une richesse rare. Derrière la rigueur du récit de science-fiction se cache une fable humaine sur le libre arbitre, la rédemption et la possibilité de briser le cycle de la violence. Looper commence comme un polar futuriste et glisse peu à peu vers un drame intime, presque mélancolique, où le cœur l’emporte sur le concept. Toutes les grandes questions du voyage dans le temps y sont abordées, mais toujours au service des personnages. Loin d’être un film d’action classique, c’est une réflexion sur les choix, les conséquences et la transmission.
Côté interprétation, on n’avait pas vu Bruce Willis aussi habité depuis ses collaborations avec M. Night Shyamalan (Sixième Sens, Incassable). Le rôle joue sur sa double image : celle du dur à cuire iconique et celle de l’homme fatigué, rongé par la perte. Il y a chez lui une sincérité désarmante, une mélancolie qu’on croyait disparue. On sent qu’il a trouvé chez Johnson un projet d’auteur à la mesure de son talent. Et ce dernier, en fan avisé, lui offre une pose iconique qui restera dans les mémoires, au même titre que celle de Pulp Fiction. Face à lui, Joseph Gordon-Levitt, méconnaissable sous un maquillage subtil qui le rapproche de Willis, impressionne. Plutôt que de tomber dans l’imitation, il crée un personnage crédible, à la fois jeune loup et homme en devenir. Par petites touches, il évoque son aîné sans jamais forcer le trait. Au fil du récit, son jeu se densifie : on voit littéralement son regard changer, se durcir, s’humaniser. Une transformation intérieure parfaitement rendue.
Les seconds rôles ajoutent une richesse rare à l’ensemble : Emily Blunt, bouleversante en mère courage recluse à la campagne, Jeff Daniels, faussement affable en parrain du futur — avec au passage une réplique sur la France qui a fait éclater de rire toute la salle —, et surtout le jeune Pierce Gagnon, saisissant dans le rôle du petit Cid. Son intensité dérangeante doit beaucoup à la direction d’acteurs de Johnson, toujours juste et précise. Et puis, il y a cette fin. Tant de films ambitieux échouent à conclure dignement leur propre complexité ; Looper, au contraire, atterrit avec une grâce rare. Sa conclusion est à la fois simple, émouvante et totalement cohérente avec les deux heures qui précèdent. On sort du film avec le sentiment d’avoir vécu un grand moment de cinéma, un de ceux qui vous hantent longtemps après la projection.
Conclusion : La campagne marketing laissait penser à un film d’action futuriste à la Terminator — et la filiation n’est pas totalement absente —, mais Looper s’avère bien plus cérébral et sentimental que prévu. Ce n’est pas un film « action-packed », mais une œuvre de science-fiction adulte, réflexive et profondément humaine. Avec Looper, Rian Johnson révèle un véritable auteur, capable de marier concept, émotion et rigueur narrative. C’est l’un de ces films qui redonnent foi dans la SF contemporaine, un futur classique déjà culte, et sans doute l’un des plus beaux de sa décennie.
Ma Note A-
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