Pour son 32e film en tant que réalisateur American Sniper apporte à Clint Eastwood son plus grand succès commercial, plus de 300 millions à ce jour sur le territoire US (plus gros succès classé R de tout les temps derrière la Passion du Christ) mais aussi une polémique sur la nature politique de son film pas sans rappeler le procès pour fascisme qui lui fut intenté à l’époque de Dirty Harry. Alors American Sniper film de propagande ou grand film de guerre ?
Pour rendre hommage à un de ses plus célèbres western spaghettis je vais organiser ma critique en trois chapitres :
The good
La force de American Sniper c’est avant tout son acteur-producteur Bradley Cooper impressionnant dans le film au sens propre par la masse acquise pour avoir la stature de l’ex Navy Seal mais aussi par son jeu puissant et pourtant tout en nuance. Il en faut pour incarner ce texan taiseux mu par une volonté de défendre la patrie et montrer le coût psychologique de la guerre des ennemis qu’il abat comme des frères d’armes qui meurent. Bradley Cooper fait apparaître le syndrome post-traumatique qui le frappe par petites touches, c’est encore une grande performance à mettre à l’actif d’un acteur discret mais qui s’impose par sa versatilité comme un des meilleurs de sa génération.
Même si il est nommé aux oscars et vendu comme un drame American Sniper est avant tout un film de guerre qui consacre la majeure partie du métrage aux combats dans lesquels Kyle s’est illustré.
Epaulé par ses collaborateurs habituels Tom Stern à la photo et Joel Cox au montage la mise en scène sobre, « seche » de Clint Eastwood fait merveille dans ces séquences, en particulier l’ouverture du film tendue comme un arc (utilisé dans le premier teaser du film) ou Kyle doit décider si il abat ou non une mère et son enfants s’approchant d’un convoi militaire US. Eastwood fait varier le style de chaque séquence de guerre évitant la monotonie , il orchestre ainsi l’ attaque d’un repaire d’insurgé au tempo d’un morceau de jazz ou met en scène un dernier assaut façon vu du ciel se terminant dans une tempête de sable qui fait basculer le film d’un réalisme brut à la photo désaturée à une ambiance irréelle aux couleurs ocres qui marque les adieux de Kyle à l’Irak. Il y a même un petit coté western à American Sniper le script organisant les actions de kyle autour de la traque de terroristes mis à prix et lui inventant un alter-ego maléfique en la personne d’un sniper syrien d’Al-Quaida.

The Bad
Le coté dramatique du film repose sur les épaules de Bradley Cooper pas vraiment aidé par un scénario qui certes adapte l’autobiographie du soldat mais peine à en dégager un véritable arc pour son personnage principal.
Après une introduction sur l’enfance du héros au Texas sous l’égide d’un père rigide enchaîne l’entrainement (j’avoue être très client de ce type de « montage » décrivant les classes des recrues d’autant que les dialogues sont très drôles) puis les 4 « tours » de Chris Kyle en Irak de façon assez mécanique entrecoupés de retours au pays marqués par les tensions dans son couple et le syndrome post-traumatique qui commence à l’affecter. Ces passages sont trop brefs et caricaturaux pour fonctionner vraiment. Sienna Miller qui joue son épouse ne démérite pas mais son jeu n’est pas au niveau de celui de Cooper même si elle n’est pas aidé par l’écriture de son personnage (et peut être le plus faux « faux bébé » de l’histoire du cinéma).
Les seconds rôles de ses compagnons d’armes sont trop génériques et discrets pour donner de l’épaisseur au liens de Kyle avec ses compagnons d’armes. Certains éléments sont abandonnés en cours de route comme la relation entre Chris et son frère cadet.
De manière générale American Sniper souffre de la comparaison avec d’autres films d’Eastwood ou les mêmes thèmes en particulier le coût psychologique d’une vie de violence sont beaucoup mieux traité (dans Impitoyable par exemple).

The Ugly

Même si l’on connait les inclinaisons politiques de Eastwood, on se le remémore vociférant après une chaise vide représentant Obama lors d’une convention du parti républicain, c’est un raccourci de faire de lui un va t’en guerre, il faut se remémorer des morceaux de sa filmographie comme le dyptique « Memoires de nos péres » et « Lettres d’Iwo Jima » ou encore « Le Maître de Guerre » déja sur fond d’intervention américaine très politique pour s’en convaincre.
A mes yeux les seuls films de guerre ne la glorifiant pas sont ceux qui ne la montrent pas, l’exemple parfait étant Né un 4 juillet d’ Oliver Stone qui nous confronte uniquement à son absurdité et son horreur. La force d’ iconisation du cinéma est telle que montrer les combats entraîne une fascination et donc une ambiguïté. En choisissant d’adapter la biographie de Chris Kyle, pas vraiment un pacifiste à la Ron Kovic, Eastwood adopte inévitablement son point de vue et en fait un protagoniste auquel on s’attache même si c’est avant tout un assassin d’état mais c’est la règle du genre.
Hélas, Eastwood bascule ici dans une justification de l’intervention en Irak qui n’est pas pas sans rappeler celle d’un autre conflit celui du Viet-Nam par ‘un autre acteur-réalisateur John Wayne dans un film lui aussi controversé « Les Béréts verts ». Certes il expose de manière brutale les terribles conséquences de la guerre en Irak mutilations des corps et dégâts psychologiques sur les vétérans mais semble la cautionner en entretenant le mythe d’une guerre nécessaire adoptant la version « Bushiste » des événements.Cette version à savoir une attaque qui arrête Al Quaida en Irak l’empêchant d’attaquer le sol des USA reconnue comme fausse sous-tend le film.
En entretenant le mythe d’une guerre nécessaire même si elle est sale qu’Eastwood fait oeuvre de propagande avec AmericanSniper Assez décevant de la part de ce vieux maverick inclassable de Clint.
Que ce soit au travers sa mise en scène (le couple Kyle découvre à la télévision les attaques du 11 septembre suivi directement par une image de l’Irak) , ses dialogues (quand un soldat demande à Kyle pourquoi ils se battent dans ce coin de désert, ce dernier réponds « tu veux voir ses sauvages dans les rues de New York ? ») , l’insistance sur la proximité des cibles de Kyle avec Ben Laden tout concours à accréditer le lien entre le 11 septembre, Al Quaida et l’invasion de l’Irak. Seulement la réalité est tout autre il n’y a jamais eu aucun lien entre l’Irak et les attentats de New York, Al Quaida n’ était pas présent en Irak AVANT l’intervention américaine , c’est bien l’effondrement du régime de Saddam qui l’a fait émerger dans la région.
Conclusion : American Sniper est film de guerre classique porté par l’interprétation exceptionnelle de Bradley Cooper mais qui accrédite une version de l’Histoire discutable.
Ma note : C
American Sniper de Clint Eastwood (sortie le 18/02/2015)