Si vous avez suivi le festival de Cannes cette année, vous avez forcément entendu parler du dernier film de Paolo Sorrentino qui fait suite à La Grande Bellezza (qui rappelons le fut oscar du meilleur film étranger 2014).L’affiche osée qui a fait parler d’elle, le casting cinq étoiles… Tout ceci a créé pas mal d’attente mais le film a divisé la croisette et est revenu bredouille de son escapade cannoise.Tout ceci mérite bien une petite explication.
Sorrentino a ses fans et détracteurs et quand on parle de ses films, certains qualificatifs tels que vulgaire, burlesque, excessif, esthétique, spleen, kitsch ou encore cynique reviennent assez régulièrement.
Youth est un peu tout ça à la fois et bien plus encore.
Pour cela, le réalisateur décide de figer le temps dans les montagnes helvètes et d’observer ses ravages sur les corps, mais aussi dans les têtes, des personnages peuplant cet hôtel de luxe montagnard.
Il y suit notamment deux octogénaires : un ex-compositeur à la retraite complètement « apathique » (très grand Michael Caine) et son ami réalisateur boulimique qui lui n’a pas encore baissé les bras (tout aussi grand Harvey Keitel) déambuler au milieu d’une galerie de personnages secondaires plus étonnant les uns que les autres, qui les amèneront à faire un bilan de leurs vies.
On ne peut s’empêcher de penser à Woody Allen en voyant ce film doté d’un humour noir ravageur, de questionnement existentialiste sur la vie, la mort, l’Art, l’amour, l’amitié, le temps qui passe…
Pas dans la forme ou le film détonne par un esthétisme à la limite du surréalisme tant Sorrentino veut absolument sublimer chaque cadre avec une photo hyper-léchée, en faisant virevolter sa caméra dans des mouvements majestueux frôlant régulièrement l’onirisme ainsi qu’en utilisant un montage « pop » (bien aidé par une des plus belles BO de l’année) pour livrer un objet formel assez grandiloquent.
Mais dans le fond, le réalisateur qui officie aussi en tant que scénariste brasse une multitude de thèmes avec cette volonté constante de faire rire ou d’émouvoir, tout en disséquant avec une acuité impressionnante au sein de ce microcosme, tout ce qui compose les vies de ces personnages.
D’une masseuse à Maradona, d’un gamin musicien à un moine bouddhiste en passant par la fille de Michael Caine (incroyable Rachel Weisz) ou d’un acteur à un tournant de sa vie (Paul Dano qui confirme tout le bien que l’on pense de lui), chaque personnage que l’on croise est sujet à plaisanterie ou piste de réflexion, voire très souvent les deux.
Et pour comprendre le résultat obtenu, Sorrentino signe une profession de foi au sein même de son film grâce à ses deux personnages principaux : en effet Keitel est obsédé par l’idée de délivrer au monde son « ultime testament intellectuel, spirituel et cinématographique » tandis que Caine rumine sa carrière dont on n’a retenu qu’un « simple moment de légèreté » avec ses fameuses Chansons Simples.
Youth est en effet un moment de légèreté de par son humour corrosif, son ironie mordante, ses situations directement issues de la comedia del arte, ses figures plus ou moins reconnues (on peut s’amuser à faire un Who’s Who des personnages secondaires dans la vraie vie) et ses blagues pas toujours très fines.
Mais dans le même temps, le film cristallise toutes les manies, tous les questionnement du cinéma du prodige italien qui livre avec ce film une réflexion mature sur ses intentions de réalisation ainsi que sur la vie en général.
Pour conclure, si le film peut paraître indigeste aux vu des nombreux personnages à suivre et des thèmes abordés, trop mélodramatique, pompeux ou encore de mauvais goût dans certains de ses effets, il n’en reste pas moins une vraie proposition de cinéma baroque alternant méta et absurde, rires gras et moment de grâce, noirceur et réelle tendresse…
Si le bigger than life ne vous rebute pas, vous auriez tort de vous en priver car peu de films cette année peuvent prétendre à un tel niveau de maîtrise de la part de son auteur.
Note : A
Youth de Paolo Sorrentino (sortie le 09/09/2015)