ETERNALS (2023)

Dans Eternals, Chloé Zhao (Nomadland, The Rider) tente une synthèse improbable entre le gigantisme cosmique de Jack Kirby et une esthétique contemplative héritée de Terrence Malick. Le résultat, bien que bancal, possède une audace rare dans le cadre ultra-formaté du MCU. Le film convoque des influences aussi diverses que Blade Runner 2049, Interstellar ou The Tree of Life, et s’en inspire pour construire une temporalité étirée, presque méditative, qui tranche avec le rythme habituel des productions Marvel. Cette ambition narrative, qui embrasse 7000 ans d’histoire humaine, se heurte à une exécution parfois laborieuse, où les enjeux métaphysiques peinent à trouver leur place au sein d’un récit de super-héros. Pourtant, dans ses meilleurs moments, Eternals parvient à faire résonner une forme de poésie visuelle, notamment dans ses séquences de flashbacks ou ses dialogues sur le libre arbitre et la mémoire.

Ce qui frappe dès les premières séquences de Eternals, c’est le renoncement manifeste à l’exubérance graphique et cosmique qui définissait la patte de Jack Kirby. Là où l’on espérait des architectures délirantes, des couleurs criardes en collision, des figures divines sculptées dans la psyché d’un visionnaire, le film opte pour une sobriété quasi méditative. L’univers des Célestes, pourtant propice à des envolées visuelles, se retrouve encapsulé dans un langage formel plus discret, presque timide, qui trahit en partie la promesse initiale d’une odyssée sensorielle. Cette absence de démesure n’est pas sans conséquence : elle édulcore la portée mythologique des Eternals, en réduisant leur impact visuel à des échos symboliques plutôt qu’à des affirmations flamboyantes.

Techniquement, le film se distingue par une photographie soignée, signée Ben Davis (Guardians of the Galaxy, Three Billboards Outside Ebbing, Missouri), qui privilégie les décors naturels et les lumières dorées. Les paysages désertiques, les ruines babyloniennes et les plages battues par le vent confèrent au film une majesté discrète, loin des fonds verts criards du MCU. Les effets spéciaux, bien que présents, s’effacent souvent derrière une mise en scène plus organique, ce qui donne aux combats une texture plus tangible. Le design des Déviants, en revanche, reste générique, et leur rôle dans l’intrigue semble secondaire. La musique de Ramin Djawadi (Game of Thrones, Pacific Rim) accompagne le récit avec une certaine élégance, mais manque de motifs mémorables pour s’imposer durablement. Le casting, quant à lui, est aussi hétérogène que les tonalités du film : Gemma Chan apporte une douceur mélancolique, Richard Madden une rigidité tragique, tandis qu’Angelina Jolie et Barry Keoghan injectent une intensité bienvenue. Mais cette diversité, bien qu’intentionnelle, crée une dissonance qui nuit à la cohésion dramatique.

La comparaison avec le comic-book originel révèle une relecture radicale. Là où Kirby exaltait la démesure et la flamboyance, Zhao opte pour une introspection diffuse, presque éthérée. Les Eternals ne sont plus des dieux arrogants, mais des entités fatiguées, en quête de sens. Cette approche, bien que louable, dilue la puissance mythologique des personnages. Le film conserve quelques éléments du matériau d’origine — l’Uni-Mind, les Célestes, le conflit avec les Déviants — mais les réinterprète à travers une grille émotionnelle plus contemporaine. Le résultat est une œuvre hybride, ni tout à fait fidèle ni totalement émancipée, qui cherche à concilier la grandeur cosmique avec les dilemmes moraux de l’humanité. Certains arcs narratifs, comme celui de Phastos ou de Druig, offrent des perspectives intéressantes sur la responsabilité et la technologie, mais d’autres, comme celui de Sprite, restent sous-exploités.

Reste un film singulier, dont la volonté de se démarquer mérite d’être saluée, mais qui laisse planer un regret tenace : celui de ne pas s’être laissé submerger par l’imaginaire dément de Kirby, véritable moteur de transcendance visuelle. Ce manque de flamboyance est d’autant plus ressenti que Eternals, en cherchant à faire dialoguer introspection et cosmologie, aurait pu trouver dans l’extravagance graphique un puissant levier émotionnel. Ce que l’on retient, finalement, c’est l’audace d’avoir osé une autre voie, mais aussi le silence assourdissant d’un héritage visuel que l’on aurait voulu voir hurler à l’écran.

Ma Note : B

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