THE GORGE (2025)

Avec The Gorge, Scott Derrickson signe un objet filmique à la croisée des genres, un hybride aussi inattendu qu’envoûtant. Mélange audacieux entre la romance tendre d’un You Got Mail, l’action horrifique d’un Resident Evil et l’étrangeté SF d’un Annihilation, le film illustre bien la démarche du cinéaste : naviguer entre registres populaires et ambitions formelles, en tissant des atmosphères capables de séduire aussi bien l’amateur de sensations fortes que le spectateur en quête d’émotion.

Le développement de The Gorge s’est inscrit dans une logique à la fois industrielle et personnelle. Après le succès critique de The Black Phone et la reconnaissance acquise avec Doctor Strange, Derrickson cherchait un projet qui lui permettrait de revenir à ses obsessions premières — l’horreur, le surnaturel — tout en évitant la redite. Il est séduit par un scénario qui proposait une double ligne dramatique : l’histoire d’amour contrariée et la lutte contre une menace monstrueuse. Ce contraste a été pensé dès l’écriture comme la clé du film : faire coexister la fragilité de l’intime et l’excès du spectaculaire.

On retrouve le goût des romances épistolaires à la Nora Ephron, transposées dans un cadre inquiétant, mais aussi la nervosité vidéoludique d’un cinéma d’action horrifique hérité de Paul W.S. Anderson (Resident Evil). Quant à l’étrangeté organique et lumineuse, elle doit beaucoup aux visions hallucinées d’Alex Garland (Annihilation), avec ces univers qui semblent respirer, muter et absorber les personnages. Le mélange pourrait sembler disparate ; il s’avère au contraire cohérent, chaque registre enrichissant l’autre.

Derrickson aborde ici la narration visuelle comme une succession de ruptures d’atmosphère. Ses cadres se resserrent lors des échanges intimes, captant les regards et les silences, puis s’élargissent brutalement pour embrasser des séquences d’action viscérales. Les créatures, conçues pour être montrées dans toute leur étrangeté sans effets de surenchère, bénéficient d’une mise en scène qui alterne révélation frontale et suggestion.

Moins horrifique pur que Sinister, moins directement rattaché au super-héros que Doctor Strange, il témoigne d’une volonté de brasser les genres sans se laisser enfermer. Derrickson conjugue savoir-faire technique et sincérité émotionnelle, prouvant qu’il peut émouvoir autant qu’effrayer.

La photographie de Dan Laustsen (The Shape of Water, John Wick: Chapter 2) sublime chaque décor. Les couleurs oscillent entre tons chauds pour les scènes romantiques et glacés pour les séquences de confrontation, créant une opposition symbolique entre la chaleur humaine et l’altérité monstrueuse. Les décors, naturels et parfois monumentaux, participent à l’immersion : cavernes abyssales, forêts luminescentes, architectures impossibles. Les costumes, eux, privilégient la sobriété afin de mieux contraster avec l’extravagance visuelle des créatures. Le montage opère comme un balancier. Les scènes d’action, souvent frénétiques, se voient équilibrées par des séquences contemplatives qui laissent respirer les personnages et le spectateur. Cette respiration évite l’écueil d’une accumulation épuisante, donnant au film une dynamique rythmée mais jamais chaotique. La maîtrise du tempo est l’un des atouts majeurs de The Gorge.

Le duo formé par Anya Taylor-Joy (The Witch, Last Night in Soho) et Miles Teller (Whiplash, Top Gun: Maverick) fonctionne à merveille. Taylor-Joy, magnétique comme toujours, compose une héroïne à la fois vulnérable et déterminée. Teller, souvent cantonné à des rôles plus réalistes, surprend par une intensité émotionnelle nouvelle. Leur alchimie est palpable : les scènes les plus simples, un dialogue ou un geste, gagnent une dimension supplémentaires.

La musique de Trent Reznor et Atticus Ross (The Social Network, Gone Girl) enveloppe le film d’une aura troublante. Leurs compositions, entre nappes électroniques et motifs plus organiques, traduisent l’étrangeté de l’univers. Certaines plages sonores semblent vibrer au rythme des créatures elles-mêmes, créant une confusion volontaire entre environnement sonore et menace vivante. L’atmosphère ainsi générée oscille entre mélancolie et tension pure, prolongeant l’impact visuel par une expérience sensorielle complète.

The Gorge ne révolutionne pas la science-fiction horrifique, mais il s’impose comme un jalon solide à la croisée de l’horreur grand public et de la SF introspective, Là où certains blockbusters privilégient la saturation d’effets numériques, Derrickson choisit la précision : moins de surenchère, plus d’atmosphère.

Conclusion : The Gorge est un film à la fois sincère et spectaculaire, un divertissement accrocheur parfaitement taillé pour un samedi soir, mais qui conserve assez de personnalité pour ne pas se dissoudre dans la masse. Scott Derrickson, épaulé par Dan Laustsen à la photographie et par Trent Reznor et Atticus Ross à la musique, livre une œuvre où la romance, l’horreur et la science-fiction coexistent sans s’annuler. Si le film ne prétend pas réinventer le genre, il en propose une déclinaison maîtrisée, généreuse et captivante.

Ma Note : B+

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