La Forme de l’Eau [Critique] + Q&A avec Guillermo Del Toro et Alexandre Desplats

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Deux ans après sa histoire de fantômes gothique Crimson Peak , Guillermo Del Toro revient aux monstres pour un film qui brasse toutes les influences qui lui tiennent à cœur  , après son Lion d’Or au festival de Venise et ses nominations aux Oscars The Shape of Water semble être pour lui le film de la consécration « officielle » mais est-ce un bon Del Toro ? Tentative de réponse..

En 1962, à Baltimore, au plus fort de la guerre froide,  Elisa (Sally Hawkins) , une femme muette (mais pas sourde)  travaille comme femme d’entretien dans un laboratoire secret du gouvernement où elle découvre  une étrange créature aquatique (Doug Jones) avec qui  elle  apprend  à communiquer jusqu’à  nouer bientôt une  attirance romantique. Quand elle comprend que le chef de la sécurité le sinistre Strickland (Michael Shannon) projette de disséquer la créature, elle élabore un plan audacieux pour la sauver  sollicitant l’aide de son voisin l’artiste gay Giles (Richard Jenkins) et de sa collègue Zelda (Octavia Spencer). La forme de l’eau s’ouvre sur une rêverie sous-marine, qui donne le ton du film, avec une  princesse flottante et endormie dans une pièce où l’eau se retire à mesure qu’elle sort de son sommeil et se termine sur un plan final qui suggère l’apesanteur et la joie. Le scénario, écrit par Guillermo Del Toro et Vanessa Taylor (Divergente), est une variation sur La Petite Sirène de Hans Christian Andersen , La Belle et la Bête de Gabrielle-Suzanne Barbot de Villeneuve  et La Créature du Lac Noir de Jack Arnold mais possède  sa propre vibration indissociable de son auteur qui en fait un méticuleux mélange de conte, de creature-feature, de thriller et de romance . Avec  The Shape of Water Del Toro signe un  conte de fées pour adultes avec des éléments érotiques explicites, le cinéaste mexicain  ne craignant pas de montrer le désir d’Elisa pour la créature (après tout   n’avait il pas annoncé à Doug Jones l’interprète de la créature « cette fois-ci le monstre b… l’héroïne ») mais une sexualité innocente avec laquelle il se montre plus à l’aise qu’avec  la perversion de  Crimson Peak.

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Malgré  la sensibilité poétique que Guillermo Del Toro confère à sa romance , certains pourront lui reprocher de ne pas être à la hauteur  de la sophistication de sa direction artistique,  ses personnages ne  transcendant jamais leurs archétypes. Du coté du mal le méchant porte du noir, une arme phallique comme symbole de son pouvoir , conduit d’imposantes voitures ,  dénigre femmes et minorités. Du coté du bien des outsiders sympathiques l’ orpheline muette,   une femme noire impertinente et son voisin gay,  artiste sensible  qui vont s’opposer aux forces hégémoniques à dominante blanche , hétérosexuelle et masculine de leur époque. L’allégorie politique est certes un peu « on the nose » mais Del Toro y apporte quelques nuances. Tous les personnages quelle que soit leur allégeance sont en quelque sorte des freaks  qui cachent leur vraie nature. Giles réprime son homosexualité dans la société pudibonde des années soixante , le professeur Hoffstetler (un très subtil Michael Stuhlbarg) est non seulement un espion mais il doit  cacher sa bienveillance comme une tare, aux deux camps qu’il sert. Même Strickland  est aussi  victime de la pression qu’exercent  les normes sociales et économiques. Les événements du film  achèvent de briser son masque social, déjà bien craquelé,  du mâle-alpha bon père de famille  qu’il ne parvient  plus à assumer. Là où le personnage d’Eliza vit ce dévoilement comme une libération, c’est pour celui incarné par  Michael Shannon, au jeu  dense comme de l’uranium, un véritable pourrissement que Del Toro matérialise par la gangrène qui gagne peu à peu  ses doigts.

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Michael Shannon et  Michael Stuhlbarg

La superbe direction artistique de Paul D. Austerberry (un habitué des productions du décrié Paul WS Anderson) et la remarquable photographie de Dan Laustsen (John Wick 2 et déjà Mimic et Crimson Peak avec Del Toro) , qui combine plus de nuances de vert que vous n’en verrez jamais, évoquent l’Amélie Poulain de Jeunet pour sa minutieuse attention aux moindres détails dans la reconstitution fantasmée d’une époque. L’action est volontairement située  en 1962, moment où les Etats unis d’Amérique enflammés par la course à l’espace (Strickland veut disséquer la créature afin de percer le secret de son système respiratoire et donner un avantage aux futurs astronautes américains)  se voit au seuil d’un avenir radieux (« Aurons nous des jet packs dans le futur ? » demande le fils de Strickland ) qui ne viendra jamais… Kennedy sera assassiné en novembre et déjà la guerre du  Viêt Nam se profile. Au travers de la dégénérescence morale et physique du personnage de Michael Shannon, Del toro veut dénoncer cette nostalgie mauvaise qui traverse l’Amérique de Trump  d’un age d’or qui n’a jamais vraiment existé pour beaucoup d’américains . Le personnage de Strickland rend la créature responsable de son échec comme le président actuel fait des minorités les boucs émissaires de la crise morale du pays. Au delà des considérations politiques le cœur battant du film est la performance incroyable de Sally Hawkins, qui retrouve l’expressivité des grandes actrices du muet tout en y apportant une note délibérément moderne.

Conclusion : Avec The Shape of Water, méticuleux mélange de creature-feature, de thriller et de romance Del Toro signe un conte de fées pour adultes visuellement somptueux. 

Ma note : B

LA FORME DE L’EAU – THE SHAPE OF WATER de Guillermo Del Toro (sortie le 21/02/2018)

BONUS Q&A avec Guillermo Del Toro et Alexandre Desplat à propos du film

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