
S’attaquer à une suite de 2001 : L’Odyssée de l’Espace, le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick, relevait de la gageure. Pourtant, en 1984, Peter Hyams, scénariste et réalisateur de films notables comme Outland (1981) et Capricorn One (1977), fort d’une solide carrière entre télévision et cinéma, relève le défi avec 2010 : L’Année du Premier Contact. Atteindre la poésie hypnotique et l’ambiguïté métaphysique de l’original semble impossible, mais Hyams, également directeur de la photographie du film, signe une œuvre intelligente et visuellement captivante qui explore de nouvelles pistes narratives sans trahir l’esprit de son aîné.
Dès les premières images, le visage marqué de Roy Scheider impose sa présence. Figure emblématique de ce cinéma viril des années 70-80, Scheider incarne avec justesse ce héros tourmenté, confronté aux mystères de l’espace et aux tensions géopolitiques de la Guerre Froide. Car 2010 est avant tout un film de son époque, un récit d’exploration spatiale teinté de la paranoïa nucléaire qui régnait alors entre les États-Unis et l’URSS. Cette toile de fond politique confère au film une tension palpable et immerge le spectateur dans un climat d’incertitude. L’histoire, adaptée du roman d’Arthur C. Clarke, s’articule autour d’une mission conjointe américano-soviétique vers Jupiter. L’objectif : récupérer les données du Discovery, vaisseau spatial à la dérive, et comprendre les raisons de la défaillance de HAL 9000. La voix glaçante de cet ordinateur de bord, à nouveau interprétée par Douglas Rain, reste l’un des éléments les plus marquants du premier film. La présence de HAL 9000 apporte une dimension supplémentaire, en particulier lors d’un moment mémorable vers le climax du film. Peter Hyams, véritable touche-à-tout du cinéma de genre, ne cherche pas à copier Kubrick. Conscient de l’impossibilité de la tâche, il opte pour une approche plus pragmatique, plus explicative. Là où 2001 embrassait l’abstraction et le mystère, 2010 se concentre sur le récit, offrant des réponses concrètes aux énigmes posées par son prédécesseur. Ce choix, qui pourrait décevoir les puristes, permet néanmoins d’approfondir certains aspects de l’univers de 2001 et de lui donner une nouvelle dimension. Le film parvient à raconter sa propre histoire tout en offrant un épilogue pour 2001 mais en préservant une part de mystère qui a fait la renommée du premier opus.
Visuellement, 2010 emprunte à la fois à l’esthétique stérile et élégante de 2001 et à l’atmosphère plus brute et industrielle d’Alien (1979) de Ridley Scott. Les couloirs sombres du Discovery, les combinaisons spatiales fonctionnelles et la sueur des astronautes contrastent avec la froideur clinique et la perfection géométrique du film de Kubrick. Hyams, influencé par le travail de Ridley Scott (influence visible dans son précédent film Outland avec Sean Connery), crée une ambiance plus tangible, plus viscérale, qui renforce l’aspect réaliste de la mission spatiale. Son approche esthétique pourrait être vue comme une fusion entre 2001 et Alien, marquant ainsi sa propre empreinte visuelle. Les effets spéciaux, confiés à Richard Edlund (ancien d’ILM et fondateur de Boss Films, ayant travaillé sur Ghostbusters (1984) et Le Retour du Jedi (1983)), sont remarquables pour l’époque. Si le film ne bénéficie pas de la révolution visuelle opérée par Kubrick en 1968, les séquences spatiales, les images de Jupiter et la représentation du monolithe noir restent impressionnantes. Edlund, qui a récupéré une partie du matériel de Douglas Trumbull, parvient à créer un univers visuel crédible et fascinant qui continue de captiver le public aujourd’hui.
Dans 2010 , Roy Scheider incarne le personnage de Dr. Heywood Floyd, scientifique et ancien membre de l’expédition vers Jupiter dans 2001 : L’Odyssée de l’Espace. Dans cette suite, il est chargé de diriger une nouvelle mission pour comprendre ce qui est arrivé à l’USS Discovery et à son équipage. À ses côtés, Helen Mirren d’origine russe comme son personnage de Tanya Kirbuk, une commandante de vaisseau spatial déterminée et compétente, qui apporte une perspective féminine forte à l’équipe. John Lithgow interprète Dr. Edward « Eddie » Tsung, un astrophysicien et expert en informatique, dont les connaissances techniques sont cruciales pour surmonter les défis rencontrés par l’équipage. Enfin, Bob Balaban incarne Dr. Chandra, un expert en intelligence artificielle dont le lien avec l’ordinateur HAL 9000 est essentiel pour comprendre la situation de l’IA. Chacun contribue à la résolution du mystère entourant la mission spatiale. Leurs interprétations ajoutent une profondeur psychologique à l’histoire, humanisant les enjeux de cette mission spatiale aux implications planétaires. Le retour de Keir Dullea dans le rôle de Dave Bowman, transformé en entité quasi-spectrale, apporte une dimension mystique et renforce le lien avec le film original. Sa présence, ou plutôt celle de son ‘fantôme’, qui n’a pas vieilli d’un jour, introduit une atmosphère étrangement inquiétante mais impressionnante. La musique de David Shire (compositeur de The Taking of Pelham One Two Three (1974) et Conversation Secrète (1974)), principalement électronique et synthétique crée une ambiance à la fois inquiétante et fascinante, qui souligne parfaitement la tension et le mystère qui entourent la mission et contribue à l’atmosphère immersive du film.
Dans certains aspects, 2010 a couvert un terrain similaire à celui qu’Interstellar explorerait 30 ans plus tard. Il ne serait pas surprenant que Christopher Nolan ait puisé une partie de son inspiration dans ce film. Cependant, 2010 ne contredit ni ne diminue le contenu de son prédécesseur. Il fait ce qu’une bonne suite devrait faire : étendre le l’univers établi et développer ses idées. Certaines questions trouvent des réponses, mais d’autres sont sagement laissées à l’interprétation du public. Le film n’essaie pas non plus d’imiter le langage visuel de Kubrick. Bien que le vaisseau Discovery fasse son retour et maintienne la continuité esthétique de 2001, Peter Hyams vise une ambiance complètement différente.
Conclusion : 2010 : L’Année du Premier Contact est une suite ambitieuse et réussie, qui parvient à se démarquer de l’ombre imposante de 2001 grâce à une approche narrative plus directe, des effets spéciaux impressionnants et un casting solide. Peter Hyams signe un film captivant et intelligent, qui résonne encore aujourd’hui par sa vision de l’avenir et ses réflexions sur les tensions géopolitiques. 2010, tout en respectant l’héritage de son prédécesseur, réussit à forger sa propre identité.