THE EXORCIST (1973)

The Exorcist frappe toujours comme un cyclone maléfique, mettant en lumière les limites de la science et de la modernité face à la détresse spirituelle d’une culture en crise. Cette œuvre magistrale reste terrifiante et dérangeante, inégalée dans son exploration du mal et de la foi, laissant une empreinte indélébile dans l’histoire du cinéma d’horreur.

L’origine de The Exorcist remonte à un fait divers survenu en 1949 : l’exorcisme d’un jeune garçon par des prêtres jésuites. William Peter Blatty, fasciné par cette histoire, en tire un roman publié en 1971, qui devient rapidement un best-seller. William Friedkin, auréolé du succès de The French Connection, est choisi pour adapter le livre au cinéma. Il s’engage à rester fidèle à la source, allant jusqu’à consulter les journaux des prêtres impliqués dans l’exorcisme réel. Le tournage est marqué par une série d’événements étranges et tragiques : incendie du décor principal, décès de plusieurs membres de l’équipe, accidents sur le plateau. Friedkin, convaincu de l’importance de l’authenticité, fait bénir le plateau par un prêtre jésuite. Ces anecdotes alimentent la légende d’un film maudit, renforçant son aura mystique. Friedkin revendique l’influence directe du film danois Ordet (1955) de Carl Theodor Dreyer, qu’il considère comme « le film le plus spirituel jamais réalisé ». Cette œuvre austère, centrée sur la foi et le miracle, inspire à Friedkin une approche documentaire de l’exorcisme : filmer le rituel avec rigueur, sans effets superflus, dans une mise en scène sobre mais puissante. Cette volonté de réalisme se traduit aussi par le refus des artifices. Les effets spéciaux sont réalisés en direct, avec des méthodes artisanales : air glacé sur le plateau pour faire apparaître la buée des respirations, maquillages révolutionnaires signés par le grand Dick Smith, animatroniques rudimentaires mais saisissants.

Le casting de The Exorcist est un coup de maître. Linda Blair, alors âgée de 13 ans, incarne Regan avec une intensité bouleversante. Son visage déformé par le maquillage, sa voix modifiée par Mercedes McCambridge, et sa gestuelle possédée composent une performance inoubliable. Ellen Burstyn, dans le rôle de la mère, transmet avec justesse la panique et l’impuissance face à l’inexplicable. Mais c’est Jason Miller, dans le rôle du Père Karras, qui offre la prestation la plus poignante. Ancien boxeur devenu prêtre, il incarne le doute, la culpabilité, la perte de foi. Son regard hanté, sa voix tremblante, sa posture affaissée traduisent une humanité à bout de souffle. Max von Sydow, maquillé pour paraître plus âgé, apporte une gravité solennelle au Père Merrin, figure du vieux sage affrontant le mal une dernière fois.

La musique de The Exorcist est minimaliste mais terriblement efficace. Le thème principal, Tubular Bells de Mike Oldfield, n’a pas été composé pour le film, mais Friedkin l’utilise avec une intelligence rare. Sa mélodie répétitive et inquiétante devient emblématique, évoquant à la fois l’innocence et la menace. Friedkin intègre aussi des sons subliminaux : cris d’animaux, bourdonnements, murmures. Ces éléments, souvent imperceptibles, créent une atmosphère de malaise persistant. Le réalisateur joue sur le silence, les respirations, les bruits du corps pour instaurer une tension organique.

The Exorcist est bien plus qu’un film d’horreur. C’est une méditation sur la foi, la souffrance, la confrontation entre le rationnel et le surnaturel. Le film commence par une série d’examens médicaux : IRM, électroencéphalogrammes, psychiatres. Tous échouent à expliquer le comportement de Regan. La science est impuissante, et c’est vers la religion que la mère se tourne. Le film interroge aussi la notion de sacrifice. Le Père Karras, rongé par la culpabilité, accepte de se laisser posséder pour sauver l’enfant. Son geste final, se jeter par la fenêtre, est une rédemption tragique. Friedkin filme cette scène avec une sobriété bouleversante, sans musique, sans emphase. The Exorcist s’inscrit dans une trilogie magistrale de Friedkin dans les années 1970 : The French Connection (1971), The Exorcist (1973), Sorcerer (1977). Chacun explore une forme de chaos : urbain, spirituel, existentiel. Mais The Exorcist est son œuvre la plus personnelle, la plus audacieuse. Friedkin, issu du documentaire, apporte une rigueur quasi scientifique à sa mise en scène. Il refuse les facilités du genre, privilégie les plans longs, les dialogues épurés, les décors réels. Son style est direct, frontal, presque brutal. Il ne cherche pas à divertir, mais à confronter le spectateur à l’invisible.

À sa sortie, The Exorcist provoque un choc. Des spectateurs s’évanouissent, vomissent, fuient les salles. Des prêtres dénoncent le film comme blasphématoire. Mais le succès est fulgurant : plus de 400 millions de dollars de recettes, une nomination aux Oscars pour le Meilleur Film — une première pour un film d’horreur. Le film influence toute une génération de cinéastes : John Carpenter, David Cronenberg, Ari Aster. Il popularise le sous-genre de l’exorcisme, inspire des dizaines de films (The Conjuring, The Rite, The Possession), et reste une référence incontournable. Même des œuvres comme Black Swan ou Get Out revendiquent son héritage.

Conclusion : The Exorcist est une œuvre qui ne vieillit pas. Elle continue de hanter les esprits, de susciter des débats, de provoquer des réactions viscérales. Elle ne cherche pas à expliquer le mal, mais à le montrer, à le faire ressentir. C’est un film qui nous oblige à croire, ou à trembler. William Friedkin signe ici un chef-d’œuvre absolu, une leçon de cinéma, une expérience sensorielle et spirituelle. The Exorcist n’est pas seulement un film d’horreur : c’est une plongée dans l’âme humaine, une confrontation avec l’invisible, une prière désespérée dans un monde en perte de repères.

Ma Note : A

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