COBRA (1986)

Cobra (1986), réalisé par George Pan Cosmatos et porté par Sylvester Stallone, est un objet cinématographique étrange, fascinant, et profondément révélateur d’une époque où l’excès était une vertu. Ce film, souvent relégué au rang de nanar , mérite pourtant une relecture , tant il condense la dégénérescence des obsessions esthétiques et idéologiques du cinéma d’action des années 80.

L’origine de Cobra est aussi rocambolesque que son scénario. Stallone, alors au sommet de sa gloire après Rocky IV et Rambo: First Blood Part II, avait été initialement pressenti pour jouer dans Beverly Hills Cop. Mais son script, réécrit à sa sauce, fut jugé trop violent et trop coûteux. Qu’à cela ne tienne : il recycle ses idées dans Cobra, adaptation très libre du roman A Running Duck de Paula Gosling. Ce n’est plus une comédie policière, mais une plongée dans un univers dystopique où la loi est un concept malléable, et où le héros est juge, jury et bourreau. Cosmatos, qui avait déjà dirigé Stallone dans Rambo II, est choisi pour mettre en scène ce projet. Mais il est clair que l’acteur star tient les rênes. Le réalisateur devient un exécutant, un chef d’orchestre au service d’un soliste omnipotent.

La mise en scène de Cobra est un mélange de stylisation outrancière et de brutalité crue. Cosmatos emprunte au clip musical ses codes visuels : éclairages néons, ralentis, silhouettes découpées dans la fumée. Chaque plan semble conçu pour magnifier la silhouette de Stallone, transformé en icône pop virile. Le film est saturé de plans nocturnes, de reflets métalliques, de textures urbaines sales et menaçantes. Mais cette stylisation n’est jamais totalement maîtrisée. Le rythme est haché, les transitions abruptes, et certaines scènes frôlent l’absurde. Le montage, confié à Don Zimmerman (Rocky III) et James R. Symons, semble parfois sacrifier la cohérence narrative au profit de l’impact visuel. On passe d’une fusillade à une scène romantique sans respiration.

Stallone incarne Marion Cobretti, dit « Cobra », avec une intensité monolithique. Il ne joue pas : il pose, il grogne, il tue. Son personnage est une synthèse de ses rôles précédents, une version encore plus radicale de John Rambo. Il parle peu, mais chaque réplique est calibrée pour devenir un slogan : « You’re the disease, I’m the cure. » Brigitte Nielsen, alors épouse de Stallone, joue Ingrid, la femme à protéger. Elle est surtout là pour ajouter une touche glamour et renforcer l’aura du héros. Reni Santoni, en partenaire comique – il fut déjà celui de Clint Eastwood dans Dirty Harry, tente d’apporter un peu de légèreté, mais son rôle est sacrifié sur l’autel de la virilité. Brian Thompson, en Night Slasher, est glaçant, est la révélation du film même si son personnage manque de profondeur. Il est une figure du mal, sans motivation ni psychologie mais impose une présence physique effrayante. Le casting secondaire est solide, mais écrasé par la présence de Stallone. Le film ne laisse aucune place à l’ambiguïté : il y a les bons, les méchants, et Cobra au milieu, seul contre tous.

La bande-son est un cocktail explosif de rock FM et de synthétiseurs. Sylvester Levay (Scarface) signe une partition électronique nerveuse, qui accompagne les scènes d’action avec efficacité mais noyé sous des morceaux qui semblent sortis d’un juke-box de 1986, et contribue à l’esthétique clipesque du film. : Voice of America’s Sons de John Cafferty, Angel of the City de Robert Tepper, ou encore Suave de Miami Sound Machine. La musique ne cherche pas à souligner les émotions, mais à galvaniser le spectateur. Elle est un vecteur de style, un prolongement de l’image.

Cobra n’a pas eu l’impact critique de ses prédécesseurs, mais il a marqué les esprits. Il est devenu un film culte, notamment dans les cercles amateurs de cinéma d’exploitation. On célèbre aujourd’hui sa radicalité, son esthétique outrée, et son absence totale de second degré. Cobra est un précurseur du neo-grindhouse, une auto-parodie involontaire du cinéma d’action. Il a influencé des films comme Drive (Nicolas Winding Refn), qui reprend certains codes visuels. Même John Wick semble, par moments, emprunter à Cobra son goût pour les héros taciturnes et les univers codifiés. Cobra est un film symptomatique. Il incarne une époque où le héros devait être invincible, où l’Amérique Reaganienne rêvait une justice se faisant à coups de fusil à pompe, et où l’esthétique primait sur la logique. Il est l’expression d’un fantasme masculin exacerbé, d’un monde où la loi est inefficace et où seul un homme peut rétablir l’ordre. Mais Cobra est aussi un film profondément sincère qui assume ses excès et sa mégalomanie. Et c’est peut-être pour cela qu’il fascine encore aujourd’hui.

Conclusion : Cobra n’est pas un grand film. Mais c’est un film grandiose, dans sa démesure. Il est un témoignage d’une époque révolue, où le cinéma d’action était une affaire de muscles, de punchlines, et de fusillades. Et dans cette logique, il est irréprochable. Un film mutant, entre clip stylisé et action brute, entre fantasme pop et cauchemar urbain. Un film qui ne maîtrise pas tout, mais qui ose tout. Et c’est pour cela qu’on l’aime.

Ma Note : B+

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