RAMBO II LA MISSION (Critique)

First Blood (Rambo chez nous) est un film charnière dans le cinéma américain contemporain à la fois continuité  du cinéma des années soixante-dix mais qui porte en germe celui des années quatre-vingt. A travers le thriller il évoque avec justesse le traitement indigne des vétérans du Vietnam de retour au pays et les séquelles psychologiques qu’ils en ont ramenées. Mais dans les trois années qui séparent le film de sa suite, l’Amérique et Sylvester Stallone ont beaucoup changé, les effets du basculement idéologique qui a porté au pouvoir Ronald Reagan deux ans plus tôt se font désormais sentir et vont altérer la trajectoire du personnage et de son interprète dans une direction très différente du film de Ted Kotcheff. La débâcle de la guerre du Vietnam pour reprendre la formule de l’historien Henry Rousso sur Vichy, est dans l’Amérique de la révolution conservatrice, un « passé qui ne passe pas », une histoire qui ne peut s’inscrire dans le récit national victorieux de l’Amérique Reaganienne. Une forme de révisionnisme  va s’imposer alors dans l’opinion  qui nie une défaite militaire (ce qui est dans un sens exact) et reporte la faute du désengagement sur une administration défaitiste qui aurait trahi les boys sur le terrain. Cette version de l’histoire va trouver un vecteur dans une polémique lancée par quelques vétérans qui vont spéculer sur l’hypothèse  selon laquelle un nombre important de militaires américains portés disparus durant la guerre du Vietnam auraient en fait été capturés par les forces communistes et seraient détenus depuis la fin de l’intervention des États-Unis en 1973. Ces groupes vont même laisser entendre qu’il existe depuis une conspiration concertée entre les gouvernements vietnamien et américain afin de dissimuler l’existence de ces prisonniers. Si depuis cette théorie a été réfutée par plusieurs enquêtes du Congrès, dont la plus importante et la plus complète fut menée entre 1991 et 1993 par John Kerry, Bob Smith et John McCain (lui-même ancien prisonnier) le sort des personnes portées disparues au combat  est  un sujet brûlant du début des années 1980. Des commandos de la Delta Force se préparent à une éventuelle mission de sauvetage des prisonniers de guerre et un vétéran du Vietnam le colonel Bo Gritz, lance sa propre tentative avortée d’organiser une opération de sauvetage privée. De façon ironique cet événement  inspirera aussi le réalisateur du premier volet Ted Kotcheff  deux ans auparavant pour le film Retour vers l’enfer (Uncommon Valor) avec Gene Hackman.

C’est le jeune James Cameron qui est embauché sur recommandation du scénariste-producteur David Giler (qui avait effectué des retouches non créditées sur le premier film) pour lequel il développe la suite d’Alien pour écrire le scénario. Si Cameron sera crédité pour son scénario, Stallone remaniera le script pour un contenu radicalement différent de la version initiale de Cameron qui prendra ses distances avec le projet déclarant dans Rambo II « l’action est de moi et la politique de Stallone« . En particulier, Cameron avait étoffé les prisonniers de guerre avec des histoires personnelles qui devaient être révélées au cours du film (ce qui lui fera dire  « il aurait aussi bien pu se rendre dans la jungle pour récupérer un pack de bière« ). Si Stallone ne nie pas l’intégration de ses vues politiques dans le script, en particulier le discours de fin de Rambo, il ajoutera qu’il trouvait que l’action intervenait trop tard dans le script et qu’un personnage de sidekick comique accompagnant Rambo, un soldat inexpérimenté armé jusqu’aux dents baptisé Brewer était inutile (Stallone n’aurait pas aimé qu’il ait les dialogues les plus cools) et le remplacera par le personnage féminin incarné par Julia Nickson. Cameron recyclera néanmoins le personnage de Brewer  qui servira de base à Hudson interprété par Bill Paxton dans Aliens  (quelques années plus tard Cameron utilisera un autre élément de son script qui s’ouvrait avec un Rambo interné dans un hôpital psychiatrique au lieu d’un pénitencier pour Terminator 2).  Il y a d’ailleurs de nombreuses passerelles entre Aliens et Rambo II qui témoignent de leur écriture concomitante : les deux films ont pour protagonistes des personnages souffrant de stress pots-traumatique qui doivent revenir sur les lieux de leurs traumatismes avec l’assurance dans les deux cas d’y aller « pour gagner » et se voient trahis par un technocrate qui poursuit de sombres intérêts.

La réalisation du film est confiée au grec George Pan Cosmatos qui avait réalisé deux ans auparavant un film d’horreur psychologique avec Peter Weller Terreur à domicile. On dit que le fils de Stallone, Sage, aurait vu le film et lui aurait recommandé son travail mais il doit sans doute son poste à la réalisation d’un film de guerre Bons Baisers d’Athènes où un commando mené par Roger Moore, Telly Savalas et David Niven devait neutraliser un monastère transformé en base secrète de lancement de missiles par les nazis. En effet si le premier film avait la sensibilité et l’ambition d’un film dramatique des années 70, sa suite prend pour modèle les films de guerre appartenant au sous-genre du men on a mission le commando se réduisant ici à un seul homme. Rambo II est un spectacle manichéen où le bien (américain) affronte le mal. Dans le film de Kotcheff, Rambo qui revenait telle la créature de Frankenstein hanter le pays qui l’avait créée, retournant contre lui-même sa violence, se mue ici en un héros dont les tourments ne sont pas dus aux remords qui peuvent le hanter ou à un dérèglement de sa part mais à la prudence d’une certaine Amérique qui lui a refusé de « finir le job ». Cette Amérique s’incarne dans le personnage de Marshall Murdock (Lee Marvin choisi initialement sera  remplacé par Charles Napier acteur de série B vu chez Russ Meyer et qui deviendra un des comédiens fétiches de Jonathan Demme) fonctionnaire opportuniste qui cherche à étouffer le passé. Dans cette optique Stallone réalise que l’armée nord-vietnamienne même communiste n’est pas un ennemi symboliquement assez fort pour se substituer aux nazis et il introduit donc l’ennemi héréditaire en cette période de guerre froide exacerbée, le russe sous la forme de conseillers militaires qui ont de fait tout l’air d’être les vrais responsables. Le lieutenant-colonel Podovsky incarné par Steven Berkoff (méchant l’année précédente du Flic De Beverly Hills, film  développé à l’origine pour Stallone) suave et cruel revêt toutes les caractéristiques des colonels SS des films de guerre quand à son homme de main le charmant Yushin (Vojo Goric)  semble être un cousin éloigné du Ivan Drago de Rocky IV . Si il se défend aujourd’hui d’être devenu à l’époque le grand storyteller du président républicain, Stallone, de façon subliminale, en reprenant les codes des films se déroulant durant  la seconde guerre mondiale, repeint l’intervention américaine au Vietnam en une guerre juste menée contre un danger présenté au moins aussi important que les nazis et soulage la mauvaise conscience de l’Amérique par rapport à ce conflit, participant de ce révisionnisme historique que nous évoquions plus haut.

Rambo II : la mission est sans conteste inférieur à son modèle mais en dépit de son manichéisme et d’une image brouillée aujourd’hui par des décennies de parodie on ne peut attribuer son succès foudroyant et universel au seul contexte de l’époque. En premier lieu si Rambo II reprend les codes de la série B il le fait avec une efficacité redoutable qui en fait encore aujourd’hui un modèle du film d’action. Cette réussite tient beaucoup aux techniciens assemblés par la production : le film est éclairé par le légendaire chef opérateur  Jack Cardiff (  les films de Michael Powell, African Queen de John Huston ou les Vikings de Richard Fleischer) qui lui donne la patine des films d’aventures classiques mais les héros anonymes du film sont sans doute ses deux monteurs Mark Goldblatt (Terminator, Commando , Terminator 2 – Le jugement dernier, Armageddon, Starship Troopers) et Mark Helfrich (Predator, Le dernier samaritain) sans doute les plus grands monteurs d’action de tous les temps qui lui donne son impact incomparable. Autre facteur de réussite paradoxal pour un film centré sur un personnage peu loquace et une succession de fusillades et d’explosions : l’efficacité de ses dialogues. On pourrait passer des heures à citer les one-liners parmi les plus percutants d’une décennie qui en compte pourtant énormément, souvent parodiés mais jamais égalés. « Pour survivre à la guerre, il faut devenir la guerre » « ,  » Ce que vous appelez l’enfer, il appelle ça chez lui » et l’échange favori du rédacteur de cette critique : » Pour  moi, vous êtes un camarade, semblable à moi, auquel je fais face par un acte du destin mais pour le sergent Yushin, vous n’êtes qu’un morceau de viande ! » .

Enfin il faut se souvenir que  Stallone a toujours été fasciné par les mythes antiques et c’est même après avoir vu Steve Reeves incarner le demi-dieu dans Hercule et la Reine de Lydie qu’il s’est lancé dans le culturisme. Il va pour ainsi dire reconstruire le personnage « de l’extérieur » pour en faire un archétype, celui du guerrier éternel qu’on peut rattacher au mythe du samouraï, cette iconisation passera par une transformation physique – son corps jadis lourd et massif prend l’apparence de celle des statues antiques. Si Rambo devient de fait,  invincible, Stallone sait que pour emporter l’adhésion du public  il se doit comme les héros grecs de souffrir dans sa chair, il subit ainsi tout au long du film tortures physiques et trahisons (une constante du héros Stallonien). Enfin il donne au personnage des attributs : le légendaire bandana, son non moins légendaire couteau qui feront qu’on reconnaîtra instantanément le personnage de Beyrouth à Brooklyn.  C’est ce travail d’iconisation qui assurera le succès du personnage et sa pérennité au-delà même des options politiques qu’il semblait incarner à l’époque.

Ma Note A-

Un commentaire

  1. Eh bien voilà une excellente chronique, parfaitement documentée, qui réhabilite un film très décrié, maintes fois moqué, sans doute sous-évalué. Il est loin d’égaler en émotion son prédécesseur, mais il est porté par une efficacité indéniable, qui n’est pas sans trouver sa source dans le script de James Cameron. Certes, il ne fut qu’une petite main, et pourtant, comme il l’est rappelé dans ce texte, on trouve bien des similitudes avec les Marines partis chasser l’Alien dans un autre film de l’époque.
    Ne me reste qu’à reprendre arc et flèches et repartir au combat.
    Merci !

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