
An American Werewolf in London (1981) est l’un de ces films où tout fonctionne à merveille. Avec un rythme parfaitement maîtrisé, le film oscille habilement entre l’humour et l’horreur, offrant des moments à la fois hilarants et véritablement effrayants. Les séquences d’horreur sont saisissantes, renforcées par des effets spéciaux révolutionnaires pour l’époque, qui restent impressionnants à ce jour. Mais au-delà de cette première impression, le film de John Landis est une œuvre d’une richesse et d’une intelligence rares, qui a su marquer durablement le cinéma de genre.
L’idée d’ An American Werewolf in London a germé dans l’esprit de John Landis dès 1969, alors qu’il travaillait comme assistant de production sur le tournage de De l’or pour les braves en Yougoslavie. Une rencontre fortuite avec un rituel funéraire rom, où un corps était enterré les pieds en premier avec de l’ail pour l’empêcher de revenir d’entre les morts, a profondément marqué le jeune Landis. Cette confrontation entre la superstition locale et son propre bagage culturel a semé la graine d’une histoire qui mêlerait l’horreur la plus viscérale à un humour noir et absurde. Il a passé plus d’une décennie à peaufiner son scénario, rencontrant initialement une certaine réticence des studios qui ne savaient comment classer un film à la fois trop drôle pour être de l’horreur et trop effrayant pour être une comédie. Cette fusion des genres, qui est aujourd’hui l’une de ses plus grandes forces, était alors perçue comme un risque. Landis, grand admirateur des classiques du cinéma d’horreur, souhaitait revisiter le mythe du loup-garou en y apportant une touche de modernité et de réalisme, tout en conservant une part de son essence tragique. On perçoit des échos du Loup-Garou (1941) de George Waggner dans sa conception, mais avec une volonté manifeste de subvertir les codes établis. L’influence du cinéma gothique britannique est également palpable dans le choix des décors londoniens et des landes désolées, créant une atmosphère à la fois familière et inquiétante.
Si pour son aspect humoristique An American Werewolf in London s’inscrit parfaitement dans la filmographie de John Landis, un réalisateur connu pour son sens aigu de la comédie déjantée et son penchant pour les situations chaotiques, il avait déjà prouvé sa maîtrise du rire avec des succès comme American College (1978) et The Blues Brothers (1980), où il mélangeait l’humour, la musique et une énergie débordante mais ce qui distingue An American Werewolf in London, c’est sa capacité à appliquer cette même énergie et ce même sens de l’absurde à un genre a priori plus sérieux : l’horreur. Le film n’est pas une simple comédie horrifique ; c’est une exploration audacieuse des frontières entre le rire et le frisson. Landis ne recule devant aucune des deux, utilisant l’une pour renforcer l’autre. Les moments de légèreté servent à détendre le spectateur avant de le plonger dans l’effroi, tandis que l’horreur la plus graphique est parfois ponctuée de répliques cinglantes ou de situations cocasses.
Bien qu’il n’ait pas donné naissance à une franchise cinématographique tentaculaire au sens classique du terme (malgré une suite moins réussie, An American Werewolf in Paris), An American Werewolf in London a eu un impact colossal sur le genre du film de loup-garou. Il a redéfini les attentes, non seulement en termes d’effets spéciaux, mais aussi en ce qui concerne le ton et la complexité psychologique des personnages. Avant lui, les transformations étaient souvent suggérées ou rapides ; après lui, elles devaient être spectaculaires et douloureuses. Le film a ouvert la voie à une nouvelle génération de films de créatures, prouvant qu’il était possible de mêler l’horreur gore à une véritable profondeur émotionnelle et à un humour mordant. Il est souvent cité comme la référence ultime en matière de lycanthropie cinématographique, éclipsant de nombreux prédécesseurs et inspirant d’innombrables successeurs.
L’acteur principal, David Naughton, incarne David Kessler avec une vulnérabilité et une justesse remarquables. Son interprétation est cruciale pour l’équilibre du film. Il parvient à rendre crédible la descente aux enfers de son personnage, passant de l’insouciance du touriste américain à la terreur panique de l’homme maudit. On ressent sa confusion, sa peur, et l’horreur de sa transformation imminente. Ce qui frappe, c’est sa capacité à maintenir une certaine humanité même lorsque son corps le trahit, et à jouer la comédie sans jamais nuire au drame. Nombreux sont ceux qui ont salué sa performance, soulignant comment il porte le film sur ses épaules, rendant le sort de David à la fois tragique et étrangement attachant. Son jeu subtil permet au spectateur de s’identifier à ce jeune homme pris au piège d’une malédiction ancestrale, amplifiant ainsi l’impact des scènes d’horreur.
La conception artistique du film est un chef-d’œuvre de contrastes. D’un côté, la beauté austère des landes anglaises et le charme désuet des pubs de campagne, de l’autre, la brutalité sanglante des attaques du loup-garou. La mise en scène de Landis est d’une efficacité redoutable. Il utilise des plans larges pour établir l’isolement des personnages dans les paysages désolés, puis resserre le cadre pour intensifier la claustrophobie et la peur. La transition entre les scènes de jour, souvent lumineuses et presque bucoliques, et les nuits sombres et terrifiantes est gérée avec une maestria qui contribue à l’atmosphère oppressante.
Les décors londoniens, avec leurs rues sombres et leurs stations de métro désertes, deviennent des terrains de chasse idéaux pour la bête, renforçant le sentiment d’aliénation de David. La scène de la transformation, en particulier, est un tour de force de mise en scène. Plutôt que de la cacher dans l’ombre, Landis la met en pleine lumière, forçant le spectateur à assister à chaque ossement qui craque et chaque muscle qui se déchire. Cette audace visuelle, combinée à une direction artistique impeccable, confère au film une esthétique unique et mémorable.
Le montage d’ An American Werewolf in London est un élément clé de son succès. Il est caractérisé par une alternance rapide entre les moments de calme relatif et les explosions de violence, créant une tension narrative constante. Les coupes sont parfois abruptes, renforçant l’effet de surprise des jump scares et le passage inattendu de la comédie à l’horreur. Cette dynamique de montage permet au film de maintenir un rythme soutenu sans jamais laisser le spectateur s’ennuyer. La séquence de transformation, souvent citée comme l’une des meilleures de l’histoire du cinéma, est un exemple parfait de ce montage dynamique. Chaque étape de la métamorphose est montrée avec une précision chirurgicale, sans jamais rompre l’immersion. Les scènes de cauchemar de David sont également montées de manière fragmentée et surréaliste, reflétant son état mental perturbé et brouillant les frontières entre la réalité et l’illusion. Ce travail de montage contribue grandement à l’efficacité du film, tant sur le plan humoristique que sur le plan horrifique.
Au-delà de David Naughton, le casting est impeccable. Griffin Dunne, dans le rôle de Jack Goodman, est hilarant et poignant en tant que fantôme de plus en plus décomposé qui vient hanter David, offrant des dialogues mémorables et une conscience macabre. Son apparition progressive et son humour noir sont un contrepoint parfait à la terreur de David. Jenny Agutter, apporte une touche d’humanité et de compassion, son personnage servant de point d’ancrage émotionnel pour David. La relation entre Naughton et Agutter, bien que parfois jugée un peu rapide par certains, est suffisante pour rendre leur relation crédible et touchante.
Sous son vernis d’horreur-comédie le film aborde la solitude, la culpabilité, la perte d’identité et la difficulté d’accepter une part monstrueuse de soi. La malédiction de David peut être vue comme une métaphore des pulsions incontrôlables ou des maladies incurables. La présence constante de Jack, qui lui rappelle sa mort et son destin, est une manifestation de la culpabilité et du fardeau psychologique que David porte. Certains critiques anglo-saxons ont même interprété le film comme une allégorie de l’identité juive et de la peur de l’assimilation dans une société étrangère, une lecture fascinante qui ajoute une couche supplémentaire de sens.
La bande-son d’ An American Werewolf in London est l’une de ses caractéristiques les plus distinctives et les plus influentes. Plutôt qu’une partition orchestrale traditionnelle, Landis a opté pour une sélection de chansons pop classiques dont le thème central est la lune. Des titres comme « Blue Moon » (dans plusieurs versions, dont celle des Marcels et de Sam Cooke), « Bad Moon Rising » de Creedence Clearwater Revival, et « Moondance » de Van Morrison ne sont pas de simples accompagnements ; ils sont intégrés de manière ironique et souvent décalée aux scènes, créant un contraste saisissant entre la légèreté des mélodies et l’horreur des images. Cette utilisation non conventionnelle de la musique pop a été largement saluée et a influencé de nombreux films par la suite, montrant comment des chansons familières pouvaient être utilisées pour subvertir les attentes et renforcer l’atmosphère. L’effet est souvent comique, mais il peut aussi amplifier le sentiment de malaise, comme lorsque « Blue Moon » accompagne la douloureuse transformation de David. C’est une bande-son qui reste gravée dans les mémoires, indissociable de l’identité du film.
L’influence d’ An American Werewolf in London sur le cinéma d’horreur et la comédie horrifique est immense. Les effets spéciaux révolutionnaires de Rick Baker, qui lui ont valu le premier Oscar du meilleur maquillage (une catégorie créée spécifiquement pour son travail sur ce film), ont établi de nouvelles normes pour les transformations de créatures. La scène de la transformation de David est devenue un jalon, étudiée et imitée, mais rarement égalée.
Conclusion : Au-delà des effets, le film a popularisé le genre de l’horreur-comédie, montrant qu’il était possible de faire rire et de faire peur simultanément sans compromettre l’un ou l’autre. Il a ouvert la voie à des films comme Evil Dead II (1987) ou Shawn of the Dead (2004), qui ont également exploré ce mélange des genres. De nombreux cinéastes et fans de cinéma d’horreur le citent comme une source d’inspiration majeure, saluant sa capacité à rester pertinent et effrayant des décennies après sa sortie. Il est considéré comme un classique culte, une œuvre intemporelle qui continue de fasciner par son audace, son inventivité et son équilibre parfait entre le rire et le hurlement.