SKYFALL (2012)

Le développement du 23e film officiel de la saga James Bond fut chaotique, menacé par un facteur extérieur : les graves difficultés financières du studio Metro-Goldwyn-Mayer (MGM). Après le succès mitigé de Quantum of Solace (2008), la franchise entra dans un purgatoire de quatre ans. Le scénario, signé par les fidèles Neal Purvis et Robert Wade, était prêt, mais l’incertitude quant à la survie de MGM força l’arrêt du projet en 2010. Ce gel, paradoxalement, devint une chance. Quand la production reprit en 2011, Barbara Broccoli et Michael G. Wilson profitèrent de ce délai pour affiner le concept, consolider le script avec John Logan (Gladiator) et attirer un réalisateur prestigieux : Sam Mendes (American Beauty). Choix atypique, lui qui venait du théâtre et des drames psychologiques, Mendes accepta à condition de livrer non pas une simple suite, mais une réflexion sur Bond et son héritage. Skyfall naquit ainsi d’une double inspiration : célébrer les 50 ans de la saga (née en 1962 avec Dr. No) et interroger la pertinence de 007 au XXIe siècle. Le film adopta un ton crépusculaire et introspectif, centré sur l’homme derrière l’agent.

Avec Roger Deakins (No Country for Old Men) à la photographie, Mendes tisse une véritable tapisserie visuelle. Loin du style nerveux et quasi documentaire hérité de Paul Greengrass et Dan Bradley, Skyfall privilégie une esthétique lyrique et stylisée.

Daniel Craig s’y impose définitivement comme l’un des grands interprètes de Bond, aux côtés de Sean Connery. Sa performance, sans doute la plus complète, revient aux sources littéraires du personnage : un assassin, un « instrument contondant » selon Ian Fleming, dont la seule rédemption est de servir son pays. Mais Craig humanise 007, le montre vulnérable sans lui ôter son aura iconique. Dès la séquence d’ouverture, Bond apparaît brisé, physiquement et mentalement, incarnation d’un agent vieillissant dans un monde numérique. Blessé mais résistant, il gagne en profondeur ce qu’il perd en invincibilité. Le scénario, enrichi par John Logan, puise dans les romans originaux des éléments encore inédits à l’écran. Le retour d’un Bond diminué après une mission ratée évoque notamment L’Homme au pistolet d’or. Face à lui, le grand antagoniste, Silva, hérite de caractéristiques propres aux méchants classiques de la franchise mais aussi aux romans de Fleming : difformité dissimulée, charisme inquiétant et aura presque surnaturelle. Javier Bardem compose un psychopathe reptilien, oscillant entre menace, malice et détresse tragique. Son ambiguïté sexuelle, révélée dès sa première confrontation avec Bond, en fait un double négatif du héros. Proche du Joker de The Dark Knight, Silva n’est pas un mégalomane qui cherche à détruire le monde mais un ancien agent trahi, obsédé par la destruction de sa « mère » symbolique, Bardem livre une performance théâtrale et dérangeante, magnifiée par une entrée en scène glaçante : un monologue en plan-séquence, véritable coup de maître. Judi Dench, en M, devient le pivot du récit, presque une Bond girl inattendue, exposant la dureté des choix imposés aux figures de l’ombre. L’arrivée de Ben Whishaw (Q) et Naomie Harris (Moneypenny) incarne la relève technologique, tout en renouant subtilement avec les traditions de la saga et en préparant la renaissance du MI6.

Visuellement, Skyfall est un sommet. Roger Deakins compose des tableaux : dorures d’Istanbul, reflets kaléidoscopiques de Shanghai, brumes mélancoliques d’Écosse. Le montage de Stuart Baird (Superman) privilégie clarté et lisibilité, contrastant avec le style « épileptique » reproché à Quantum of Solace. Le rythme alterne entre fulgurances d’action et longues plages introspectives, comme la séquence de convalescence de Bond, qui crédibilise son retour. Mendes parsème son film de clins d’œil à l’ère Connery, mais s’écarte de la formule classique. L’intrigue (un disque volé) devient secondaire face aux relations entre personnages, donnant au récit une dimension de thriller psychologique autant qu’un film d’espionnage. Originalité supplémentaire : la seconde moitié se déroule en Grande-Bretagne, offrant même une séquence dans le métro londonien. Le final, inspiré par Impitoyable et Les Chiens de paille, confère à l’affrontement une aura quasi fantastique. Si l’action pure s’efface au profit de la psychologie et de l’esthétique, le film y gagne en intensité dramatique.

La chanson d’Adele parachève l’ensemble : ballade sombre et majestueuse, digne de l’âge d’or bondien, récompensée par un Oscar. Sa séquence d’ouverture graphique, mêlant symbolisme et noirceur, compte parmi les plus belles de la saga.

Conclusion : Hanté par la mort, le regret et la renaissance, Skyfall enterre symboliquement 007 pour mieux le réinventer dans sa forme la plus classique. Visuellement somptueux, porté par un Daniel Craig impérial et un Javier Bardem magnétique, il s’impose comme un épisode charnière et l’un des sommets de la franchise.

Ma Note : A

La critique vidéo de l’équipe Nopopcorn

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