
Un revenge movie où le vigilante a un crochet à la place d’une main, écrit par Paul Schrader (Taxi Driver, Raging Bull), éclairé par le directeur de la photographie de Blade Runner, Jordan Cronenweth (The Dead Zone), et adoré par Quentin Tarantino (Pulp Fiction, Kill Bill) ? C’est Rolling Thunder!
Prisonniers d’un camp Viet-cong des années après la fin de la guerre du Vietnam, le major Charles Rane (interprété par William Devane, The Station Agent, Knots Landing) et Johnny Vohden (joué par Tommy Lee Jones, The Fugitive, No Country for Old Men) rentrent enfin dans leur ville natale du Texas, où ils reçoivent une récompense d’un dollar par jour pour leur temps passé dans le camp. Cependant, le retour au foyer s’avère difficile : la femme de Rane a refait sa vie en son absence, et il a du mal à établir des liens avec son jeune fils qu’il a à peine connu. L’accueil du reste de la population de la ville, qui le considère comme un « perdant » ou un « tueur de bébés », n’est guère plus bienveillant. Rane lui-même n’est pas vraiment revenu indemne de son expérience et revit sans cesse les tortures endurées dans le camp.Lorsque des malfrats pénètrent chez lui pour récupérer la récompense offerte à son retour et qu’il refuse de révéler, même au prix d’une main broyée, où se trouve l’argent, ils assassinent sa femme et son fils. Après avoir remplacé son membre perdu par un crochet, il se lance dans une traque implacable des assassins, entraînant dans sa quête son ancien camarade, qui, lui aussi, peine à se réadapter à la vie civile. Ce film culte, connu pour la violence de son final et le crochet de son héros, a récemment connu un regain de popularité après que Quentin Tarantino l’a cité parmi ses films favoris, allant même jusqu’à donner son titre à sa société de distribution vidéo. Produit à la fin des années 70 par le grand producteur Larry Gordon (Die Hard, Predator), Rolling Thunder est réalisé par John Flynn. Malgré une carrière en pointillé, le nom de Flynn, décédé en 2007, reste gravé dans les mémoires grâce à ses nombreux petits joyaux de séries B que les cinéphiles de l’ère des vidéoclubs n’ont jamais oubliés. Dix ans après Rolling Thunder, il signera l’un des meilleurs thrillers des années 80, Pacte avec un tueur (Best Seller), avec James Woods et Brian Dennehy (le shérif de Rambo, décédé en 2020), ainsi qu’un solide film de prison avec Sylvester Stallone, Haute Sécurité (Lock-Up). La fin de sa carrière se fera à la télévision, où il réalisera un film avec Steven Seagal, l’ultra-violent Justice Sauvage (Out for Justice).Dans Rolling Thunder, Flynn installe une ambiance moite et malsaine dans ce Texas interlope, contribuant à la réussite du film. Sa mise en scène sèche et brutale accentue la violence, mais Rolling Thunder dépasse son statut de film d’exploitation grâce à la dimension dramatique apportée par Paul Schrader. Celui-ci explore à nouveau les tourments psychologiques d’un vétéran en quête de rédemption, qui trouve sa catharsis dans un bain de sang, comme dans le film de Martin Scorsese. Schrader considère d’ailleurs Rolling Thunder comme un compagnon plus ouvertement populaire, lui permettant d’explorer des thèmes qu’il n’avait pas abordés dans Taxi Driver, notamment les flashbacks sur le temps passé par Devane en captivité.

Rolling Thunder s’inscrit ainsi dans cette vague du cinéma américain qui traite du retour difficile des vétérans abandonnés par leur pays, aux côtés de films tels que Coming Home de Hal Ashby, The Deer Hunter de Michael Cimino, et le Rambo de Ted Kotcheff. William Devane est l’un de ces visages de cinéma que tout le monde a vus au moins une fois, tant sa carrière est longue et fournie. Dans Rolling Thunder, il incarne pour une rare fois un héros, lui dont le sourire carnassier l’a souvent placé du côté des personnages plus sombres. Ces caractéristiques apportent justement une ambiguïté au personnage de Rane.Pour le spectateur contemporain, c’est une surprise de découvrir un Tommy Lee Jones (The Fugitive, Men in Black) jeune, tant on a l’impression qu’il a toujours été âgé. Jones incarne ici un personnage paumé, presque mutique, qui ne parvient pas à chasser les spectres de la guerre. Il n’hésite pas à abandonner sa famille dans une scène qui respire le malaise pour suivre son ancien compagnon d’armes dans sa virée vengeresse, lorsque celui-ci débarque en uniforme au beau milieu du repas pour assouvir des pulsions meurtrières. Les mots ne sont pas nécessaires : Johnny comprend instantanément que Charles est prêt pour sa mission de vengeance et qu’il jouera son rôle dans celle-ci. Cette séquence cruciale expose la thématique centrale de Rolling Thunder : ces hommes sont de fait revenus émotionnellement morts du Vietnam et n’éprouveront sans doute plus jamais de plaisir en dehors de celui d’infliger de la violence. Le seul moment où William Devane, toujours impassible derrière ses lunettes miroir, s’anime, c’est lorsqu’il révèle à l’homme qui partage la vie de sa femme comment il a enduré douleur et humiliation constantes. « Vous apprenez à aimer la souffrance », dit-il, demandant à son interlocuteur, choqué, de le frapper plus fort. Cet empressement étrange trouble le spectateur et alerte sur son acceptation d’actes si cruels. Cette séquence, la préférée de Paul Schrader, distingue Rolling Thunder des simples films d’exploitation. La réaction de Rane au massacre de sa famille, froide et clinique, avec son nouveau crochet qu’il aiguise pour recharger son arme, démontre qu’il attendait une occasion pour libérer ses pulsions de violence. John Flynn met en scène Rolling Thunder avec un naturalisme qui sert la simplicité de l’intrigue. La photographie du film, signée Jordan Cronenweth (Blade Runner), est remarquable. Son fils Jeff, grand admirateur de son père, est un collaborateur régulier de David Fincher, avec qui il a travaillé sur Alien 3 au moment de la mort de Jordan. Après avoir subtilement construit l’ambiance et soigneusement développé ses personnages, la seconde moitié de Rolling Thunder se transforme en un film de vengeance violent, culminant dans un massacre au Mexique. Sans l’atmosphère unique qu’il crée, mélange étrange d’horreur et de contemplation, le film ne serait qu’un film de vengeance de plus. Flynn laisse Devane faire le gros du travail de caractérisation, tandis que son personnage s’enfonce dans une spirale de violence. Bien qu’il commence à établir un semblant de relation avec une « groupie » des prisonniers de guerre, Linda Haynes (Coffy, The Driver), qui a romantisé sa situation au point de s’amouracher de lui, il ne peut vraiment s’y engager et la tient à distance, ce qui témoigne de sa mort émotionnelle. Au fur et à mesure que l’intrigue avance, l’ambiance du film devient de plus en plus étrange, sans que la mise en scène ne souligne cette étrangeté, ce qui la rend d’autant plus efficace.
Conclusion : Rolling Thunder s’impose comme un film marquant du genre revenge movie, porté par l’écriture incisive de Paul Schrader et la mise en scène percutante de John Flynn. Film de vengeance moite et violent, baignant dans une ambiance lourde, Rolling Thunder (Légitime violence) est un bijou noir à redécouvrir. Avec des performances mémorables de William Devane et Tommy Lee Jones, le film explore les traumatismes des vétérans du Vietnam et leur quête de rédemption à travers une violence brutale. La photographie de Jordan Cronenweth renforce l’atmosphère moite et malsaine du récit, tandis que la dimension dramatique transcende le simple film d’exploitation. En mêlant émotion, action et une réflexion poignante sur la souffrance, Rolling Thunder demeure un classique culte qui continue d’influencer le cinéma contemporain.