
Une unité d’élite de la police indonésienne se lance dans une mission aussi périlleuse que suicidaire : prendre d’assaut un immeuble insalubre de Jakarta, véritable forteresse urbaine contrôlée par un redoutable caïd de la drogue. Retranché au sommet de cette tour comme une araignée au centre de sa toile, le criminel règne sur un empire de violence, protégé par une horde d’hommes de main armés jusqu’aux dents. Dès leur intrusion, les policiers sont repérés et se retrouvent isolés, sans possibilité de renforts. Pris au piège, ils n’ont d’autre choix pour survivre que de gravir, un à un, les 30 étages du bâtiment, affrontant à chaque palier une opposition de plus en plus féroce.
Dès les premiers plans, ce qui distingue The Raid de la plupart des films d’action contemporains, c’est sa mise en scène immersive et stylisée. Avec sa photographie aux teintes bleu nuit métalliques, son atmosphère suffocante et sa musique électro-indus angoissante, l’ombre de John Carpenter et du James Cameron de la première époque plane sur l’œuvre de Gareth Evans. Cette ambiance quasi fantastique transforme les assaillants en figures cauchemardesques, évoquant tantôt les zombies des films de George A. Romero, tantôt les hordes menaçantes des jeux Resident Evil. L’influence vidéoludique est d’ailleurs omniprésente, ne serait-ce que par la structure narrative du film : un lieu unique, un objectif clair, des niveaux de difficulté croissants, et un affrontement ultime contre un « boss final ». Ce dernier n’est autre que le caïd du crime et son impitoyable bras droit, le bien nommé Mad Dog.
Mais ce qui frappe surtout dans The Raid, c’est son approche viscérale et radicale du combat. Gareth Evans orchestre ses scènes d’action avec une virtuosité impressionnante, alternant entre plans sophistiqués et chorégraphies ultra-nerveuses d’une brutalité inouïe. Mention spéciale à une séquence mémorable où une balle tirée en bullet time fend l’air au ralenti, illustrant parfaitement le souci du réalisateur pour l’esthétique du mouvement. Le film regorge de moments de pure frénésie martiale, notamment une scène dans un couloir où Rama, le héros, affronte une dizaine d’assaillants armés de machettes. Ici, pas d’effet tape-à-l’œil ni de montage haché : les plans sont longs, laissant pleinement apprécier la précision et la puissance des coups portés. Iko Uwais, interprète principal et véritable maître du Pencak Silat, un art martial indonésien, fait preuve d’une agilité et d’une férocité sidérantes. Chaque impact est ressenti, chaque coup semble avoir un poids réel, renforçant le sentiment d’urgence et de danger.
Pour éviter la lassitude et briser toute monotonie, Gareth Evans prend soin de diversifier les affrontements en leur donnant à chaque fois un cadre et une atmosphère distincts. L’ingéniosité du réalisateur se manifeste autant dans les variations de rythme que dans l’exploitation du décor, conférant à chaque séquence une identité propre. Il suffit de voir cet incroyable combat qui se termine en chute libre pour comprendre l’inventivité débridée du cinéaste. Bien que le scénario reste simple, il n’en demeure pas moins efficace. Le récit se veut rigoureux et tendu, avec quelques rebondissements bien amenés qui empêchent le film de se réduire à une simple succession de combats.
L’expérience sensorielle que constitue The Raid est intensifiée par la bande-son composée par Mike Shinoda, membre du groupe Linkin Park, et Joseph Trapanese. Leur partition, oscillant entre tension sourde et déchaînement percussif, vient parfaire l’immersion. Elle pulse au rythme des affrontements, renforçant leur impact et donnant parfois une sensation proche de la transe. Le parallèle avec Matrix s’impose à plusieurs reprises, tant cette bande-son électro-industrielle semble fusionner avec la violence stylisée du film.
Il est d’autant plus impressionnant de constater que The Raid est le fruit d’un réalisateur gallois inconnu, exilé en Indonésie, travaillant avec un budget modeste. Pourtant, 20 ans après À toute épreuve de John Woo, ce film s’impose comme une nouvelle référence incontournable du cinéma d’action asiatique – et par extension, du cinéma d’action tout court. En exploitant brillamment les codes du genre tout en y injectant une énergie nouvelle, Gareth Evans redéfinit les standards en matière de mise en scène martiale.
Conclusion : The Raid n’est pas juste un film d’action, c’est une véritable leçon de cinéma physique, une plongée brutale et immersive dans un chaos chorégraphié avec une précision diabolique. Chaque coup porté, chaque respiration haletante, chaque silence précédant l’explosion de violence est ressenti avec une intensité rare. Peu de films parviennent à allier une telle efficacité narrative à une maîtrise aussi absolue du langage corporel et cinématographique. The Raid est de ceux-là : un uppercut en pleine face, une expérience à la fois viscérale et hypnotique qui laisse le spectateur aussi essoufflé que ses protagonistes au terme de leur ascension infernale.
Ma Note : B+
The Raid de Gareth Evans (sortie le 20 juin 2012)