WAR FOR THE PLANET OF THE APES (2017)

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Il est devenu courant de fustiger l’inlassable cycle de reboots qui frappe Hollywood. Pourtant, cette nouvelle itération de la saga Planet of the Apes illustre une approche réussie : en opérant un pas de côté, elle propose une vision à la fois fidèle à l’esprit du film de 1968 et profondément originale. Aux origines de ce reboot, la Fox, dans la foulée du remake raté de Tim Burton, commande au scénariste Scott Franck (Hors d’atteinte) un remake de La Conquête de la Planète des Singes. Son script, intitulé « Caesar », très documenté, explorait de manière réaliste les conséquences de l’acquisition de la parole par les singes à la suite d’expériences génétiques. Ce matériau servira de base au pitch du duo Rick Jaffa – Amanda Silver (Jurassic World), qui choisit comme vecteur la recherche sur Alzheimer. Grâce à la mise en scène de Rupert Wyatt, au talent de Weta et d’Andy Serkis, le film, modèle de blockbuster intelligent, rencontre un succès-surprise. Malgré le départ de Wyatt, sa suite confiée à Matt Reeves (Cloverfield, Let Me In) connaîtra le même succès, tout en conservant sa maturité.

Dans la continuité, La Planète des singes : Suprématie s’ouvre après un bandeau informant que, suite au conflit déclenché par Koba (Toby Kebbel), les troupes humaines appelées en renfort à la fin de L’Affrontement mènent, sous le commandement d’un mystérieux colonel, une guerre sans pitié contre la tribu de César. Le film débute dans une forêt épaisse, où un commando d’humains assistés de singes « collaborationnistes » attaque une position tenue par César. Après cette séquence de guerre asymétrique, digne d’un film sur le Vietnam, nous retrouvons César (Andy Serkis) et son peuple réfugiés dans une grotte, attendant le retour d’éclaireurs partis chercher un territoire loin des humains. Profitant de la nuit et renseigné par un traître, le Colonel attaque la grotte. César échappe de peu à cette première confrontation, une hallucinante séquence nocturne baignée par la pleine lune, et se lance bientôt, ivre de vengeance, sur les traces de son ennemi.

Le script signé Matt Reeves et Mark Bomback (Die Hard 4, le remake de Total Recall) suit une trajectoire constamment surprenante, nourrie des films qui ont inspiré Reeves et qu’il transfigure. La traque initiale renvoie au western (notamment Josey Wales de Clint Eastwood), avant de basculer vers le « film de camp » et d’évasion, pour finir par toucher au récit biblique façon Dix Commandements. Quand cette dimension se révèle, le spectateur comprend qu’elle était présente en filigrane tout au long du film, tant les motifs religieux abondent : crucifixions, sacrifices des premiers-nés, reniements et repentances. La captivité des singes et la construction forcée d’un mur absurde évoquent autant les prisonniers de guerre contraints de bâtir le Pont de la rivière Kwaï (autre adaptation d’un roman de Pierre Boulle) que les Hébreux construisant les pyramides pour le pharaon. César renvoie ainsi à la figure de Moïse : élevé parmi les hommes comme Moïse le fut auprès du pharaon, il mène la révolte dans Les Origines, devient chef de guerre dans L’Affrontement, et, au crépuscule de sa vie, doit libérer son peuple de la servitude pour l’amener vers une terre promise. Mais César reste hanté par le désir de vengeance et ses erreurs passées. Cette dimension fait de Suprématie bien plus une tragédie épique qu’un simple blockbuster tonitruant.

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Avec ce nouvel opus, Reeves réalise enfin ce qu’il souhaitait depuis son arrivée sur la saga : placer l’action uniquement du point de vue des singes, sans contrepoids humain, maillon faible de L’Affrontement. L’humanité n’est perçue qu’à travers César et ses compagnons, tandis que la mythologie de la franchise, présente sous forme de clins d’œil (Nova, Cornelius), s’intègre pleinement à l’intrigue. Les nouveaux personnages sont particulièrement réussis. Le Colonel, antagoniste du film, figure kurtzienne rappelant Brando dans Apocalypse Now, est traité avec une efficacité redoutable : d’abord voix galvanisant ses hommes au sacrifice, puis ogre nocturne couvert de maquillage, porteur de mort au cœur de la tribu. Ce n’est qu’au terme de la traque, « au cœur des ténèbres », qu’une confrontation révèle sa nature monstrueuse mais torturée, miroir de ce que César pourrait devenir s’il se laissait dévorer par ses démons. Woody Harrelson, dense comme de l’uranium, confère une aura puissante à son personnage. Inspiré d’abord par Brando, il s’en éloigne peu à peu pour révéler une figure charismatique, complexe et tragique. L’une des meilleures performances de sa carrière.

Autre ajout marquant : Bad Ape, interprété par Steve Zahn, personnage à la fois comique, drôle et attachant, mais doté d’une véritable dimension dramatique. Coïncidence, Suprématie présente, comme Logan la même année chez Fox, un enfant mutique compagnon de route d’un vieux guerrier au crépuscule de sa vie. La jeune Amiah Miller (Dans le noir) incarne Nova (clin d’œil à Linda Harrison dans le film original), qui devient peu à peu l’intermédiaire entre une humanité en voie d’effacement et le monde des singes, évolution traduite par ses mouvements chorégraphiés par Terry Notary. Ce dernier, déjà responsable de la gestuelle sur les volets précédents, la trilogie du Hobbit, Warcraft et Kong Skull Island, incarne aussi Rocket, fidèle lieutenant de César. Les personnages secondaires bénéficient d’un soin particulier : Maurice l’orang-outan (Karin Konoval), Winter le singe albinos (Aleks Paunovic). Le scénario réserve des trajectoires inattendues à des figures en apparence prévisibles, comme Rex (Ty Olsson), gorille « collabo » au service du Colonel. Sans surprise, Andy Serkis se taille la part du lion : avec peu de dialogues, il transmet les conflits intérieurs de César, partagé entre devoir, vengeance et remords, hanté par les apparitions de Koba (Toby Kebbel), qu’il fut contraint de tuer. Véritable Lon Chaney de l’ère numérique, Serkis aurait mérité enfin une nomination aux Oscars.

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On évoque souvent l’uncanny valley, ce sentiment d’étrangeté face à une reproduction numérique du vivant. Ici, grâce au travail de Weta Digital, cette « vallée dérangeante » semble franchie. Les équipes de Joe Letteri animent des dizaines de primates parfaitement intégrés aux décors naturels, sans que jamais leur réalité ne soit remise en cause. Certes, dans la motion-capture, le jeu des acteurs est primordial pour insuffler une âme à ce qui pourrait n’être qu’une démonstration technique. Mais le niveau d’excellence atteint par la société néo-zélandaise est tout simplement incroyable.

Visuellement, à l’image de son prédécesseur, Suprématie est l’un des plus beaux blockbusters récents. La photographie du vétéran Michael Seresin (Midnight Express, Angel Heart) est somptueuse, qu’il éclaire forêts, montagnes enneigées ou atmosphère lugubre du camp de prisonniers. La direction artistique de James Chinlund (Avengers) est tout aussi soignée, regorgeant de détails qui immergent pleinement le spectateur. Matt Reeves confirme qu’il appartient au top 10 des cinéastes américains : le soin apporté à la composition des cadres et sa mise en scène ample et dynamique relient cinéma classique et moderne. Si la partition de Michael Giacchino sur le précédent volet nous avait déçus, toutes réserves s’envolent ici devant son travail magistral : tour à tour tribal, romantique, lyrique et épique, son score pour Suprématie compte parmi ses meilleurs.

Conclusion : Visuellement époustouflant, émotionnellement puissant, porté par la mise en scène de Matt Reeves, le jeu de Serkis et le travail de Weta Digital, La Planète des singes : Suprématie s’impose comme un grand film, dont la solennité et la densité le placent à la hauteur des grandes fresques épiques dont il s’inspire.

Ma note : A-

La Planète des singes : Suprématie (War for the Planet of the Apes)  réalisé par Matt Reeves.

Sortie le 02/08/2017.

 

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