ROLLERBALL (Critique)

Les cinéastes de l' »ancien Hollywood »étaient beaucoup plus versatiles que nos réalisateurs contemporains que le système cantonne souvent à un genre particulier et il semble que seuls une poignée de réalisateurs (Spielberg, Nolan) aient arrachés le droit d’avoir cette versatilité. La carrière du canadien Norman Jewison compte ainsi des comédies musicales (Un violon sur le toit, Jesus Christ Superstar), des thrillers (L’affaire Thomas Crown, Dans la chaleur de la nuit ) des films de procès (Justice pour tous) des comédies romantiques (Éclair de lune). Rollerball, qui mélange de éléments de thriller paranoïaque, de satire des médias, de film sportif, d’anticipation et une dose d’exploitation, est un parfait représentant de cet état d’esprit.

Dans le  contexte social du monde futuriste de 2018 (!) le Rollerball, un sport qui combine en une seule les pratiques les plus violentes comme le hockey, les arts-martiaux, le motocross et  le  football américain, est utilisé par un conglomérat de six méga-sociétés monopolistiques qui  contrôlent tous les secteurs d’activité, s’étant substitué aux états-nations  pour  canaliser les pulsions violentes d’une population dont ils maîtrisent le moindre aspect de la vie quotidienne. Si elles ont débarrassé l’humanité de tous ses maux (plus de guerres ou de pauvreté) elle l’ont aussi privé de son libre-arbitre. C’est  à  travers cette vision d’une société future, le thème familier de la lutte de l’individu face à un système, que traite Jewison, avec l’histoire de Jonathan E (James Caan) joueur vedette de l’équipe de Houston, devenu trop célèbre aux yeux des dirigeants du cartel de l’énergie, qui refusant de prendre sa retraite va entrer en rébellion contre le système. Le culte de la personnalité qui croit autour de Jonathan remet en cause un système conçu de manière à nier l’importance de l’individu. A mesure qu’il continue de gagner, le conglomérat de l’énergie et son dirigeant Bartholomew (John Houseman) commencent à changer les règles du Rollerball supprimant les pénalités puis éliminant les remplacements. A chaque changement de règle, les matches deviennent plus sanglants et les victoires de Jonathan E. plus spectaculaires portant des coups encore plus fort au système…

Le parcours du personnage de Jonathan E., athlète dont le statut de star lui permet d’évoluer dans la super-classe, vers l’articulation d’une remise en question puis d’une révolte contre le système est un des points forts du film. A mesure qu’il se heurte à l’autorité et que le visage du sport dans lequel il a prospéré change, il prend conscience de la vraie nature du Rollerball : un outil d’oppression destiné à démontrer la futilité de l’individualisme. Au bout de cette prise de conscience,  voyant l’effet de sa popularité sur le public il la retourne contre ses oppresseurs. Ce thème du pouvoir de l’individu face au système est également celui de la série britannique  The Prisoner avec Patrick McGoohan, ce dernier y interprétant le rôle de Numéro 6 qui, coïncidence (ou pas) est aussi le numéro du maillot de Jonathan EJames Caan incarne un athlète crédible, et, si l’acteur s’est plaint de ne pas avoir pu faire grand-chose avec ce personnage à l’écriture minimaliste, malgré son extérieur taciturne, l’acteur du Solitaire parvient à montrer l’éveil progressif d’une conscience politique chez un homme que rien ne prédestine à remettre en cause l’ordre établi. On ressent les douleurs et les regrets enfouis qui remontent en lui quand il croise  son ancienne compagne Ella (interprété par la sublime Maud « Octopussy » Adams) qui lui a été « enlevée » quand un apparatchik s’en était amouraché, et que les dirigeants lui envoient pour le ramener à la raison. Sa relation avec son partenaire Moonpie (John Beck) est aussi émouvante et étrangement poétique.

A la manière de l’interprétation de Caan le film a une qualité monolithique que l’on peut attribuer  à l’influence de Stanley Kubrick, en particulier celle d’Orange mécanique (sorti quatre ans plus tôt) sur Norman Jewison. Influence que l’on retrouve dans l’utilisation répétée de zooms, de la musique classique au lieu d’une composition contemporaine et d’une architecture moderne massive de béton et de verre. Jewison et son production designer John Box – collaborateur historique de David Lean pour qui il signa les décors du  Docteur Jivago ou Lawrence d’Arabie mais aussi  ceux du  Sorcerer de William Friedkin  – furent influencés  par le travail de l’architecte Oscar Niemeyer (Jewison filmera des séquences dans deux de ses œuvres Le  Palais de l’Aurore ainsi qu’au  Congresso Nacional à Brasilia  avant le tournage). Rollerball fut filmé  à Londres et en Allemagne, les séquences de match ont été filmées dans le Basketballhalle de l’Olympiapark de Munich, à l’époque seule arène sportive au  profil presque circulaire, que la production pouvait habiller pour « incarner » les différents stades du film. D’autres bâtiments de la ville furent utilisés tel le siège de BMW devenant ainsi celui de la corporation de l’énergie. On ressent de manière subliminale cette lourde influence européenne, (nous sommes en pleine guerre froide) dans l’ambiance du film. Ironiquement le futur ultra-capitaliste de Rollerball avec cette machine à broyer l’individu et ses castes d’apparatchiks apparaît semblable aux pays du bloc communiste qui commençait à quelques centaines de kilomètres des lieux de tournage. L’utilisation de la musique classique dans Rollerball, en particulier celle de Toccata et  Fugue en  Ré de Bach joué à l’orgue dans la séquence d’ouverture et en clôture du film est particulièrement mémorable, elle établit un ton et une atmosphère à la fois majestueuse et puissante mais résolument inquiétante.

Au-delà de son style qui pourra apparaître daté malgré les efforts de Jewison, la civilisation dystopique de 2018 imaginée par William Harrison (qui a adapté sa propre nouvelle The Rollerball murders) avec sa population dont l’obsession pour des spectacles violents supplante l’intérêt pour les problèmes sociaux, ses sports contrôlés, comme tous les aspects de la société, par de grands groupes qui poussent leurs athlètes aux limites de leurs capacités et où les riches se sont coupés du  monde extérieur, nous semble désormais étrangement familier. En 1975, l’Amérique traversait de nombreux bouleversements sociaux mais si elle n’avait pas encore  commencé à accepter la violence comme partie intégrante de son divertissement, des signes avant-coureurs étaient là. Norman Jewison voyait les dérives  que décrit le film comme un avertissement contre cette violence que semblait exiger de plus en plus le public dans des sports comme la boxe professionnelle ou le football. Cet avertissement revêt encore plus de sens aujourd’hui, où des sports encore plus violents  ont supplanté sur les chaines du câble d’autres plus classiques. Même des aspects plus ésotériques du film comme cette scène où un invité ivre incinère des pins lors d’une  grande party de la classe dirigeante auquel Jonathan assiste (seule scène du film à avoir une musique contemporaine) prend rétrospectivement l’aspect d’une métaphore prémonitoire de la crise écologique que notre modèle économique provoque. Pourtant à l’image de son personnage principal, Rollerball est tiraillé entre les aspirations intellectuelles de son  scénario et la réaction instinctive aux matches de Rollerball physiques et brutaux. Jewison et son monteur Antony Gibbs (Ronin) rendent ces séquences si dynamiques et impactantes qu’elles finissent  par provoquer chez le spectateur ce que le film veut dénoncer (le réalisateur refusa même, horrifié, des propositions de promoteurs sportifs pour réellement développer le rolleball…). Rollerball reste avant tout un film d’action viscéral mais avec cet aperçu d’un monde où des sociétés sans visage ont remplacés les gouvernements, très similaires à celui d’aujourd’hui où les médias et la culture sont dominés par quelques corporations, la vision de Norman Jewison est redevenu  pertinente et établit Rollerball comme l’un des films  de science-fiction les plus marquants et prospectifs des années 70.

Rollerball de Norman Jewison (1975)

Un commentaire

  1. Grand merci pour cette analyse très complète d’un classique de l’anticipation que je n’ai hélas pas revu depuis très longtemps.
    Je n’avais jamais fait le lien avec le numéro 6 du Prisonnier qui me semble assez pertinent. Je pe se que inversement Rollerball a dû marquer quelqu’un comme Ridley Scott lorsqu’il envisage le rapport de son Gladiator au pouvoir de la foule.
    On passera sur le remake massacré pourtant signé McTiernan.

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