LA FAVORITE (Critique)

En l’espace de quelques années Yórgos Lánthimos a connu une ascension météorique dans le domaine du cinéma d’auteur avec ses dystopies cruelles comme The Lobster ou Mise à mort du cerf sacré qui en ont fait un réalisateur clivant. Toutefois La Favorite, comédie cruelle  sur une bataille pour l’attention de la reine Anne (Olivia Colman) entre ses deux amies les plus influentes, Sarah Churchill (Rachel Weisz) et Abigail Hill (Emma Stone) est son film le plus accessible. La cour royale britannique, à l’aube du XVIIIe siècle, pleine d’aristocrates mesquins semble être un terrain de jeu idéal pour ce réalisateur adepte de cruauté baroque. La favorite s’inscrit dans le genre codifié du « film en corset » avec ses perruques, ses échanges acides entre courtisans et la pourriture qu’on dissimule sous les maquillages. Le réalisateur grec l’investit à la limite du pastiche et de la parodie avec, si on voulait filer la métaphore Kubrickienne, un film qui serait une fusion entre Barry Lyndon et Orange Mécanique.

Anne, qui a régné sur la Grande-Bretagne de 1702 à 1714, est une figure peu connue et donc peu explorée dans la pop-culture, dernier membre de la Maison Stuart, la reine a été définie pendant des siècles par les propos cinglants que Sarah avait écrits à son sujet après sa mort. La Favorite dramatise et contextualise ce jugement d’une reine égoïste et têtue. L’action se déroule en 1708, Anne, âgée de cinquante-trois ans (Olivia Colman), entame sa sixième année sur le trône. Elle oscille le plus clair de son temps entre le chagrin causé par la mort de ses (dix-sept !) enfants, la rage que peut provoquer chez elle le son de la musique et la douleur de la goutte qui la ronge. Elle est complètement déconnectée de la conduite des affaires de l’État qu’elle laisse à l’initiative de sa « favorite » établie, Sarah Churchill (Rachel Weisz). Churchill, épouse du général Lord Marlborough (Mark Gatiss le co-créateur de la série Sherlock) mène la guerre contre la France, manipule le premier ministre Godolphin (James Smith) et muselle l’opposition parlementaire qu’incarne Robert Harley (Nicholas Hoult), jaloux et superficiel. Accessoirement en plus de ses attributions, Sarah  couche avec la reine… C’est dans  cette situation que débarque une cousine de Churchill, Abigail Hill (Emma Stone) vendue jadis par son père accro au jeu comme esclave sexuelle, Abigail après s’être enfin libérée se présente au château dans l’espoir que Sarah la prenant en  pitié l’aide à retrouver  une situation. Elle la fait embaucher comme femme de chambre mais quand Hill surprend sa cousine en train de s’attribuer auprès de la reine le mérite d’un soin contre la goutte qu’elle a concocté à base d’herbes médicinales, elle décide de se venger et de supplanter cette dernière dans le cœur et le lit de la souveraine. S’engage entre les deux cousines une lutte pour l’affection de la souveraine qui va  vite dégénérer.

Le scénario de La Favorite, signé Deborah Davis, dont c’est le premier script et de Tony McNamara, qui a œuvré essentiellement pour la télévision, est vif et parvient à être suffisamment anachronique pour capturer l’esprit de l’époque sans sacrifier la capacité du public à comprendre ses dialogues. Les personnages de Lanthimos sont souvent froids et cruels et ceux de La Favorite si ils sont également cruels et calculateurs sont motivés par des sentiments comme l’amour, la convoitise, la jalousie ou la colère  qui nous les rendent plus proches que ceux de ses précédents films. C’est aussi grâce au travail brillant du trio Weisz / Stone / Colman qui livre une interprétation aussi spectaculaire que nuancée. Olivia Colman, l’une des meilleures comédiennes britanniques, qui a rarement la possibilité de jouer des rôles de premier plan en dehors de la télévision, est ici la plus en évidence avec ce rôle d’Anne, un personnage simultanément monstrueux et vulnérable. Une reine pathétique à bien des égards dont on comprend les souffrances mais qui peut se montrer cruelle, traitant ses demoiselles d’honneur comme des jouets, tiraillée par un désir insatiable d’attention et d’affection. Weisz, qui retrouve Lanthimos pour la seconde fois après The Lobster, est parfaite dans le rôle de la terrible Sarah une manipulatrice au tempérament de fer qui use de son éloquence pour asséner le compliment comme l’insulte. Elle en fait un personnage certes calculateur mais charismatique, totalement lucide sur elle-même et le monde qui l’entoure et  qui montre, malgré tout une affection sincère  pour son « amie » la reine. Affection qu’est loin de partager Abigail qui se révèle de plus en plus impitoyable à mesure qu’elle gravit les échelons de l’influence et qui, contrairement à Churchill  n’exerce son pouvoir que pour son plaisir  et la joie d’imposer sa volonté sur les autres, laissant les affaires politiques à HartleyEmma Stone qui joue ici toutes les nuances de la jeune ingénue à la débauchée cruelle nous fait ressentir sa terreur d’être à nouveau impuissante qui se transforme en une volonté maniaque de  trouver  une position qui lui assurera enfin la sécurité. Le monde de La Favorite est un univers où les femmes règnent et où les hommes remplissent des fonctions accessoires à peine visible. Seule exception  Nicolas Hoult, dans le rôle d’Hartley, qu’on a jamais vu si à l’aise à l’écran semble tant s’amuser avec ce personnage à la fois cruel et ridicule qu’il est impossible de ne pas s’amuser avec lui quand il est à l’écran.

Lanthimos place la monarque au centre d’un monde qui nous apparaît irréel, il accentue son isolement  et l’étrangeté oppressante de sa cour, avec des scènes majoritairement tournées avec un objectif fish-eye et des angles extrêmes. Mais ces fioritures sont nécessaires, pour faire ressortir les qualités cauchemardesques du monde qu’il décrit, il veut, même au cœur de somptueux palais, que son cadre soit aussi fermé que dans un huis-clos . Cette atmosphère étouffante rend encore plus urgent le désir désespéré d’Abigail de gravir les échelons de la cour , même si cela signifie devoir se plier aux caprices d’une monarque fragile. Le grec  a un œil incroyable et ses compositions de plans sont excellentes et le travail qu’accomplit sur les lumières l’irlandais Robbie Ryan (American honey)  remarquable. Son utilisation de la  lumière naturelle et des bougies pendant une grande partie du film confère au château une sorte de pâleur morbide malgré la somptuosité qui remplit le moindre espace. Ses noirs aussi profonds que de l’encre contribuent à l’atmosphère claustrophobe qu’impose Lanthimos alors que la comédie picaresque cède peu à peu la place à un drame crépusculaire et que ses protagonistes s’enfoncent progressivement dans leurs propres ténèbres. Dans son dernier plan,  Lanthimos renoue avec le ton de ses films précédents : sans trop en dévoiler, il montre la reine réaffirmer son pouvoir sur Abigail avec une fusion d’images de lapins, soulignant de manière grossière  ce qu’il avait jusque à présent montré de façon subtile. En dépit de ce bémol et de son statut de film d’époque, ce pourrait bien être son travail le plus incisif et pertinent.

Conclusion : La Favorite est un régal merveilleusement cruel et cynique où brillent trois actrices dont la lutte de pouvoir en forme de montagnes russes pour les faveurs d’une reine monstrueuse et pathétique sous la caméra « fish-eye » de Yórgos Lánthimos est jubilatoire.

Ma Note : A-

La favorite de Yórgos Lánthimos (sortie le 06/02/2019)

Un commentaire

  1. Vous défendez bien ce film que j’ai pour ma part trouvé déplaisant, qu’il s’agisse du fond ou de la forme. Les plans en objectif fish eye donnent l’impression que les personnages sont des animaux dans un bocal et témoignent à mon sens du mépris dans lequel le réalisateur tient la cour. Certes, le scénario est bien construit et les actrices bonnes. J’en avais fait une notule.

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