
Le film s’ouvre dans l’étude de Don Vito Corleone (Marlon Brando), le parrain,le jour du mariage de sa fille Connie (Talia Shire future Adrian de Rocky et dans la vie sœur du réalisateur), où aucun Sicilien ne peut refuser une demande. Alors les requérants arrivent, chacun voulant quelque chose de différent: la vengeance, un rôle dans un film, la famille s’est réunie pour l’événement. Michael (Al Pacino), le plus jeune fils de Don Vito héros de la Seconde Guerre mondiale, de retour chez lui en compagnie d’une nouvelle petite amie Kay (Diane Keaton) retrouve Sonny (James Caan) et Fredo (John Cazale), ainsi que leur frère « adopté », Tom Hagen (Robert Duvall), fidéle conseiller du Parrain. Avec la fin de la guerre, les temps changent et le pouvoir de Don Vito commence à s’éroder. Pour la nouvelle génération de criminels , ses idées sur l’importance de la famille, de la loyauté et du respect sont dépassées. Même son héritier apparent, Sonny, ne comprend pas le refus de son père d’entrer dans le lucratif trafic de drogue. Mais Don Vito ne fera aucun compromis, même quand un puissant trafiquant Sollozzo (Al Lettieri) lui propose une association. Ce refus mène à une guerre de gangs dans laquelle Vito est blessé lors d’une tentative d’assassinat. Sonny prend temporairement le contrôle de la famille , alors que Michael choisit de tuer Sollozzo et un capitaine de police corrompu pour se venger de l’attaque contre Vito. Après que Michael se soit caché en Sicile, l’instable Sonny est tué dans une embuscade que Carlo, le mari de sa sœur Connie a aidé à mettre en place. Alors qu’il se cache en Sicile , Michael épouse une jeune femme sicilienne qu’il perd dans une tentative d’assassinat dirigée contre lui par une famille rivale. Il rentre alors en Amérique pour prendre le contrôle de la famille …

On tend aujourd’hui à oublier que Le Parrain a été conçu dès le départ comme un blockbuster, adapté d’un roman populaire, un best-seller financé par Paramount durant son écriture, rempli de sexe et de violence, destiné à fournir le matériel pour un film à grand spectacle. De son propre aveu, Mario Puzo cherchait avant tout à gagner de l’argent et a écrit « en dessous de ses capacités ». Par chance, Paramount a confié le film à Francis Ford Coppola, qui a également signé le scénario avec Puzo. Tout en restant très proche du sensationnalisme du livre, Coppola a inversé le processus et a su élever ce matériau brut. L’ironie veut que Coppola, lui-même, ait déclaré avoir fait le film (sur le conseil de George Lucas) pour l’argent, afin de concrétiser les projets de films de sa société, Zoetrope. En dépit des circonstances et des pressions, il est parvenu à conserver l’énergie pulp de Puzo, tout en conférant à la chronique de la dynastie mafieuse des Corleone la dignité narrative des grandes œuvres et l’ampleur d’un Autant en emporte le vent. On est encore frappé aujourd’hui par la densité de son intrigue et son rythme, malgré ses trois heures. Au-delà de l’aspect shakespearien que Coppola va insuffler, Le Parrain demeure un grand divertissement populaire. Puzo a fourni à Coppola ce dont il avait besoin : une avalanche de péripéties, de personnages et de détails parmi lesquels choisir, créant un folklore d’une grande richesse. On n’oubliera jamais le tueur pataud Luca Brasi (qui dort désormais avec les poissons), le réveil douloureux du producteur hollywoodien Jack Woltz (John Marley), amateur d’étalons, après avoir refusé une faveur au Don, et Clemenza (Richard S. Castellano), l’exécuteur de la famille, amateur de cannolis.Le schéma visuel du film repose sur un contraste permanent entre ombre et lumière, vie et mort, bien et mal. Ce contraste est apparent dès la scène d’ouverture : alors que la fête célébrant le mariage de Connie se déroule sous un soleil radieux et élégiaque, les hommes se rencontrent dans des salons aux volets mi-clos, dans l’obscurité, pour mener leurs affaires. Tout le film oscille entre ces deux mondes, un univers nocturne et le soleil qu’ils partagent avec les femmes et les enfants, entre l’amour pur de Michael pour son épouse sicilienne et les mariages en ruine de ses frères et sœurs jusqu’à l’interconnexion finale entre le baptême du fils de Connie et la prise de pouvoir brutale de Michael Corleone. La structure narrative de Le Parrain va graver dans le marbre une dynamique religieusement conservée par ses suites : une cérémonie familiale qui marque l’apogée des Corleone, suivie d’une série d’attaques orchestrées par un adversaire agissant pour un ennemi puissant tirant les ficelles dans l’ombre. La trahison d’un proche et un dénouement sanglant, où le chef de la famille règle ses comptes au prix d’un sacrifice personnel, éloignent toujours un peu plus les Corleone de la respectabilité à laquelle ils aspirent.

Le rôle de Don Vito Corleone, sans doute l’une des figures les plus reconnaissables de toute l’histoire du cinéma, doit énormément aux choix idiosyncratiques de son légendaire interprète, Marlon Brando, qui voyait en lui un bouledogue. Il se transforma sous les yeux de son réalisateur, en se bourrant les joues de mie de pain. Plutôt que de se concentrer sur le profil de statue et de faire du patriarche du clan Corleone un vieux et noble guerrier, Brando lui donne le visage meurtri d’un vieillard malin et combatif, dont la voix éraillée s’échappe d’une bouche tordue et de dents serrées. Brando, connu pour ses décharges soudaines et violentes d’émotion, réussit à intérioriser le pouvoir de Don Vito, lui prêtant une part de sa réserve naturelle. Il le rend ainsi moins menaçant physiquement, mais beaucoup plus profond. Le personnage n’est jamais expliqué, et pourtant le spectateur l’accepte immédiatement : habile en affaires, dur sans être injuste, doux envers les enfants et les femmes, tout en respectant les codes de son propre monde. Brando l’interprète avec une conviction absolue, ne dominant pas le film, mais conférant au Parrain la présence légendaire nécessaire pour élever le récit au-dessus d’une simple histoire de gangsters. Autour de lui, Coppola a assemblé un casting de jeunes comédiens désormais légendaires : James Caan, qu’il avait dirigé dans Les Gens de la pluie, incarne le fils impétueux, dont le physique évoque un Brando jeune, mais dépourvu de l’intuition de son aîné, dont le bref règne sur la famille se terminera sous une pluie de balles. Robert Duvall joue le film adoptif devenu consigliere, tandis que John Cazale est trop simple d’esprit pour détenir un pouvoir réel. Et bien sûr, Al Pacino incarne l’héritier qui croit à tort pouvoir reprendre l’entreprise familiale sans y perdre son âme. Il est désormais impossible d’imaginer quelqu’un d’autre que Pacino dans la peau de Michael, bien que le réalisateur ait dû se battre pour l’imposer face aux favoris du studio, Robert Redford et Ryan O’Neal, qui correspondaient pourtant à la description du personnage dans le roman de Mario Puzo. Coppola voulait un inconnu qui ait l’air d’un Italo-américain. Bien que très différent de Brando, Pacino finit par lui ressembler par ses manières et sa voix. Son jeu, simple, intense mais sans ostentation, crée autour de lui une aura calme, de plus en plus sinistre, à mesure qu’il prend ses responsabilités dans la famille. On le voit passer du jeune homme idéaliste au sombre seigneur du crime, de plus en plus intense mais aussi de plus en plus seul à chaque étape de son ascension. Pacino nous fait ressentir la souffrance d’un homme dont les calculs vont souvent à l’encontre de ses aspirations.

Malgré le côté démesuré de ses protagonistes, la réussite de Le Parrain repose également sur l’attention que Coppola porte aux petits détails, comme cette petite fille dansant sur les chaussures de Tessio lors du mariage de Connie. Ces moments, sans ostentation, révèlent la proximité et la chaleur des liens qui unissent les membres du clan Corleone, nous permettant ainsi de ressentir la saveur de la vie domestique italo-américaine. En dépit de la densité des intrigues, Le Parrain s’écoule sans que l’on en ressente la durée. Le film possède la splendeur des classiques et mêle thriller et mélodrame à une fresque historique, s’étalant sur une décennie, de 1945 jusqu’au milieu des années 50, époque à laquelle la famille Corleone déplace ses opérations à Las Vegas, suivant l’évolution de l’Amérique. Lors de sa sortie en 1972, le film se déroule dans un contexte où les troubles raciaux des années soixante et la débâcle de la guerre du Vietnam remettent en question les fondements de l’image toute-puissante que l’Amérique avait d’elle-même depuis la Seconde Guerre mondiale. Dans ce cadre, Coppola, souhaitant faire de son film une allégorie du capitalisme, présente le crime organisé comme le côté obscur du rêve américain, une version déviante de ses valeurs : la famille et la libre entreprise. Contrairement aux précédents films de gangsters, qui portaient en eux une morale, rien n’est résolu à la fin de Le Parrain, car l’entreprise familiale continue de prospérer.

Dès l’ouverture de son film avec cette grande scène de mariage, où se fait sentir l’influence du Guépard de Visconti, qui sert à présenter au public le monde insulaire de la famille Corleone, Coppola et ses collaborateurs s’efforcent de donner à leur œuvre l’aspect d’une fresque. Cela se traduit par une attention incroyable aux détails dans la reconstitution du New York et du New Jersey des années quarante à cinquante, avec des intérieurs opulents soigneusement recréés par le chef décorateur Dean Tavoularis. Ils n’hésitent pas à faire déplacer toute l’équipe de tournage en Sicile pour filmer l’interlude amoureux qui va enseigner au jeune Michael la philosophie de la vendetta. La photographie de Gordon Willis (à qui l’on doit également Klute, Les Hommes du Président, et À cause d’un assassinat), qui a gagné ici son surnom de « maître des ténèbres », est tout simplement époustouflante. Sur le plan artistique, elle présente des compositions dignes des grands maîtres de la peinture, évoquant parfois Goya. Sur le plan technique, elle repousse les limites de la chimie de la pellicule avec des noirs absolus. Cependant, son travail ne se limite pas aux ténèbres. Willis inonde également les extérieurs — qu’il s’agisse d’une garden-party dans le New Jersey ou du passage sicilien — de couleurs et de soleil. Son plus grand apport au film réside, à nos yeux, dans cette teinte ambrée, semblable à la patine de vieilles photographies, qui confère au film un aspect de souvenirs, bien plus qu’un simple réalisme. Enfin, la partition de Nino Rota, compositeur attitré de Federico Fellini, oscille entre opéra et complainte folklorique sicilienne, nous faisant ressentir tout le poids du destin qui pèse sur le clan Corleone.
Conclusion : Dans la littérature américaine existe le mythe du Great American Novel (le grand roman américain) on peut considérer que le film de Coppola est son équivalent filmique une des plus grandes oeuvres de fiction américaine et sans doute avec Casablanca et Citizen Kane le plus grand film américain jamais tourné. Quasi-parfait du discours d’ouverture du croque-mort Bonasera (« Je crois en l’Amérique ») au dernier plan de cette porte qui se referme entre Michael et Kay, quarante sept ans après sa sortie Le Parrain est une offre qu’aucun public ne peut refuser…
J’accepte l’offre avec grand plaisir… Espérant tout de même ne pas me réveiller avec une tête de cheval dans mon lit.
Superbe article