
Les années soixante et le début des années 70 sont marquées par une vague d’assassinats politique sans précédents JFK en 1963, Martin Luther King et le sénateur Bobby Kennedy en 1968, des troubles civils, l’enlisement américain au Viêt-Nam et le scandale du Watergate qui ébranlent profondément la confiance du peuple américain dans ses institutions gouvernementales et économiques. Le cinéma s’ empare de ce malaise à qui il donne un exutoire sous la forme d’un nouveau genre qui semble refléter ce monde de surveillance et de paranoïa, de dissimulation et de mensonges: le thriller paranoïaque, qui implique des conspirations ténébreuses menées en coulisses par des groupes souvent nichés au sein de l’appareil d’état. Le réalisateur Alan J.Pakula va s’imposer en trois films entre 1971 et 1976 comme le maitre du genre. Deuxième film de cette trilogie thématique (entre Klute et les Hommes du Président) The Parallax View (A cause d’un assasinat) est le moins considéré par la critique (le seul des trois à ne pas avoir pas été nommé aux Oscars) mais nous semble être pourtant le plus influent sur le cinéma contemporain puisqu’il va codifier le genre au-delà même du contexte politique.

The Parallax View est basé sur un roman de Loren Singer qui suit les témoins de l’assassinat de John F. Kennedy qui ont été tués, le scénario signé Le script signé Lorenzo Semple Jr. (figure du grand divertissement, s’étant fait remarquer sur la sérié TV Batman et qui deviendra le « go to guy » du producteur Dino De Laurentiis pour qui il signera les scripts de Flash Gordon ou King Kong) et David Giler (partenaire de Walter Hill pour qui il écrira Southern Comfort et aux cotés duquel il produira Alien) déplace l’intrigue vers les conséquences de l’assassinat d’un politicien fictif ressemblant étroitement à Robert F. Kennedy. Alors qu’une commission d’enquête conclut à un acte isolé commis par un déséquilibré , la plupart des personnes qui ont assisté à cet événement meurent les unes après les autres à la suite de divers accidents. La journaliste Lee Carter, elle aussi témoin du meurtre , pense que ces « accidents » sont en réalité des assassinats déguisés et fait part de ses craintes à son collègue et ami Joe Frady (incarné par Warren Beatty qui fera réécrire le film par Robert « Chinatown » Towne) sans le convaincre. Quand Lee est victime à son tour d’un « accident » fatal, Joe , décide, sans l’accord de son rédacteur en chef, de mener une enquête approfondie qui va l’amener à croiser la route de la « Parallax Corporation », une organisation clandestine impliquée dans le recrutement et la formation d’assassins politiques.

Si au moment de sa sortie The Parallax View a reçu des réactions mitigées de la critique qui lui valent une réputation inférieure aux autres films de Pakula, sa redécouverte aujourd’hui est une claque car c’est l’un des films les plus méticuleusement mis en scène avec les cadres les plus soigneusement composés des années 70. The Parallax View s’impose comme le thriller conspirationniste ultime car contrairement à Klute et aux Hommes du Président qui utilisent le complot comme un concept réaliste (l’effraction maladroite de l’administration Nixon qui expose ses malversations au public ou un meurtre brutal réunissant une prostituée et un détective) c’est ici une abstraction qui si elle est inspirée par les assassinats politiques de l’époque bascule vers le fantastique avec cette menace occulte omnisciente et tentaculaire que jamais un scénario, lacunaire comme un rapport secret caviardé, presque impressionniste ne vient jamais expliquer. C’est sur cette trame ténue, ni continue ni linéaire où des faits obscurs, s’enchaînent sans liens apparents que Pakula, son directeur de la photographie Gordon Willis et le compositeur Michael Small vont distiller un sentiment anxiogène permanent de paranoïa. Le motif récurrent du film est la miniaturisation de ces personnages filmé des très loin tels des fourmis comme Beatty piégé dans le barrage alors que l’eau s’écrase dans la vallée artificielle ou perdus au milieu de grandes structures à l’architecture brutaliste filmées en anamorphique, vulnérables et isolés comme des pions sur un échiquier. Cette distance donne l’impression qu’ils sont sous surveillance permanente La contribution de Willis (Klute, Le Parrain, Les Hommes du Président ,Annie Hall et Manhattan – sans jamais avoir été nommé à l’Oscar !!!) est inestimable sa maitrise de l’ombre et de la lumière évanescente d’où sortent ou disparaissent des personnages de plus en plus nébuleux est proprement époustouflante. Il enveloppe de nombreuses scènes dans une obscurité inquiétante repoussant avec ses noirs absolus les limites de la chimie de la pellicule. Pakula et Willis créent un style visuel qui favorise l’aliénation et un sentiment d’impuissance par rapport plutôt que la tension ou l’action. Les deux séquences qui ouvrent et concluent le film, cette commission d’enquête filmée à distance, leurs visages cachés dans les ténèbres – souligne cette thématique de l’impuissance et de l’incapacité des individus à changer le cours des événements. Ils choisissent des images linéaires et mécaniques – des fanfares, des escalators – comme des visions annonciatrices d’une catastrophe inéluctable. Pakula en s’attardant sur des moments à priori anodins comme deux hommes discutant dans un bureau les rend anxiogènes aidé par la la partition inquiétante de Michael Small.

Le célèbre segment vidéo de programmation Parallax (aussi maquant que celui d’Orange Mécanique) est un montage visuel conçu pour manipuler et déformer les valeurs et les croyances du candidat, lui permettant de remettre en question les influences de ceux qui l’entourent et la perception commune de ce qui est juste. Des symboles de l’American Way of Life juxtaposées avec des images de violences raciales, sexuelles et policières, mêlant des personnages anonymes avec des figures historiques (notamment Richard Nixon, Adolf Hitler, le pape Jean XXIII et Lee Harvey Oswald) défilent rapidement sur l’écran entrecoupées de mots répétés, notamment : AMOUR, MÈRE, PÈRE, ENNEMI, MOI. La scène semble avoir été structurée de telle manière que le spectateur commence à construire sa propre interprétation de la session. Le totem dans l’ombre du Space Needle dans le premier plan du film semblent indiquer que des forces anciennes gardent tous leurs pouvoirs derrière l’apparente liberté de la société moderne. Le casting (ou les choix de jeu) de Warren Beatty beau-gosse distant comme détaché des événements et de son propre sort là où un nerveux à la Dustin Hoffman aurait amplifié l’anxiété de ce protagoniste pris dans une toile qui le dépasse apparaissait comme le point-faible du film. Mais Beatty incarne parfaitement cette Amérique triomphante mais naïve des sixties qui perd ses illusions et vient se fracasser tel un moustique sur le pare-brise de la réalité.