
Sur le papier, Training Day aurait pu n’être qu’une simple série B oubliable. Pourtant, la performance magistrale de Denzel Washington, qui lui vaudra l’Oscar du meilleur acteur, combinée à la mise en scène stylisée et réfléchie d’Antoine Fuqua, en fait un thriller d’une intensité rare. On n’attendait pas un tel brio du réalisateur venu du clip, dont les premiers films, The Replacement Killers (produit par John Woo avec Chow Yun-Fat) et Bait (comédie d’action avec Jamie Foxx), n’annonçaient en rien cette maîtrise. L’oreille aiguisée de David Ayer pour l’argot de rue authentique contribue également à élever le film au-dessus des standards du genre. Ethan Hawke incarne Jake Hoyt, un jeune flic ambitieux de Los Angeles qui voit dans l’unité d’élite dirigée par le légendaire Alonzo Harris (Washington) un tremplin idéal. Mais son premier jour de formation tourne rapidement au cauchemar : Alonzo, adepte des méthodes expéditives, lui impose une plongée brutale dans la loi de la rue, où l’idéalisme n’a pas sa place. La tension monte à mesure que Jake réalise que son mentor piétine allègrement les limites de la légalité, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour faire marche arrière.
Ce qui distingue Training Day, c’est qu’il ne se contente pas d’une succession de fusillades et de courses-poursuites spectaculaires. Le film questionne la possibilité de lutter contre le crime sans sombrer dans les mêmes travers que les criminels. Un idéaliste peut-il préserver son intégrité dans un monde où la morale devient floue ? L’intrigue pousse Jake et le spectateur à se demander si Alonzo contourne les règles pour servir la justice ou simplement pour son propre intérêt. Et si ses méthodes sont efficaces, peut-on les justifier moralement ? Le film partage ces interrogations sur la corruption et la rédemption avec L.A. Confidential de Curtis Hanson, tout en bénéficiant de l’authenticité du passé de David Ayer. Ayant grandi à South Central après avoir été chassé du foyer familial, il a puisé dans son expérience pour donner une véracité rare à ses dialogues et à son atmosphère. Le scénario d’Ayer trouve un écho chez Fuqua, qui y voit le reflet de son enfance dans le ghetto de Pittsburgh. Le film s’inscrit aussi dans un contexte réel : le scandale Rampart, qui révéla la corruption systémique des unités antigangs de la police de Los Angeles dans les années 90. Inspiré de cette affaire, le personnage d’Alonzo adopte le look du policier Rafael Pérez, principal accusé de ces exactions.

L’une des grandes forces du film réside dans son scénario sinueux et imprévisible. L’authenticité brute du monde dépeint se mêle à un univers fictionnel plus large, où l’on devine des puissances occultes manipulant l’ombre. La scène où Alonzo rencontre trois « vieux sages », figures troubles semblant régner sur un système mafieux interne à la police, illustre cette dimension plus vaste. Au fil du film, Jake est entraîné dans des lieux de plus en plus hostiles, culminant dans une enclave gangstérisée dirigée par des femmes tatouées en sentinelles. La tension atteint son paroxysme lors de la scène du poker, où Jake, désarmer, comprend qu’Alonzo l’a livré à des trafiquants sanguinaires. Bien que le climax adopte certains ressorts plus classiques du thriller, le film parvient à mêler brutalité et intelligence narrative. La réalisation de Fuqua joue aussi un rôle clé : déterminé à respecter l’authenticité du scénario d’Ayer, il obtient l’accord des gangs locaux pour tourner dans des quartiers auparavant interdits au cinéma. Cle Shaheed Sloan, conseiller technique, intègre même de véritables membres de gangs à l’écran, ajoutant à l’immersion.
Si Ethan Hawke livre une prestation convaincante dans le rôle du policier candide confronté à une réalité brutale, c’est bien Denzel Washington qui porte le film. Son Alonzo Harris est un manipulateur charmeur, une figure presque mythologique oscillant entre mentor charismatique et prédateur impitoyable. Washington s’amuse à déconstruire son image d’homme intègre bâtie sur douze ans de carrière, offrant une prestation jubilatoire et glaçante. Autour de lui gravitent des seconds rôles remarquables : Scott Glenn (Le Silence des Agneaux), Tom Berenger (Platoon) et Harris Yulin (Scarface) incarnent des figures ambigües de l’institution policière, tandis que les apparitions de Dr. Dre, Snoop Dogg (impressionnant en dealer en fauteuil roulant) et Cliff Curtis renforcent l’authenticité du récit. Mention spéciale à Raymond Cruz, dont la prestation terrifiante préfigure son rôle de Tuco Salamanca dans Breaking Bad.
Conclusion :Si Training Day finit par opposer un bien et un mal plus conventionnels dans son final, il demeure un thriller marquant, un sommet de tension et de noirceur qui continue d’influencer le cinéma policier.