
L’année 2022 marque le triomphe du film d’horreur avec une série de succès en salles ou sur les plateformes qui s’affirme un peu comme le dernier genre cinématographique, en tout cas le dernier en salles capable de résister à la vague des franchises et des super-héros. Dans cette année de l’horreur Barbare (exploité chez nous sur la plateforme Disney Plus) s’impose comme le film le plus enthousiasmant. Un sentiment inquiétant de paranoïa et de tension sont les deux composantes essentielles de Barbare thriller horrifique d’une intelligence rare qui marque les débuts fracassants du réalisateur-scénariste Zach Cregger qui, de manière étonnante, comme Jordan Peele est issu du monde de la comédie (il est membre de la troupe comique The Whitest Kids U’ Know ) et qui, pour un premier film livre une œuvre étonnamment réfléchie qui parvient à être drôle tout en étant authentiquement terrifiante Sans doute la sensibilité comique est proche de celle du cinéma d’horreur puisqu’elles reposent toutes deux sur un rythme particulier et tendent à trouver matière dans le quotidien. Ainsi Barbare actualise le sous-genre de l’horreur qu’on pourrait baptiser « d’épouvante immobilière » qui évoque un effroi familier qu’on soit propriétaire ou locataire, lié au sentiment qu’une maison, offrant refuge et sécurité, est corrompue. Barbare prend le genre sous un angle nouveau, se concentrant sur une propriété locative Airbnb dans une banlieue abandonnée de Detroit. Tess (Georgina Campbell) qui y débarque la veille d’un entretien d’embauche une nuit d’orage découvre que la société de location l’a réservée en double à un étranger (Bill Skarsgård cadet de la fratrie, célèbre pour son rôle de Pennywise dans It). Mais il devient rapidement clair qu’elle a bien d’autres raisons de s’inquiéter de cette cohabitation forcée.
Cregger semble avoir étudié soixante ans de cinéma de terreur d’Hitchcock au found-footage s’appuyant sur le travail des grands maitres comme Wes Craven et John Carpenter pour construire une scénario dont la force tient à l’imprévisibilité d’une structure, retourne sa familiarité du genre horrifique contre le spectateur pour toujours prendre le contrepied de ses attentes. Alors que les événements s’enchaînent, le mystère au cœur de Barbare se révèle être d’une nature encore plus sombre, chaque révélation étant soigneusement orchestrée. Barbare est structuré en deux parties distinctes, structure qui rappelle le Psychose de Sir Alfred, établissant initialement la dynamique entre Tess et Keith qui oscille entre une éventuelle romance et un meurtre potentiel. Cregger utilise la personnalité de Bill Skarsgård et les rôles ambigus qu’il a incarné pour mettre immédiatement le spectateur sur les nerfs. Il est difficile de savoir quoi penser de Keith, affable bien que maladroit, qui fait tout (peut-être trop) pour prouver qu’il est digne de confiance envers la méfiante Tess, allant jusqu’à ouvrir une bouteille de vin devant elle, afin qu’elle puisse être sûre qu’elle n’a pas été droguée. Cregger nous place du point de vue de Tess ainsi chaque tentative de Keith pour la rassurer semble de plus en plus suspecte alors que Tess découvre les secrets de la maison sans savoir si elle a affaire à un ami ou un ennemi. C’est au moment où Barbare semble nous préparer à l’inévitable trahison de Keith que le film bascule du thriller à la pure horreur révélant le véritable antagoniste du film. Mais avant même que le spectateur ait le temps de réaliser la portée de ce qu’il vient de voir, le film redémarre de lui-même, désormais centré sur le douteux AJ (Justin Long), un acteur hollywoodien qu’on voit rouler le long d’une route côtière ensoleillée dans sa voiture de sport et qui semble être impliqué dans un scandale d’agression sexuelle, rendant le spectateur encore plus confus quant à la façon dont les pièces du puzzle vont se rassembler et sur la véritable nature du prédateur qui se cache dans les murs du 456 Barbary Road. Avec le recul, tout ce qui concerne l’attitude de Keith est une fausse-piste évidente, mais Cregger subvertit ce cliché en essayant aussi fort que possible de nous convaincre qu’il n’est pas une menace – il est simplement certain que le public ne le croira pas. C’est un choix audacieux d’appliquer la psychologie inversée sur tout un public, mais qui porte ses fruits. Ce qui aurait pu être un simple thriller s’élève grâce à son sens de l’humour conscient de lui-même et sa connaissance des tropes d’horreur.
Pour fonctionner un film d’épouvante doit se reposer sur un bon casting et Barbare développe une galerie de personnages tous engageants portée par des comédiens d’une justesse incroyable. La maison et ses terribles secrets agissent en révélateur des caractères des deux protagonistes du film qui sont en quelque sorte symétriques. Tess de par sa féminité vit dans un monde où elle doit être en permanence sur ses gardes, méfiante de nature elle est plus à même à survivre que le personnage de AJ un prédateur complètement inconscient du danger car protégé en temps normal par les privilèges que lui confèrent son genre et sa position sociale. Justin Long est parfait dans ce personnage qui porte à lui seul tout le milieu du film à la fois attachant, drôle et vil. Tess est une final girl qui ne prend peut-être pas toujours les bonnes décisions, mais elle est intelligente quand c’est important. Georgina Campbell maîtrise parfaitement le ton changeant du film et l’incarne de façon à la fois fragile et décidée. Barbare développe sa propre mythologie tout en laissant des zones de mystères (Tess semble fuir une personne de son passé qui semble l’avoir blessée, Keith est la proie de cauchemars) qui la nourrisse. La créature du film a tous les attributs des monstres classiques, c’est en quelque sorte une victime et ce sont les vestiges de son humanité qui causeront sa perte. Le film flirte avec l’humour, offrant de brefs moment de répits bien nécessaires au milieu d’une tension inexorable comme quand un protagoniste se pose la question de savoir si un complexe de torture souterrain qu’il vient de découvrir peut être inclus dans les mètres carrés pour une vente immobilière. Mais jamais ces moments authentiquement drôles ne diminuent l’angoisse qui imprègne le film.
Cregger maintient une intensité saisissante, tout en accumulant les surprises, il a un vraie maîtrise de la spatialisation, la caméra plane en haut des escaliers glisse dans les couloirs comme attirée par le mal qu’il recèle et scrute les recoins, se stabilisant pour un jump-scare. Sa mise en scène épouse les sensibilités des grands auteurs du genre sans jamais les singer aidé par les repères musicaux de la compositrice Anna Drubich et les choix d’objectifs du directeur de la photographie Zach Kuperstein. La séquence la plus incroyable un flashback qui se situe dans les années 80 où plane l’ombre de John Carpenter que ce soit dans les choix de mise en scène ou musicaux qui sans la moindre image choquante dévoile toute la perversité qui se cache derrière les secrets de la maison. La brutalité gore de l’assaut sur un des personnages rappelle celle d’un S.Craig Zahler, la créature et ses habitudes renvoie au cinéma de Wes Craven, des séquences comico-horrifiques rappellent le cinéma de Peter Jackson et le climax sur le château d’eau impressionnant évoque le James Cameron de The Terminator avec des notes rappelant la musique de Brad Fiedel. Les grands films d’horreur dialoguent avec la société (ce qui est la force du genre à l’opposé du genre super-héroïque qui ne semble dialoguer qu’avec lui-même) transformant ses angoisses en divertissement pour les exorciser. Sans que ce ne soit fait de façon ostentatoire il y a dans Barbare un commentaire social sous-jacent sur les relations raciales et sociales aux USA, la gentrification et surtout sur la masculinité toxique. La fiabilité des hommes est au cœur de l’intrigue, entre la gentillesse arrogante mais incomprise de Keith, les allégations d’agression sexuelle d’AJ et le mal indicible du méchant ultime de Barbare, Frank (une performance étrange et nuancée de Richard Brake). Le film remet en question la façon dont les femmes peuvent faire confiance aux hommes qui les entourent alors qu’ils ont souvent des arrière-pensées, qu’il s’agisse d’un béguin « innocent » ou de quelque chose de bien, bien plus sombre. A leur image Barbare trahit constamment les attentes de son public.