
Le cinéma d’horreur a bien changé depuis que Sam Raimi a tourné l’Evil Dead original en partie grâce à des fonds collectés auprès de dentistes (!) ou sa suite plus cartoonesque financée par le mogul Dino de Laurentiis. Autrefois ostracisé il est aujourd’hui florissant, seul à avoir résisté en salles à la vague des franchises et des super-héros. Sa force tient à ce que là où le genre super-héroïque dialogue avec lui-même, l’horreur est en dialogue permanent avec la société, tous les sujets peuvent être traités par son prisme. Parce qu’il est rentable, les investisseurs sont plus enclins à donner leur chance à des réalisateurs débutants. Il y a déjà dix ans, les concepteurs de l’original, Sam Raimi, Bruce Campbell et Robert Tapert avaient confié le remake du film à Fede Álvarez (Don’t Breathe). Aujourd’hui après une parenthèse télévisuelle sur Strarz entre 2015 et 2018 mettant en vedette Ash le protagoniste des originaux, c’est au tour du scénariste – réalisateur irlandais Lee Cronin, dont l’unique film The Hole in the Ground est sorti en SVOD en France sous le titre The Only Child, l’enfant unique, de présider au retour en salles d’Evil Dead pour le quarantième anniversaire de la franchise.Après une séquence d’ouverture située prés d’un lac qui joue avec les codes de la franchise pour se terminer par la révélation grandiose du titre, Evil Dead Rise, le film abandonne ce cadre bucolique pour un environnement urbain. On passe donc d’un lac idyllique aux toilettes d’un bar miteux où Beth (Lily Sullivan) une roadie, découvre qu’elle est enceinte et décide de se réfugier chez sa sœur Ellie (Alyssa Sutherland) une tatoueuse que son mari vient d’abandonner avec ses enfants, Bridget (Gabrielle Echols), Danny (Morgan Davies) et la jeune Kassie (Nell Fisher). Ils forment un famille éclectique mais soudée, dont les intérêts reflètent le style parental de leur mère : Danny, un DJ, fait des sets dans sa chambre, sa sœur Bridget crée des affiches pour une manifestation et Kassie, la plus jeune, décapite ses poupées. Le chaos commence avec l’arrivée de Beth lorsqu’un tremblement de terre met à jour un ancienne salle des coffres sous le parking. Danny en ramène le Livre des Morts et des disques vinyls où sont enregistrées de sinistres incantations. Ce qui devait arriver arrive, l’apprenti DJ joue les mystérieux disques et bientôt la famille se trouve assiégée dans son appartement par des démons pourrissants. Ellie rapidement possédée s’attaque à ses propres enfants alors que Beth essaye frénétiquement de la combattre, de pleurer sa mort et de comprendre ce qui se passe en même temps….

Si le scénario de Cronin est plutôt léger dans le développement de ses personnages – la sous -intrigue sur la grossesse de Beth est vite abandonnée- il établit rapidement la dynamique entre la figure plus âgée et plus responsable (Ellie) et sa jeune sœur cherchant perpétuellement ses conseils (Beth). Ellie rapidement possédée par une entité impitoyable torture psychologiquement et physiquement ses propres enfants. Le mal qu’elle cherche à leur infliger joue sur le sous-texte du regret de la maternité et sur la peur la plus profonde et la plus indicible de chaque parent : non pas que quelque chose fasse du mal à vos enfants, mais que vous les blessiez vous-même. Les esprits sataniques à l’intérieur d’Ellie manipulent le lien entre la mère et les enfants pour tromper Danny, Bridget et Kassie. La cuisine, le chant des berceuses et l’heure du bain prennent des nuances sinistres grâce la performance effrayante de Sutherland.. Mais ne vous attendez pas ici à une conversion d’Evil Dead à l’« elevated horror » – on n’est pas chez A24 – même si le temps que Cronin prend pour mettre en place la dynamique familiale au début du film porte ses fruits lorsqu’il établit très tôt que personne n’est vraiment en sécurité. Le mélange de menace envers de jeunes enfants et le gore extrême font de Evil Dead Rise une expérience traumatisante. En installant sa version d’Evil Dead dans un appartement, il crée une horreur encore plus claustrophobe, les personnages ayant peu de chance de s’échapper de l’appartement. Son style – un mélange déstabilisant d’inclinaisons de caméra et de zooms de caméra, avec une palette de couleurs désaturées dominée par un étrange mélange de de verts sombres et de cobalt rendue encore plus atmosphériques par une panne de courant. Le design intérieur sépulcral du bâtiment évoque une atmosphère de peur et de méfiance. Il fait monter la tension continuellement : des ustensiles ménagers comme une râpe à fromage deviennent d’horribles dispositifs de torture, chaque pièce de l’appartement oscille entre refuge et champ de bataille.

L’horreur japonaise est une inspiration, les Deadites semblent imiter les filles fantômes japonaises – tout en tics, secousses, et craquements d’os. La conception sonore obsédante et saccadée de Peter Albrechtsen est particulièrement anxiogène oscillant entre bruits déchirants et silence complet, le mixage est immersif, donnant à chaque incantation une résonance d’un autre monde. Cronin et son équipe ont un amour évident pour les effets pratiques, comme en témoigne la quantité de sang à l’écran, le sang est partout – pénétrant les murs d’un ascenseur et dégoulinant de divers orifices culminant dans un raz-de-marée d’hémoglobine où nous offre une scène d’ascenseur inspirée de Shining. Evil Dead Rise est aussi implacable que ses créatures, même si Cronin parvient à glisser des moments qui rappellent le burlesque des meilleures scènes de la franchise, le ton est sombre et cruel, le gore y est frontal : traumatisme oculaire, vomissements, insectes, verre brisé, os brisés, décapitation, démembrement, coups de couteau, coups de fusil de chasse, objets tranchants traversant le palais et sortant par l’arrière de la tête, Evil Dead Rise a le carnage créatif. Chaque morsure, chaque coup de poignard et vomissement sanglant est plus douloureux et plus dégoûtant parce que c’est une mère de famille innocente qui cause tout le chaos. Evil Dead Rise apparait ainsi comme un hybride qui se situe quelque part entre les films de Raimi et la « ré-imagination » beaucoup plus sombre de Fede Alvarez. Cronin reprend le travail de caméra cinétique de Raimi, le timing comique et le penchant pour la terreur écrasante d’Alvarez et l’intensifie sans jamais tomber dans la comédie grâce à l’ingénieux montage de Bryan Shaw. Mais ce sont les performances de son casting qui donnent du poids au film. La comédienne ex top model australienne Alyssa Sutherland est absolument captivante en possédée. Une possession qui semble une vraie torture, elle se traîne, rugit, traverse le plafond et vomit des litres de bile alors qu’elle ravage sa famille et le voisinage. C’est parce que Sutherland établit Ellie comme une mère imparfaite mais aimante dans le premier acte, que sa possession est d’autant plus dérangeante. Évidemment, le maquillage et les effets, tous deux savamment réalisés, contribuent à la transformer en démon, mais c’est son jeu d’acteur qui rend le rôle inoubliable. Lily Sullivan est bien plus qu’une simple remplaçante de Bruce Campbell, tout en parvenant à lui rendre hommage. Elle manie bien la tronçonneuse et sait rire alors que des vagues de sang l’éclaboussent et la trempent jusqu’aux os. L’affrontement des deux personnages est tragique car ces deux sœurs qui venaient de se retrouver essayent de s’entretuer.