THE FLY (1986)

Le cinéma est souvent un équilibre entre l’art et le commerce, et peu de films incarnent cette dualité avec autant de réussite que The Fly. En alliant les exigences d’un studio à la vision personnelle d’un cinéaste, ce chef-d’œuvre de David Cronenberg dépasse le simple remake horrifique pour devenir une œuvre à la fois viscérale et profondément humaine. Avec The Fly, Cronenberg prend une histoire d’horreur classique et lui insuffle une profondeur émotionnelle et thématique rare. Le film fonctionne à plusieurs niveaux : il est à la fois une tragédie romantique, une allégorie sur la maladie et une réflexion sur la transformation du corps. La lente déchéance de Seth Brundle (incarné par Jeff Goldblum) après une expérience scientifique qui tourne mal évoque avec force la souffrance des malades et de leurs proches. Beaucoup ont vu dans cette mutation une métaphore du SIDA, qui ravageait les années 80, ou du cancer, avec la perte progressive du contrôle de son propre corps. Le regard de Veronica Quaife (Geena Davis) sur l’homme qu’elle aime, impuissante face à son dépérissement, donne au film une charge émotionnelle poignante. Mais The Fly ne se limite pas à cette lecture médicale ou tragique. Il explore aussi les relations humaines sous un prisme toxique. La dynamique entre Veronica et Stathis Borans (John Getz) illustre une relation abusive, marquée par le contrôle et la manipulation. De même, la romance entre Seth et Veronica, d’abord tendre et complice, bascule progressivement vers un rapport de domination lorsque la mutation de Seth affecte son esprit et ses instincts.

Le choix d’une fusion progressive entre l’homme et l’insecte, plutôt qu’une simple substitution de tête comme dans le film original de Kurt Neumann (1958), est une trouvaille géniale. Le projet de The Fly a connu un parcours chaotique avant d’aboutir au chef-d’œuvre que l’on connaît. Au début des années 80, Charles Edward Pogue écrit un premier script inspiré de la nouvelle de George Langelaan. Cependant, jugé décevant par la 20th Century Fox, le projet est abandonné avant d’être relancé par Mel Brooks et Brooksfilms. David Cronenberg, après avoir quitté Total Recall, accepte de réaliser le film à condition de pouvoir réécrire le scénario. Bien qu’il remanie profondément l’histoire, il insiste pour partager le crédit avec Pogue, reconnaissant que son travail ne serait pas né sans cette première ébauche. Cette transformation en plusieurs étapes permet d’ancrer l’histoire dans une dimension tragique et horrifique, renforcée par la mise en scène clinique et implacable de Cronenberg. Loin d’un simple film de monstre, The Fly renoue avec un récit intemporel, celui de La Belle et la Bête, où la frontière entre l’humain et l’inhumain devient de plus en plus ténue.

La partition musicale de Howard Shore magnifie cette atmosphère en oscillant entre majesté et terreur, donnant à The Fly une dimension opératique. La composition accompagne parfaitement la transformation de Seth Brundle, sublimant son parcours entre fascination et effroi. Le casting est un autre atout majeur du film. Jeff Goldblum, dans un rôle taillé sur mesure, incarne à merveille le scientifique distrait, passionné et exalté. Son jeu apporte une touche d’excentricité et de vulnérabilité qui le rend immédiatement attachant. À mesure que la mutation progresse, son charisme naturel laisse place à une étrangeté inquiétante, son comportement devenant aussi imprévisible que dérangeant. Geena Davis, alors en couple avec Goldblum, apporte une authenticité bouleversante à son rôle, rendant leur relation d’autant plus crédible. Au-delà de la transformation physique, The Fly pousse à son paroxysme la thématique chère à Cronenberg de l’hybridation et de la fusion. L’acte final, où Brundlefly tente d’intégrer Veronica et leur futur enfant dans son propre être, cristallise cette obsession. L’homme, l’insecte et la machine finissent par se mêler dans une horreur indicible, donnant naissance à l’une des séquences les plus marquantes du cinéma fantastique. Le travail des effets spéciaux, signé Chris Walas, est absolument remarquable. Concepteur des Gremlins et ayant collaboré avec Cronenberg sur Scanners, Walas atteint ici son apogée, à l’image de ce qu’avait accompli Rob Bottin sur The Thing. Les différentes étapes de la métamorphose de Seth en Brundlefly comptent parmi les sommets du maquillage et des effets spéciaux pratiques. Encore aujourd’hui, ces transformations restent impressionnantes, tant par leur réalisme que par leur impact émotionnel. La mutation de Brundle illustre le vieillissement et la déchéance du corps. Peu à peu, il perd ses cheveux, ses dents, ses ongles, tandis que sa peau se couvre de lésions et prend un aspect maladif. Cette dégradation progressive, jusqu’à l’émergence finale de la créature hybride Brundlefly, en fait un être difforme et vulnérable, à mille lieues du monstre triomphant et terrifiant des films classiques.

Conclusion :Aujourd’hui, The Fly demeure l’un des films d’horreur les plus marquants jamais conçus, un rare équilibre entre récit d’amour et terreur viscérale. En poussant plus loin ses obsessions sur la chair, la mutation et l’identité, Cronenberg signe un sommet du genre, aussi fascinant qu’effrayant. Malheureusement, dans les années qui suivront, son cinéma deviendra de plus en plus hermétique, dévoré par une forme d’orgueil artistique. Mais avec The Fly, il atteint un sommet inégalé, un point de fusion parfait entre la sensibilité d’un auteur et l’efficacité d’un grand film de genre.

Ma Note : A+

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