ALIEN (1979)

Lorsque Ridley Scott réalise Alien, il n’est encore qu’un jeune cinéaste auréolé du succès critique de The Duellists (1977). Pourtant, avec ce deuxième long-métrage, il impose une vision singulière du cinéma de genre, fusionnant l’horreur viscérale et la science-fiction dystopique dans une œuvre qui transcende ses influences pour devenir un jalon incontournable du septième art. Le projet Alien naît dans l’esprit torturé de Dan O’Bannon, scénariste marqué par ses expériences personnelles et ses échecs professionnels. Après avoir coécrit Dark Star avec John Carpenter, O’Bannon rêve d’un film plus sombre, plus viscéral. Son script initial, intitulé Memory, puise dans ses douleurs physiques (notamment la maladie de Crohn) et ses obsessions entomologiques pour imaginer une créature qui s’insinue dans le corps humain avant d’en jaillir dans une explosion de chair et de sang. La rencontre avec H.R. Giger, lors du projet avorté Dune d’Alejandro Jodorowsky, est décisive. Le style biomécanique de l’artiste suisse, à la fois organique et métallique, donne naissance au xénomorphe, une entité à la sexualité ambiguë, à la fois phallique et maternelle, qui incarne les peurs primitives de l’humanité. Ridley Scott, fasciné par les œuvres de Giger (Necronom IV en particulier), impose son intégration au projet malgré les réticences du studio.

Scott conçoit le Nostromo comme un espace clos, oppressant, presque organique. Les couloirs du vaisseau, filmés avec une caméra glissante et nerveuse, deviennent les artères d’un corps malade. Le réalisateur joue sur les contrastes entre les zones éclairées et les ténèbres, entre les bruits mécaniques et les silences pesants. Chaque plan semble respirer la peur, chaque ombre menace de révéler l’innommable. La scène du chestburster, où l’alien jaillit du torse de Kane (John Hurt), reste l’un des moments les plus traumatisants du cinéma. Scott, en gardant le secret sur les effets spéciaux, provoque des réactions authentiques chez les acteurs. Veronica Cartwright, éclaboussée de sang, hurle de terreur réelle. Cette approche quasi documentaire de l’horreur donne au film une intensité rare.

Le choix de Sigourney Weaver pour incarner Ripley est une révolution. Initialement pensé comme un rôle masculin, le personnage devient une figure féminine forte, rationnelle, capable de survivre sans l’aide des hommes. Weaver, alors inconnue, impose une présence magnétique, une autorité naturelle qui bouleverse les codes du cinéma de genre. Elle ne crie pas, elle agit. Elle ne séduit pas, elle commande. Autour d’elle, Tom Skerritt (Dallas), Ian Holm (Ash), Harry Dean Stanton (Brett) et Yaphet Kotto (Parker) composent une galerie de personnages crédibles, fatigués, humains. Leurs interactions, souvent improvisées, renforcent le réalisme du récit. Holm, en particulier, incarne avec une froideur clinique l’androïde Ash, dont la trahison ajoute une couche de paranoïa au récit.

Jerry Goldsmith signe une partition audacieuse, loin des envolées lyriques habituelles du space opera. Sa musique, atonale, dissonante, utilise des instruments rares (serpent, conques, didgeridoo) pour créer une ambiance étrange, presque viscérale. Le thème principal, majestueux et inquiétant, évoque le vide spatial autant que l’inconnu biologique. Cependant, le montage final du film modifie plusieurs morceaux, intégrant des extraits de Freud (composés également par Goldsmith) et la Symphonie n°2 de Howard Hanson pour le générique de fin. Ce choix, contesté par le compositeur, renforce pourtant la dimension psychanalytique du film, où l’alien devient une métaphore du trauma, du viol, de la gestation monstrueuse. Terry Rawlings, monteur du film, orchestre la montée en tension avec une précision redoutable. Les coupes sont sèches, les silences prolongés, les plans resserrés. Le rythme du film, lent mais inexorable, crée une angoisse croissante. Chaque apparition de l’alien est fragmentée, suggérée, jamais gratuite. Le spectateur, comme l’équipage du Nostromo, est pris au piège.

Alien marque un tournant dans la filmographie de Scott. Après ce film, il devient un maître du visuel, capable de créer des univers cohérents et immersifs. Il poursuivra cette voie avec Blade Runner (1982), autre chef-d’œuvre de science-fiction, puis avec Gladiator (2000), où il explore l’épique avec la même rigueur esthétique. Mais Alien reste son film le plus radical, le plus viscéral. Il y impose une vision du futur sombre, industrielle, où l’homme n’est qu’un rouage dans une machine qui le dépasse. Le film anticipe les thématiques du capitalisme déshumanisé, de la biotechnologie, de la surveillance. Il est à la fois un cauchemar spatial et une critique sociale.

Depuis sa sortie, Alien a engendré une franchise tentaculaire : Aliens (1986) de James Cameron, Alien 3 (1992) de David Fincher, Alien: Resurrection (1997) de Jean-Pierre Jeunet, puis les préquelles Prometheus (2012) et Alien: Covenant (2017), toutes réalisées par Scott. Si la qualité varie, l’impact du premier opus reste intact. Le film a influencé des générations de cinéastes, de The Thing de John Carpenter à Event Horizon de Paul W.S. Anderson. Il a redéfini l’image de l’extraterrestre au cinéma, passant du petit homme vert à la créature cauchemardesque. Il a ouvert la voie aux héroïnes d’action, de Sarah Connor à Furiosa. Il a prouvé que l’horreur pouvait être intelligente, stylisée, politique.

Conclusion : Alien n’est pas seulement un film de monstre. C’est une œuvre sur la peur de l’inconnu, sur la fragilité du corps, sur la solitude dans l’immensité. C’est un film qui respire, qui suinte, qui hurle. C’est un cauchemar éveillé, une descente dans les entrailles de l’angoisse.Et c’est, surtout, une démonstration éclatante du pouvoir du cinéma : celui de nous faire frissonner, réfléchir, rêver. Ridley Scott, avec Alien, n’a pas seulement créé un film. Il a engendré une mythologie.

Ma Note : A+

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