L’adaptation d’une bande dessinée à l’écran est un exercice périlleux qui nécessite de jongler entre fidélité aux canons de la série et contraintes de la dramaturgie. Peu de comics présentent autant de défis d’adaptation que Doctor Strange, dont les aspects psychédéliques et le langage occulte basé sur des incantations peuvent sembler ridicules une fois prononcées à haute voix (« Par les bandes cramoisies de Cyttorak », « Par les vapeurs du Vishanti »). Ce défi n’a pas échappé à Marvel Studios, qui a pourtant pris le temps de résoudre cette équation complexe, d’autant que le personnage est l’un des favoris du « grand architecte » Kevin Feige.
La mission délicate d’adapter Doctor Strange a été confiée au scénariste Jon Spaihts (Prometheus, Passengers) et au réalisateur Scott Derrickson (L’Exorcisme d’Emily Rose, Sinister). Pour faciliter cette tâche, le studio a su assembler un casting prestigieux, comprenant des acteurs que l’on n’attendait pas dans un film de super-héros. On retrouve ainsi Tilda Swinton dans le rôle du mentor du héros (dans le comics un vieux sage asiatique), Chiwetel Ejiofor en Mordo (dans le comics la nemesis du Docteur d’origine transylvanienne) et Mads Mikkelsen en méchant, tandis que Benedict Cumberbatch décroche le rôle titre après une longue recherche. Ce choix de casting illustre la volonté du studio de rompre avec le matériau original pour mieux l’adapter.
Le film suit le modèle éprouvé de l’ »origin story », nous présentant Stephen Strange (interprété par Benedict Cumberbatch), un neurochirurgien brillant mais arrogant qui perd l’usage de ses mains à la suite d’un accident de voiture. En quête désespérée de guérison, il s’envole pour le Népal sur les conseils d’un patient ayant miraculeusement retrouvé l’usage de ses jambes. Là, il rencontre Mordo (Chiwetel Ejiofor) et l’Ancien (Tilda Swinton), qui lui enseignent les arts mystiques. Ensemble, ils doivent protéger notre dimension des ambitions de Kaecilius (Mads Mikkelsen), un ancien élève de l’Ancien ayant pactisé avec des forces maléfiques. L’adaptation cinématographique cherche ainsi à étendre le MCU au-delà des aspects technologiques ou spatiaux vers une dimension cosmico-mystique.
La familiarité des codes visuels, rappelant des œuvres comme Matrix ou Inception, permet au grand public d’entrer dans l’univers de Doctor Strange avant que le film n’en révèle des dimensions encore plus extrêmes, en accord avec les visions psychotropes de Steve Ditko. Les séquences de combat, notamment à Manhattan et à Hong Kong, repoussent les limites de l’action cinématographique et démontrent le savoir-faire de Scott Derrickson pour rendre chaque affrontement lisible, même au cœur de la frénésie. Malgré quelques adaptations nécessaires du point de vue de la dramaturgie, en particulier celles relatives au personnage de Mordo pleinement justifiées à nos yeux car les set-ups et pay-offs de chaque personnage sont particulièrement efficaces, le canon du comics est célébré, les références abondent. En particulier une séquence qui voit Strange défendre son Sanctum Sanctorum New-Yorkais de l’assaut des zélotes de Kaecilius (dont l’acteur artiste martial Scott Adkins) se concluant par un fight sur le plan astral transporte le fan ravi de voir des concepts et images iconiques traduits à l’écran. Le même sentiment prévaut quand Derrickson nous fait visiter une dimension bien connue des fans du Sorcier Supreme et rend un hommage direct aux dessins de Ditko. De même la résolution du conflit dans le troisième acte, devenu le point faible des films de super-héros, est originale et complètement représentative du personnage (elle pourrait tout à fait être issue d’un comics signé Roy Thomas) permettant au film de se distinguer de ses pairs.
Les comédiens sont tous excellents Benedict Cumberbatch sait doser parfaitement arrogance , humour et héroïsme, on a aucun mal à imaginer Tilda Swinton en Sorciére Supreme millénaire. L’entente des deux comédiens est parfaite autant dans les aspects burlesques – la toujours difficile relation maitre oriental-éleve occidental – que dans des moments plus émotionnels. Chiwetel Ejiofor apporte à Mordo un supplément d’humanité qui donne une autre dimension à son personnage. La encore ses échanges avec Cumberbatch sont parfaitement dosés entre camaraderie et rivalité. On pourrait reprocher au film un humour parfois parfois incongru dans cette atmosphère mystique (toutefois dans les proportions habituelles du studio et il faut le dire souvent drôle) , de s’appuyer sur une formule très conventionnelle, de gaspiller le talent de Mads Mikkelsen dans un personnage utilitaire (mais on comprend qu’il ait été choisi pour lui insuffler un supplément de menace) et de sacrifier le personnage féminin Rachel McAdams (de loin la plus mal servie).Le score de Michael Giacchino (qui signe également la nouvelle fanfare de Marvel Studios) est réussie en particulier son theme principal mix improbable entre le theme de la série Sherlock et des guitares de rock progressif à la Queen ou Pink Floyd. A noter que Doctor Strange grâce à des éléments soigneusement mis en place s’intégrera parfaitement dans la trame narrative qui va nous mener à Infinity War...
Conclusion : Doctor Strange transcende sa structure familière d’ « origin-story » grâce à son imagerie psychédélique qui introduit de nouvelles dimensions et d’excellents personnages porté par des comédiens sensationnels dans l’univers Marvel.
Ma Note : B+
Doctor Strange de Scott Derrickson (sortie le 26/10/2016)


