Répondant à distance à une interview du producteur Joël Silver qui accusait son adaptation de Watchmen d’être « esclave du comics » l’opposant au projet qu’il avait tenté de monter dans les années 90 avec Terry Gilliam, projet présenté comme plus innovant , Zack Snyder a déclenché une polémique déclarant qu’il avait fait le film justement pour « protéger Watchmen de tous les Terry Gilliam de la terre ».Tout de suite les petits marquis du fandom se sont jetés sur lui « comment le tâcheron Snyder peut-il attaquer le génial Gilliam qui aurait certainement éclaboussé de son génie Watchmen ».
Au-delà d’une formulation maladroite et si Zack Snyder avait raison ?
Tout d’abord un point d’histoire , en 1989 le succès colossal du Batman de Tim Burton aux USA fait l’effet d’une bombe, les studios réalisent qu’une adaptation de comics à qui on alloue un budget suffisant peut marcher. Comme souvent dans pareil cas l’obsession des studios est de dupliquer la formule. Entre en scène Joël Silver producteur phare de l’époque qui a redéfini le film d’action hollywoodien en enchaînant les classiques Lethal Weapon, Predator, Die Hard. Ce fan déclaré de comics affilié à Warner Bros. propriétaire par ailleurs de DC comics y voit l’occasion idéale de mêler ses deux passions et jette son dévolu sur Watchmen. Cette série en douze parties qui vient l’année précédente d’être récompensé par le prestigieux prix Hugo, le Goncourt de la SF américaine qui couronne pour la première fois une bande dessinée est pourtant réputée inadaptable. Silver embauche tout naturellement le scénariste du Batman de Burton Sam Hamm devenu de facto le « go to guy » pour les adaptations de comics pour s’attaquer à l’œuvre d’Alan Moore et Dave Gibbons.Pour la réalisation Silver approche Terry Gilliam qui , même si le film fut un échec financier est auréolé du prestige de son Brazil .Gilliam le « maverick » lui-même dessinateur est fan du comics tout s’annonce donc sous les meilleures auspices…
L’adaptation transpose une œuvre d’un medium à une autre en le pliant aux contraintes propre à celui-ci. Certes cela nécessite parfois de s’éloigner de certains détails de l’œuvre originale mais c’est la la gestion de ces écarts qui fait à mes yeux une bonne adaptation. L’adaptation d’une bande-dessinée au cinéma ajoute une difficulté car l’univers visuel de l’œuvre est déjà défini. Les grands succès du film de comics les Batman, X-Men ou Superman n’ont jamais vraiment adapté une une histoire telle qu’elle a été publiée, on y transpose un univers et ses personnages dans des histoires originales. A ce titre Watchmen présente un défi énorme car on est face à un véritable roman de prés de 300 pages qui traverse plusieurs époques, multiplie les symboles, les personnages secondaires avec une imagerie spectaculaire. C’est à la fois une structure narrative d’une densité et d’une complexité rare , complexité que l’on retrouve aussi dans son aspect graphique.
Si les propos de Zack Snyder ont choqués c’est que son film est considéré par beaucoup comme une décalque laborieuse et servile du graphic novel et beaucoup fantasment sur ce que le génie de Gilliam aurait pu en faire. On peut pourtant avoir une idée de ce qu’aurait pu être cette version Terry Gilliam car nous disposons du scénario rédigé par Sam Hamm. (Téléchargeable ici):

Il s’ouvre avec une séquence située en 1976 ou les Watchmen (ils ne se nomment jamais ainsi dans le comics) menés par Captain Metropolis (personnage évoqué dans le graphic novel mais qui n’y joue aucun role) affrontent des terroristes moyen-orientaux sur la statue de la liberté que le Dr Manhattan fait exploser. D’entrée la lettre et l’esprit du comics sont trahis au profit d’une séquence dans l’air du temps des action movies de l’époque. S’en suit une série d’ événements plus ou moins proches du comics mais Hamm abandonne la narration de Rorschach omettant aussi ses origines traumatiques ou la filiation entre le Comédien et Laurie mais c’est le plan d’Ozymandias qui connait la plus grande déviation. Dans le comics Adrian Veidt téléporte une fausse créature extraterrestre qui déclenche un carnage en plein New York, poussant les USA et la Russie à mettre fin à la guerre qui s’annonce. Pour préserver cette paix fragile le Dr Manhattan se voit contraint de tuer Rorschach qui souhaite tout révéler.(oui on vous l’a dit Watchmen c’est compliqué).
Cette partie de l’histoire a toujours été la plus délicate même dans le graphic-novel ou elle fut l’objet d’une discorde entre Alan Moore et son éditeur qui reprochait à l’auteur anglais d’avoir plagié un épisode de la série « Outer Limits » (« Au dela du réel » en francais) nommé « The Architects of Fear » pour terminer son histoire.
Sam Hamm contourne la difficulté en déviant totalement du matériau d’origine avec un Ozymandias voyageant dans le temps pour empêcher la création du Dr Manhattan, il y parvient trouvant la mort au passage- contrairement au comics- le méchant devant être puni pour préserver la morale hollywoodienne et la uchronie de Watchmen rejoint l’histoire officielle et on retrouve NiteOwl, Laurie et Rorschach dans les années 80 où ils découvrent qu’il sont devenus les héros de la bande-dessinée à succès Watchmen !
Même en admettant des libertés il est impossible de considérer que le travail de Sam Hamm constitue une adaptation recevable du graphic-novel même à travers le prisme de Terry Gilliam. Celui-ci demandera une réécriture du script à son complice Charles McKeown et à Warren Skaaren (qui ironie du sort avait déjà réécrit le script de Sam Hamm sur Batman !) et finira rapidement par quitter le projet.
Ainsi Zack Snyder a eu tort de nommer dans sa déclaration Terry Gilliam qui ne fit que passer sur le projet mais sa dénonciation de cette tendance qu’ont des auteurs confirmés s’emparer d’œuvres populaires pour les dénaturer au nom de leur créativité sonne juste. Sans être fanatique le lecteur- spectateur attend un certain niveau de fidélité de la part d’une adaptation et il est clair que la version Gilliam-Hamm-Silver aurait été une abomination.
Dans un prochain épisode je tenterais de démontrer que loin d’être une copie servile la version de Zack Snyder est au contraire une adaptation réussie associant fidélité au matériau d’origine et vision d’un auteur.A suivre…