
A l’instar de son dernier film, The Visit variation en found-footage sur les contes de fées et les conventions du Grand Guignol, M. Night Shyamalan adulé pour ses premiers succès (Sixième sens, Incassable, Signes) tombé en disgrâce après une suite de films imparfaits comme Le Village ou de ratages comme Phénomènes et ses incursions dans la SF (The Last Airbender, After Earth ) retrouve avec Split sa zone de confort (et sa bonne ville de Philadelphie) jouant sur le suspense et la tension tout en semant les graines pour quelque chose de plus spectaculaire.
James McAvoy (X-men : First Class, Wanted , Trance) y incarne un homme, apparemment inoffensif répondant au nom de Dennis, qui kidnappe trois adolescentes à leur retour d’une fête d’anniversaire. Il séquestre l’introvertie Casey (Anya Taylor-Joy), la lumineuse Claire (Haley Lu Richardson) et sa meilleure amie Marcia (Jessica Sula) – dans une pièce sans fenêtre au sous-sol d’un immeuble industriel. Bientôt elles reçoivent la visite de leur geôlier portant cette fois une jupe et se présentant comme une femme guindée dénommé Patricia. Il s’avère que de Kevin (son vrai nom) souffre d’un cas extrême de désordre d’identité dissociative (DID) qui manifeste 23 personnalités différentes, qui vont de Patricia, en passant par un enfant de 9 ans zozotant nommé Hedwig jusqu’à un designer de mode à l’accent de Brooklyn nommé Barry. Casey réalise que ces diverses personnalités sont en lutte et qu’elle va devoir les jouer les unes contre les autres pour s’échapper. Au même moment le Dr Fletcher (Betty Buckley), la psychiatre qui suit Kevin de longue date, soupçonne que quelque chose ne va pas avec son patient . La tension du film repose en grande partie sur les projets que nourrit Kevin pour les trois filles, liés à l’émergence d’une 24ème et terrifiante personnalité…

McAvoy, qui se glisse avec aisance dans une demi-douzaine de personnalités de Kevin, réalise un véritable tour de force .Dans une carrière déjà remplie de grandes performances, Split est l’une de ses meilleures.Qu’il s’agisse de l’hilarant Hedwig fan de Kanye West ou les identités plus effrayantes de Dennis ou Miss Patricia, McAvoy est continuellement impressionnant dans un personnage qui aurait pu tomber dans le ridicule. Il évite un coté trop « actor’s studio » toujours conscient du coté « pulp » de l’entreprise. Ses transitions entre personnalités s’effectuent souvent dans un même plan, il joue même parfois des personnalités qui en usurpent d’autres pour tromper sa thérapeute. La dernière incarnation du personnage lui donne même l’occasion d’offrir une facette complètement différente, plus physique de son jeu. Il trouve en Anya Taylor-Joy – si impressionnante dans The Witch – qui prête ses yeux immenses et expressifs à son héroïne, une partenaire de choix. Betty Buckley, dont le personnage rappelle par certains coté celui du Dr Loomis dans Halloween, a la lourde tache par des dialogues d’exposition de faire passer au spectateur les éléments de contexte et les théories qui détaillent la condition de Kevin et la « mythologie » du film.
Travaillant avec le directeur de la photographie de It Follows Mike Gioulakis , libéré des contraintes du found-footage, Shyamalan peut à nouveau piocher dans son sac de techniques d’inspiration Spielbergiennes et Hitchcockiennes pour maximiser le suspense par une rigueur formelle plutôt que par des scènes sanglantes. Il se repose sur de longs plans soigneusement composés souvent centrés sur les visages des comédiens dont la durée fait monter la tension, le suspense naissant tout autant de ce que le spectateur perçoit hors du cadre.
En bon disciple de Hitchcock, Shyamalan fait avec Split un clin d’œil à la lutte de Norman Bates avec « Mother » dans Psychose mais on retrouve aussi l’influence des tueurs en série de Thomas Harris, la séquestration en sous-sol rappelle le mode opératoire du Buffalo Bill du Silence des Agneaux (influence avouée de Shyamalan) et l’émergence de la 24e personnalité fait penser au Francis Dollarhyde de Dragon Rouge (adapté par Michael Mann dans Manhunter) qui lui aussi attendait une ascension vers une forme supérieure. On retrouve comme dans Sixième sens, Incassable et The Visit son obsession pour les horreurs qui se cachent sous la façade de la vie ordinaire, des perversions « souterraines » symbolisées par les tourments internes de Kevin et matérialisées par les sous sol ou il séquestre ses victimes.

Shyamalan entrecoupe les moments de tension avec les consultations de Kevin auprès du Dr Fletcher, ces scènes entre McAvoy et Buckley permettent de générer de l’empathie pour le personnage , qui apparaît bien loin d’être un simple monstre. Il revient également sur l’enfance de Casey, qui se remémore les parties de chasse avec son père (Sebastian Arcelus) et l’oncle John (Brad William Henke), flash-backs qui vont éclairer la nature du traumatisme qui l’a mené à ce caractère renfermé et suggérant un lien possible entre Casey et son ravisseur. Il maîtrise parfaitement un ton qui ménage au milieu de moments de terreur quelques rires authentiques qui , loin de ruiner l’ambiance du film, lui donnent une dynamique qui permet à la tension de mieux remonter.
La critique d’un Shyamalan, devenu célèbre pour ses twists de fin, est un vrai champ de mines pour le rédacteur qui doit éviter d’en éventer les secrets. Cette réputation a fini par devenir un fardeau pour le réalisateur l’enfermant dans une image de prestidigitateur dont on attend le dernier tour alors que les meilleurs twists de sa filmographie sont l’aboutissement d’une narration précise. La conclusion de Split participe du même mécanisme qu’il applique durant toute la durée du film : faire évoluer la perception du spectateur sur ce qu’il est en train de voir : ce qui commence comme un « torture porn » vire vers le thriller psychologique avant de glisser vers une logique de films d’horreur jusqu’au final qui révèle la vraie nature du film que l’on vient de voir.
Conclusion : Entre thriller psychologique, conte horrifique et…autre chose, porté par la performance de James Mc Avoy, Split si il n’atteint pas les sommets de ses chefs d’oeuvre remet définitivement M.Night Shyamalan en selle.
Ma Note : A-
Split de M. Night Shyamalan (sortie le 22/02/2017)