Tous les 27 ans les enfants de Derry sont la proie d’une créature qui se nourrit de leurs peurs, durant l’été 1989 un groupe d’adolescents va tenter l’affronter. Un des plus célébres roman du maître de l’horreur est adapté à l’écran et bat tous les records de recettes pour un film d’horreur. Succès mérité ? Tentative de réponse ici :
Plus qu’un film d’horreur Ça est un authentique blockbuster et le résultat faramineux de son premier weekend d’exploitation aux USA (123 millions de dollars un record absolu pour le genre) ne fait que confirmer cette impression. Si au regard des mastodontes de l’été son budget de 40 millions de dollars est raisonnable, il est plus que conséquent dans un genre où prévaut une économie modeste et lui permet d’offrir une facture visuelle travaillée et des effets spéciaux spectaculaires. Mais c’est sa structure reposant sur une succession de séquences d’effroi, dont l’impact cumulatif est incroyablement efficace qui lui confère le rythme d’un blockbuster. On ne voit pas en effet passer ses deux heures dix-huit même si le film passe parfois en force, sacrifiant des développements de l’histoire au profit du spectacle. Ça est tiré d’une des œuvres les plus célèbres de Stephen King qui fait une synthèse de ses thèmes fétiches : le pouvoir de la mémoire, la laideur cachée derrière les façades policées des villes américaines. Vingt-sept ans après (ironiquement le laps de temps qui s’écoule dans le roman entre les apparitions de la créature) une première adaptation sous la forme d’un téléfilm en deux parties sur ABC par Mick Garris (un habitué de King qui signa Sleepwalkers seul film écrit directement pour l’écran par le romancier) où Tim Curry (le Frank-N-Furter du Rocky Horror Picture Show) traumatisa une génération de spectateurs dans le rôle du clown Pennywise (Grippe-sou en VF) voici l’adaptation cinématographique signée Andy Muschietti (Mama) après que Cary Fukunaga (True Detective, Beast of no nation) eut quitté le projet pour cause de « différents artistiques » avec la Warner restant crédité comme co-scénariste aux cotés de Gary Dauberman (Annabelle 1&2).
Leur scénario fait un gros travail d’adaptation, conservant l’esprit si ce n’est la lettre de l’œuvre de King mais y apportant trois grandes altérations. La roman se divise en deux époques : une moitié se déroule dans les années 50, l’autre dans les années 80 (le livre est publié en 1986). Le film abandonne cette narration sur deux époques pour se concentrer sur les héros adolescents et leur confrontation durant un terrible été avec une créature qui se nourrit de leurs peurs. Les séquences du passé se déroulent désormais dans les années 80, ce déplacement temporel permet d’évoquer pour le spectateur le même sentiment nostalgique ressenti par le lecteur. Ironie de l’histoire notre époque connait une vague de nostalgie pour les années quatre vingt à la télévision (The Americans, évidemment Stranger Things dont on retrouve ici un des comédiens Finn Wolfhard) , en musique comme au cinéma (de Star Wars à Blade Runner en passant par Mad Max les grands films de l’époque connaissent de nouvelles incarnations) qui fait écho à la nostalgie pour les années 50 qui faisait rage dans les années 80 . Muschietti ne tombe néanmoins jamais dans le « nostalgia porn » et évoque cette ambiance eighties par petites touches impressionnistes. Dernier changement majeur par rapport au livre qui découle du précédent : alors que la créature, parce qu’elle puise dans les terreurs enfantines, prend pour parfois la forme des monstres de la Universal (Dracula, la Momie ou La Créature du Lac Noir) Muschietti a choisi de ne pas actualiser ses références, en lui faisant adopter par exemple la forme d’un Jason Voorhees ou d’un Freddy Krueger qui aurait distrait le spectateur changeant la nature du film. Il paye néanmoins son du à la saga Nightmare on Elm Street en faisant figurer dans un cinéma de Derry l’affiche de son troisième opus The Dream Warriors (Les Griffes du cauchemar en VF) avec qui il partage énormément de points communs. Si l’adaptation fait des choix drastiques, condensant l’intrigue, en sacrifiant parfois des développements sur l’autel du spectaculaire, Ça parvient à conserver l’équilibre entre innocence et horreur qui faisait la force du livre.
Pour être efficace la terreur doit se reposer sur des protagonistes auxquels on s’identifie , heureusement la petite bande des Losers est très attachante, parfaitement dirigée par Muschietti qui retrouve dans les séquences non fantastiques l’esprit qui animait Stand by Me de Rob Reiner (adapté d’une nouvelle de King qui servit de matrice à Ça) ou des Goonies (film que déteste King). On reconnaît fatalement une part de l’enfant qu’on a été derrière ces archétypes : le petit gros nouveau dans l’école, la grande gueule, l’enfant maladif. Les jeunes comédiens sont tous bons en particulier la jeune Sophia Lillis, bouleversante dans le rôle de Beverly la seule fille du groupe ou elle fait preuve d’une maturité étonnante dans un rôle assez délicat (même si le film a excisé un scène très « problématique » du livre). Son entente avec Ben Hanscom (Jeremy Ray Taylor), le petit nouveau est touchante. Comme souvent chez Stephen King la véritable horreur est domestique et se tapis au cœur du foyer, Ça offre une galerie de parents abusifs dans la tradition du maître de Bangor : du père libidineux de Beverly (Stephen Bogaert) à la mère du maladif Eddie Kaspbrak (Molly Atkinson) qui l’enferme dans ses névroses jusqu’au père violent d’Henry Bowers (Nicholas Hamilton) l’inévitable brute locale un des archétypes essentiels de l’oeuvre de King.
On réalise ici à quel point le style des films horrifiques James Wan (the Conjuring en particulier) s’est imposé comme celui de l’horreur des années 2010 comme le style expressionniste des studios Universal avait défini celui des années 40/50 : boogeyman dégingandés, design sonore agressif, « jump scares » élaborés (bien que nous détestions cette expression galvaudée). Toutefois Andy Muschietti n’a rien d’un copiste et fait preuve ici d’une vraie maîtrise visuelle. Il invoque une imagerie saisissante, composant de véritables tableaux horrifiques à la fois beaux et macabres. Ainsi la séquence d’ouverture onirique et authentiquement choquante impose les enjeux du film et compte parmi nos favorites dans le genre ces dernières années. Il apporte un soin tout particulier à son croque-mitaine l’ iconisant à chacune de ses apparitions. Derrière les prothèses des légendaires Tom Woodruff Jr. et Alec Gillis (Aliens) Bill Skarsgård compose un Pennywise authentiquement dérangeant à l’allure plus proche des paillasses du XIXe siècle que du Bozo maléfique incarné par Tim Curry dans le téléfilm. La réussite de la performance de l’acteur suédois tient dans la façon dont il nous fait ressentir la nature inhumaine du personnage qui tente de singer le comportement humain. Les autres collaborateurs artistiques sont essentiels au cachet du film de la vibrante photographie de Chung-hoon Chung (Old boy , Stoker, Mademoiselle) aux décors de Claude Paré (La planète des singes: Les origines) dont une impressionnante maison hantée. Le score de Benjamin Wallfish (A Cure for Life) et son inquiétante comptine est tout aussi réussi.
Conclusion : A la manière d’un train-fantôme Ça est un film plus intense que réellement effrayant (quoi que) sans que cela soit vraiment un problème, la réussite du film reposant sur son groupe de jeunes acteurs et ce mélange d’horreur et de cœur soutenu par la maîtrise visuelle d’ Andy Muschietti.
Ma note : A-
Ça (It) réalisé par Andy Muschietti
Sortie le 02/08/2017.