La sortie de Ready Player One qui marque retour de Steven Spielberg au divertissement de SF à grand spectacle, adapté du roman de Ernie Cline a provoqué une de ces batailles d’Hernani dont raffole le web. Controverse qui serait censé opposer d’un côté les fanboys dévots béats et sectaires du réalisateur barbu et de l’autre les haters aveugles au génie du grand homme. Puisqu’il faut donner quelques références l’auteur de ces lignes a vu quasiment tous ses films en salles depuis les Aventuriers de l’Arche Perdue en 1982 (nous n’étions pas très nombreux par exemple le jour de la sortie d’Always) et si je suis plus réservé sur certaines de ses dernières œuvres j’ en compte de nombreuses parmi mes films favoris , que je tiens pour des chef d’œuvre de Jaws à Minority Report .
Ready Player One suit dans un futur proche ravagé par les crises climatiques et économiques (en gros le notre) où la population pour échapper à la dure réalité se réfugie dans l’OASIS une réalité virtuelle conçue à l’origine comme un jeu de rôle en ligne , les aventures de Wade Watts (Tye Sheridan qui comme l’a fait remarquer l’auteur de comics Mark Millar ressemble à Steven Spielberg jeune). Comme presque tout le monde sur Terre, Wade – qui s’appelle Parzival dans l’Oasis – tente de retrouver trois clés laissées par le créateur de la simulation de masse, James Halliday (Mark Rylance) qui donneront au joueur qui les trouvera le contrôle de l’Oasis, devenant riche au-delà de ses rêves les plus fous. Parzival part à l’aventure avec un copain de jeu Aech (Lena Waithe) et des rivaux devenus amis Art3mis (Olivia Cooke) , Daito (Win Morisaki ) et Shoto (Philip Zhao) pour tenter de retrouver l’easter egg (« œuf de Pâques ») avant que les légions de la corporation IOI ne puissent le faire.
Avec Ready Player One le réalisateur de Jurassic Park renoue avec le divertissement familial populaire des années Amblin et revisite une iconographie de la pop-culture des trente dernières années dont il est un des principaux contributeurs en tant que réalisateur ou producteur. L’équipe hétéroclite de Parzival évoque celle des Goonies plongé dans un environnement de jeu vidéo. L’intrigue n’est pas vraiment complexe mais le script de Zak Penn lui donne une structure solide , un ton léger avec des touches d’humour bien dosées et gère plutôt bien l’avalanche de références ( chaque plan devra sans doute être décortiqué lors de la sortie vidéo pour les repérer toutes) actualisant celles du livre et ajoutant de nouvelles (on notera un clin d’œil à Last Action Hero son premier scénario qui aura été ô ironie massacré au box-office par Jurassic Park). On ne saurait reprocher au film cette accumulation puisqu’elle fait partie intégrante du concept
Bien qu’on y croise des personnages fameux de la pop-culture que ce soit des icônes de l’horreur (Freddy Krueger, la poupée Chucky) ou des super-héros (Batman, Spawn) et si les avatars de nos héros y visitent le temps d’une séquence mémorable un des environnements cinématographiques les plus célèbres de l’histoire (reconstitué de manière troublante) l’impact de ces apparitions tirées de l’inconscient collectif geek est superficiel. A titre de comparaison avec un film produit par Spielberg , quand les plus grands personnages de cartoon de Mickey Mouse à Popeye en passant par Bugs Bunny sont réunis à l’écran le temps d’une séquence de Qui veut la peau de Roger Rabbit? (réalisé par Robert Zemeckis qui a refusé Ready Player One) la magie opère et l’émerveillement est complet car ce sont leurs « vraies » incarnations personnages et pas les avatars de personnages anonymes qui nous sont étrangers. Je trouve même que de ce point de vue dans l’inclusion de personnages issues de licences célèbres La Grande Aventure Lego s’en tirait mieux que RPO.
L’OASIS demeure par nature un univers vidéo-ludique ainsi RPO touchera sans doute moins l’âme des « non-gamers » ainsi, parce que je suis étranger à cette culture j’ai mis une distance avec les séquences de l’OASIS perçues comme de somptueuses cinématiques – le travail de conception artistique et d’animation réalisé par ILM et Digital Domain est littéralement prodigieux – plus que comme des séquences de cinéma.
Nul ne viendra nier l’aisance virtuose de Spielberg , la fluidité des mouvements de sa caméra virtuelle qui donnent une lisibilité malgré le chaos et un aspect propulsif à la scène de « demolition derby » du premier acte , elle m’aura néanmoins moins touchée que la course poursuite dans Bagghar de son Tintin (pour rester dans le domaine du cinéma « virtuel »).
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Au passage aussi hérétique que cela puisse paraître aux fans de l’auteur de E.T qui le vouent aux gémonies (et comme le fit remarquer un twitto US) l’esthétique qui préside à la conception de l’OASIS n’est pas si éloignée de celle de Luc Besson : les choix de couleurs, la densité des personnages jusqu’au design d’Art3mis doivent énormément au cinéaste de Valérian. Et si la mise en scene de Spielberg est bien plus solide , en particulier sa gestion de la géographie de l’action, la séquence de la boite de nuit aurait très bien pu être signée de l’auteur du Cinquiéme Elément.
En revanche c’est dans le « monde réel » que ses idées de mise en scène, sa science de la composition de cadres à la fois simples et sophistiqués – à l’image de ce plan où un sbire apparaît derriere Wade – m’ont le plus touchés. Les moments de suspense ne reposant sur aucun effet spécial sont les plus réussis. La représentation de ce futur où des populations paupérisées s’entassent dans des structures composées de caravanes empilées, que Janus Kaminski éclaire comme dans Minority Report apparaît comme une anticipation particulièrement crédible de notre propre avenir, meme si il aurait sans doute pu être plus développé. Le ton du film reste léger , teinté d’une nostalgie bienveillante portée par les envolées de la partition d’Alan Silvestri qu’on croirait tirée d’un inédit des années 80.
Si ses jeunes protagonistes sont dénués de profondeur et tendent vers le stéréotype plutôt que vers la complexité – le héros est un adolescent blanc entouré de ses acolytes qui incarnent la diversité et fini par séduire la fille de ses rêves à la fois forte et timide – c’est du coté des personnages secondaires qu’on trouve un peu d’incarnation. L’antagoniste Nolan Sorrento (Ben Mendelsohn) un businessman en costume cravate imperméable à l’imaginaire (on doit lui souffler des références geek dans une oreillette) motivé par la cupidité est probablement la quintessence des personnages de vilains des années 80 . Reflet de son incapacité à rêver son avatar dans l’Oasis n’est qu’une représentation de lui-même plus puissante certes mais toujours en costume cravate. Son objectif de posséder l’Oasis pour le monétiser en créant des niveaux d’abonnement fait écho au débat sur la neutralité du net. Autre personnage réussi son sbire dans l’OASIS i-R0k un des rares dont on ne voit jamais la personnalité « réelle » (sans doute parce que son interprète TJ. Miller, connait quelques ennuis avec des allégations de harcèlement) est un bon mélange entre menace et drôlerie. Les rares moments d’émotion viennent du personnage d’ Halliday incarné avec mélancolie par Mark Rylance qu’on peut voir comme l’ avatar de Spielberg dans cet univers fictionnel. Ce fabriquant de divertissement qui laisse aux jeunes générations au crépuscule de sa vie une morale simple : si les mondes virtuels et la pop-culture nourrissent notre existence rien ne remplace la réalité et les rapports humains. Le message est sans doute pas (du tout) original et un peu conservateur mais participe à l’aspect « film familial » de l’entreprise.
Une réplique du Superman de Richard Donner citée dans le film (une de mes favorites) résume assez bien les spectre des opinions qu’on peut lire sur le film : « Certaines personnes peuvent lire Guerre et Paix et en sortir en pensant que c’est une simple histoire d’aventure et d’autres peuvent lire les ingrédients sur un emballage de chewing-gum et y trouver les secrets de l’univers ». Si il est inutile de tenter de convaincre ceux qui voudront à tout prix que Ready Player One ressemble au film qu’ils ont fantasmé, pour ma part j’ai du mal à percevoir en quoi il constituerait le premier blockbuster du XXIème siècle comme le proclament certains critiques (tous nés bien avant la fin du XXé siécle). Au delà de la maîtrise derrière la caméra de « The Beard » et de la performance technique que personne ne viendrait à contester je n’y vois aucune innovation narrative ou technique qui le ferai s’inscrire dans la lignée des films qui ont durablement changé les codes du cinéma , les fameux « game changers » – films (certains signés par Spielberg). Beaucoup semblent tout aussi allergiques à l’idée qu’il puisse signer un film qui ne soit qu’ un pur divertissement – comme c’est le cas à mes yeux pour Ready Player One – que leurs aînés qui voyaient justement en Steven Spielberg un cinéaste mineur dans les années 80 parce qu’il officiait dans ce domaine.
Conclusion : Sans révolutionner le genre Ready Player One est un bon divertissement familial (vidéo)ludique, dynamique et drôle oú Spielberg retrouve la légèreté de sa période Amblin. La nostalgie y est bienveillante, le message simple. A voir sur un très grand écran avec ses enfants (mais sans popcorn).
Ma Note : B
Ready Player One de Steven Spielberg (sortie le 28/03/2018)