Le duo Mark Wahlberg – Peter Berg est en passe de devenir aussi célèbre que la paire DeNiro – Scorsese (8 films), DiCaprio-Scorsese (5 films) ou Marlène Dietrich – Josef Von Sternberg (dans un genre trééés différent on en conviendra volontiers) puisque 22 Miles marque leur quatrième collaboration (la cinquième Wonderland un film pour Netflix est déjà en tournage !) est d’une certaine façon l’expression la plus pure de leur cinéma. Libéré des contraintes qu’imposaient l’adaptation de faits réels tragiques de leurs trois collaborations précédentes Berg peut laisser libre court à son sens de l’action et la tension (on se souvient de Le Royaume ou des séquences de fusillades de Traque à Boston ) sans avoir à y injecter un propos social ou être ouvertement politique (même si 22 miles reflète leur vision de la place de l’Amérique en évitant le discours discutable de leur actionner afghan Du sang et des larmes). On est ici dans un film de pure action avec un thriller qui appartient au sous-genre inauguré par Clint Eastwood avec L’épreuve de force et qui compte parmi ses représentants le 16 Blocs de Richard Donner ou S.W.A.T. unité d’élite. On suit des héros chargés d’escorter des témoins clés sur une courte distance tout en étant la cible de forces déterminées à les tuer avant qu’ils atteignent leur but. Le témoin est ici Li Noor incarné par Iko Uwais la révélation de The Raid qui incarne à nouveau un officier de police d’un pays fictif d’Asie (qui ressemble à l’Indonésie bien que le film ait été tourné… en Colombie) déclarant être en possession d’un disque dur crypté qui révèle l’emplacement d’un isotope radioactif volé, suffisamment puissant pour, dans de mauvaises mains, anéantir les 6 plus grandes villes du monde. Tout ce qu’il demande, c’est l’asile et le passage en toute sécurité hors du pays. Pour assurer une coopération immédiate des autorités il a déclenché l’auto-destruction du disque qu’il n’arrêtera qu’une fois à bord de l’avion. C’est à James « Jimmy » Silva (Mark Wahlberg) agent d’une branche paramilitaire de la CIA de d’escorter Li Noor à travers 22 miles de territoire hostile pour atteindre un point d’extraction.
Berg a confié l’écriture du scénario sur la base de ce concept simple à la romancière Lea Carpenter auteur du roman Onze Jours un drame familial très documenté se déroulant dans le milieu des troupes d’élites américaines. Ils décident de faire des protagonistes de l’histoire des membres de la Ground Branch, une unité paramilitaire de la CIA qui intervient sur le terrain et invente pour les appuyer, une autre branche, complètement fictive celle-là, baptisée Overwatch, composée d’experts qui pilotent les opérations à distance depuis un lieu tenu secret, dotée de satellites et de drones qui guide les troupes au sol, capable de désactiver les infrastructures ou manipuler les réseaux informatiques pour les assister. Ce concept qui rappelle les œuvres de Tom Clancy se marie parfaitement avec l’action du film. Malgré la simplicité de son postulat le script de Berg et Carpenter parvient à réserver des surprises aux spectateurs mais aussi à développer de vrais personnages. Les relations entre les mères et leurs enfants sont très présentes au travers de celles du personnage d’Alice (Lauren Cohan) prise dans un divorce conflictuel avec un ex-revanchard (Peter Berg dans une apparition à la Hitchcock) qui tente de préserver à distance la relation avec sa fille alors qu’elle joue sa vie sur le terrain. Comme un clin d’œil (mais qui s’avérera crucial) Silva communique avec Bishop le leader d’Overwatch (incarné par un John Malkovich à moumoute) en utilisant les noms de codes Child (enfant) et Mother (mère). 22 Miles semble en apparence glorifier la supériorité technologique et militaire de l’Amérique mais s’y dessine pourtant en filigrane une anxiété, le sentiment de vulnérabilité d’une Amérique post-ingérence russe qui pressent qu’elle n’est plus qu’un joueur parmi d’autres d’un jeu dont elle fut jadis le maître. Un tableau des catastrophes qui l’ont frappé, de Pearl Harbor au 11 septembre trône dans les bureaux de l’ambassade et sonne comme un rappel permanent de cette vulnérabilité. De même son chauvinisme de façade est empreint de méfiance. Berg et Carpenter développent l’idée que ces soldats de l’ombre ne sont finalement que des figurines sacrifiées pour des intérêts qui les dépassent, prisonniers d’un cycle sans fin de violence qui s’étend sans cesse à de nouveaux champs de bataille. Ainsi Berg cadre dans un même plan, posée sur le moniteur d’un des membres de l’Overwatch une figurine bobblehead de Donald Trump placée à côté de celle de Barack Obama lui même au milieu des figurines des autres présidents américains morts ou vivants…
Sans la nécessité d’être respectueux de personnages réels qu’ils mettaient en scène auparavant « les deux Berg » ont pu construire un personnage sur-mesure pour Mark Wahlberg. Tirant partie de son débit mitraillette, ils bâtissent un personnage de leader, à l’opposé des héros d’action taciturnes habituels. Silva est un véritable moulin à paroles avec un avis sur tous les sujets, on découvre qu’il fut autrefois un enfant prodige hyperactif, ayant perdu toute sa famille à un jeune âge, son hyper-intelligence combinée à ses traumatismes psychologiques non résolus font de lui une personnalité maniaque quasi-bipolaire qui ne semble être à l’aise que dans les moments d’hypertension et de crise. Le tic signature de Silva, qui fait claquer une bande de caoutchouc jaune autour de son poignet pour se calmer, ne semble pas beaucoup l’aider car la colère et l’adrénaline le poussent, lui et ses collègues. Malgré son machisme turbocompressé 22 Miles est un film d’action qui prône l’égalité des chances, les femmes sont considérées comme les hommes. Lauren Cohan, (Maggie de The Walking Dead) a une réelle présence à l’écran et semble capable de faire le saut de la télévision au cinéma. Elle montre à la fois la détermination létale d’Alice aussi redoutable dans les combats à mains nues qu’avec des armes automatiques et sa culpabilité de mère absente qui voit sa vie de famille s’effondrer. Peter Berg a été très impressionné par le chef-d’œuvre indonésien de Gareth Evans, The Raid puisqu’il a fait appel à sa vedette, Iko Uwais. Son introduction dans le film est aussi nonchalante que possible, ce n’est que plus tard, lors d’une tentative d’assassinat où il doit repousser, menotté à son lit, deux assassins, dans l’une des scènes les plus inventives et brutales du film (qu’il a lui même chorégraphié) que Silva et son équipe réalisent son potentiel. Certes Berg l’a choisi pour ses capacités martiales mais il lui offre un vrai personnage plus complexe que ses apparitions dans Beyond Skyline ou Le Réveil de la force.
Dans 22 Miles comme dans ses autres films, l’influence de son mentor Michael Mann (ce dernier, pour qui il avait joué dans Collateral, lui confia la mise en scène du Royaume qu’il avait développé pour lui durant des années) est incontournable. Silva fait partie de ces figures d’autorité méticuleuses opérant selon leur propre code qu’on retrouve dans le cinéma de l’auteur du Solitaire . Comme chez Mann l’accomplissement du devoir, du « job » est au cœur du film avec une émotion toujours contenue, sauf lors de brefs échanges pour faire le deuil de camarades tombés au combat. On y retrouve la thématique de l’impossibilité pour ses ultra-professionnels de concilier la concentration extrême nécessaire à l’accomplissent de leurs missions et une vie personnelle. Non seulement par nécessité mais aussi car ils sont accros à cette vie. Ce dilemme s’incarne dans le personnage de Lauren Cohan et sa relation chaotique avec sa fille. Son rapport et ses échanges avec son mentor Silva évoquent ceux des personnages de Robert De Niro et Val Kilmer dans Heat. C’est encore du coté de Heat que Berg cherche son inspiration lors d’une scène tendue où Wahlberg et Axel (Sam Medina) le chef des assaillants se rencontrent pendant un très bref cessez-le-feu. Autre point commun avec Mann, la recherche d’authenticité, Berg fait ainsi appel à des experts en tactiques militaires dans l’élaboration de son film afin d’obtenir cette verisimilitude, cette proximité avec la vérité qui renforce l’impact de la fiction. Les comédiens font l’objet d’un entrainement qui reproduit des situations génériques comme la pénétration et la sécurisation d’une pièce afin que leurs gestes apparaissent naturels et fluides et rendent leurs réactions crédibles aux spectateurs.
Le film s’ouvre par une séquence magistrale d’infiltration d’une planque d’agents russes aux US où Peter Berg fait étalage de sa science de la tension tout en exposant clairement le lexique visuel du film qui combine moniteurs et informations avec les armes à feu. La tension transmise par l’imagerie satellite affecte les protagonistes au sol, les signes de pression artérielle sont utilisés comme outil de propulsion narrative : Berg ne relâchera ensuite jamais la pression sur le spectateur. Il réalise ici un film « sans gras », très ramassé (1h 35 générique inclus) à l’opposé de la tendance actuelle mais qu’il veut extrêmement dense ce qui le conduit à adopter une philosophie de mise en scène de l’action proche de celle de Tony Scott dans la seconde partie de sa carrière. Pour 22 miles, il fait appel au directeur de la photographie d’origine française (cocorico!) des trois premiers American Nightmare, Jacques Jouffret qu’il connait bien puisqu’il fut cadreur et opérateur steadycam sur ses précédents films mais aussi sur de nombreux films de Michael Bay (on sait depuis Battleship que Berg aime le style de Bay lui-même inspiré de Scott). Certains critiques reprochent à Berg comme il l’avaient fait à Scott de faire « trop de plans » et de surdécouper son action au point de la rendre illisible. Mais ce flux d’images à haut-débit n’est pas un bombardement aléatoire de plans. Berg poursuit à travers ce style « impressionniste » qui s’appuie sur un large choix de caméras (portées à l’épaule pour les actions au sol, montées sur des drones pour les plans aériens ainsi que des Gopros montées sur le décors ou des caméras de surveillance pour des plans additionnels) deux objectifs : d’une part communiquer au spectateur un maximum d’informations à grande vitesse, d’autre part l’immerger au cœur de l’action pour lui faire ressentir de manière viscérale le chaos, la confusion et l’extrême tension des combats. Avec cette sollicitation audiovisuelle intense 22 Miles devient aussi un test d’endurance pour son spectateur comme pour ses protagonistes qui pourra rebuter certains mais c’est sans doute la volonté de son réalisateur.
Conclusion : Avec 22 Miles techno-thriller sanglant souvent brutal on retrouve le Peter Berg du Royaume, qui cache derriere son patriotisme gonzo une réflexion plus maline qu’il n’ y paraît et offre des rôles taillés sur mesure pour Mark Wahlberg et un Iko Uwais surprenant.
Ma note : A-
22 Miles de Peter Berg (sortie le 29/08/2018)