HELLRAISER II HELLBOUND (Critique)

Hellraiser II : Les Écorchés (1988) représente une suite audacieuse et ambitieuse au révolutionnaire Hellraiser (1987), premier long-métrage réalisé par Clive Barker d’après sa propre novella The Hellbound Heart publiée en 1986. À une époque où le fantastique des années 80 était dominé par les slashers essoufflés – pensez aux suites interminables de Vendredi 13 ou à un Freddy Krueger de plus en plus caricatural , le film original avait injecté une dose de malaise viscéral avec son mélange d’horreur gothique suburbaine, d’inceste familial et de démons sado-masochistes invoqués depuis un enfer dimensionnel. Les Cénobites, ces prêtres de la douleur menés par Pinhead (Doug Bradley), n’étaient pas de simples tueurs en série mais des explorateurs extrêmes du plaisir et de la souffrance. Une suite pouvait-elle préserver cette singularité sans la diluer dans la redite commerciale ? Hellraiser II : Les Écorchés, réalisé par Tony Randel sur un scénario de Peter Atkins, répond par l’affirmative en élargissant l’univers tout en approfondissant ses thèmes psychanalytiques. C’est le type idéal de sequel : les survivants poursuivent leur calvaire tandis que de nouveaux protagonistes réitèrent, avec des variations tragiques, l’intrigue du premier opus. Le budget, modeste à 3 millions de dollars (contre 1 million pour l’original), provient toujours de New World Pictures, mais les retours critiques positifs du premier permettent plus de latitude créative. Le tournage se déroule aux Pinewood Studios en 1988, avec des effets pratiques signés Bob Keen et son équipe Image Animation, qui recyclent certains maquillages tout en innovant pour les nouvelles transformations. la nouvelle équipe créative constituée par le scénariste Peter Atkins (fan hardcore de l’univers Barkerien, qui s’inspire directement des notes de l’auteur sur les Cénobites qui les présentent comme d’anciens humains corrompus par la Lament Configuration) et le réalisateur Tony Randel qui ont succédé à Clive Barker (occupé par le tournage de Nightbreed adapté de sa nouvelle Cabal) est assez intelligente pour éviter la redite et en montre juste assez sans s’y attarder.

Le vrai méchant du film est le Dr. Philip Channard (Kenneth Cranham), un neurochirurgien qui dirige l’hôpital psychiatrique privé où Kirsty (Ashley Laurence) est institutionnalisée après les événements du premier film. Alors que tout le monde pense que son histoire est folle, Channard occultiste amateur, est en fait familier avec la Lament Configuration (le Rubik’s Cube qui sert de clé à l’Enfer dans la mythologie Hellraiser) dont il cherche à percer les secrets. Dans une scène traumatisante (raccourcie par la censure qu’on peut voir sur les éditions intégrales) il remet un scalpel à un patient psychotique, convaincu qu’il est recouvert d’asticots, qu’il l’utilise pour se mutiler jusqu’au sang, Julia (Clare Higgins) renaît alors à la manière de amant Frank (Sean Chapman) dans le premier volet écorchée (d’où le titre français) car manquant de sang pour la reconstituer entièrement. Clare Higgins excelle dans ce retour spectral, sa performance passant de la vulnérabilité à la prédation absolue. Les scènes de séduction entre Channard et une Julia écorchée vive rappellent par leur grotesque surréaliste L’Abominable Dr Phibes (1971) de Robert Fuest. autre sommet du fantastique britannique. De la même manière dont elle avait nourri son beau-frère / amant , Channard lui offre quelques uns de ses infortunés patients. On retrouve dans cette première partie les traces de la volonté initiale de Barker de faire de Julia la principale antagoniste de la série, mais la popularité inattendue du démoniaque « Cenobite » Pinhead (Doug Bradley), dont on apprend qu’il fut jadis un soldat britannique consumé par les plaisirs de la mystérieuse boite (prélude à un arc rédempteur dans le prochain film) mit fin à ces plans. Pendant ce temps, Parallèlement, Kirsty reçoit des visions de son père Larry (absent, Andrew Robinson n’ayant pas resigné) la suppliant depuis l’enfer. Kyle (William Hope, le lieutenant Gorman d’Aliens), assistant sceptique de Channard, finit par la croire. Ils s’allient à Tiffany (Imogen Boorman), adolescente muette experte en puzzles, internée pour être exploitée. Ensemble, ils ouvrent la boîte : Pinhead et les Cénobites apparaissent, mais laissent Tiffany passer – elle n’a pas « appelé » consciemment. Twist majeur : l’appel venait de Frank Cotton (Oliver Smith en caméo), qui manipule Kirsty pour la ramener à lui.

Ainsi à mi-parcours, la suite prend une direction nouvelle, plaçant tous ses personnages dans cet enfer dont les jeux de perspectives, ressemblent aux dessins d’Escher qui ornent les murs de l’hôpital de Channard. Tony Randel adopte une approche plus onirique que Barker. Les séquences terrestres privilégient un réalisme clinique – l’hôpital aux murs blancs, les néons froids – contrastant avec l’enfer, un labyrinthe expressionniste aux couloirs infinis, baigné d’une lumière bleutée irréelle. Les décors, construits en studio, évoquent Le Cabinet du Dr. Caligari (1920) avec leurs angles tordus. Randel utilise des plans séquence pour immerger le spectateur : la renaissance de Julia se déroule en temps réel, sans coupe, accentuant le malaise. La caméra glisse souvent en travelling latéral, comme si l’espace lui-même respirait. cette mise en scène transforme l’enfer en personnage à part entière, pulsatile et organique. Cette correspondance n’est pas une coïncidence: cette dimension infernale au centre duquel trône le Leviathan une incarnation du diable qui revêt une forme géométrique d’où émane une lumière noire, devient son propre asile, libérant chez lui et les autres méchants Julia et Frank, la partie pulsionnelle de leur psyché, qui ne connaît ni interdits, ni réalité, régie par la seule satisfaction immédiate et inconditionnelle de leurs besoins. Cet enfer offre une thérapie radicale à Kirsty et à Tiffany, qui doivent à la fois se confronter aux traumatismes de leurs passés et les surmonter. Hellraiser II surpasse son prédécesseur en body-horror. La mutation de Channard en Cénobite – tentacules phalliques, lames rotatives, cerveau exposé – préfigure Tetsuo (1989) de Shin’ya Tsukamoto. Cette séquence glorieusement choquante donne naissance à un nouveau gente de Cenobite – incarnation de l’orgueil médical, dotée d’une panoplie d’outils chirurgicaux et déterminée à découper ceux qui se dressent sur son chemin. Le film humanise les Cénobites : Chatterer redevient un enfant (qui n’aurait jamais du jouer avec le Rubik’s Cube infernal!) , Pinhead un soldat britannique (lors d’un flashback en noir et blanc). Cette révélation pose les bases de l’arc rédempteur de Hellraiser III (1992). Le « nouveau Channard » est un monstre tragique, convaincu de ses propres pouvoirs divins, manipulé et incapable de réaliser son statut de marionnette, à la fois métaphorique et littéral (il est suspendu à un tentacule phallique), de ses propres pulsions. Ken Cranham, un acteur shakespearien, joue le Channard humain avec beaucoup de retenue – mais une fois que son personnage a pris sa forme démoniaque, il se déchaîne dans une performance expressionniste et opératique. Dans l’excellent documentaire de deux heures consacré au film que vous trouverez dans le disque bonus du coffret, il confie son admiration pour Klaus Kinski et évoque son amitié d’alors avec Gary Oldman qui aurait voulu jouer dans un film d’horreur, le comédien pensant que son casting a poussé Oldman a jouer plus tard dans le Dracula de Coppola.

Le montage, supervisé par Richard Marden, structure le film en deux actes distincts. La première moitié, linéaire, recycle les motifs du premier (résurrection par le sang, séduction macabre) avec une efficacité chirurgicale. À mi-parcours, lors de l’entrée en enfer, le rythme explose : coupes abruptes, superpositions d’images, flashs subliminaux de traumatismes. Cette rupture narrative reflète la psyché fracturée des personnages. Le montage culmine dans la transformation de Channard : plans serrés sur les tentacules chirurgicaux s’insinuant dans la chair, ralentis gore, le tout synchronisé à la bande-son pour un effet hypnotique. Christopher Young reprend sa partition du premier film mais l’enrichit d’un orchestre complet (80 musiciens, enregistré aux Abbey Road Studios). Les chœurs gothiques, inspirés de Carl Orff, accompagnent l’entrée en enfer ; les cordes grinçantes soulignent les mutations. Des effets sonores organiques – chairs qui claquent, os qui craquent – sont mixés en Dolby Stéréo pour une immersion physique. Young, intégre des samples de cris humains pour les Cénobites. Le thème de Pinhead, avec son orgue d’église distordu, devient leitmotiv récurrent, annonçant sa future icônisation.

Hellraiser 2 : les écorchés fonctionne de fait comme deux mini-films distincts réunis. Le premier est une tentative de continuer l’histoire de Hellraiser qui prolonge le récit en en reprenant les motifs. Le deuxième film arrive et brise les règles de la cosmologie de l’original, cesse de suivre les règles narratives classiques pour basculer dans une odyssée cauchemardesque dans l’inconscient . En libérant l’univers de toute linéarité, le film finit par se montrer le digne successeur d’Hellraiser. Tony Randel crée une vision d’enfer aussi mémorable que les Cénobites eux-mêmes.

Conclusion : Loin d’être une suite paresseuse, c’est une expansion radicale qui transforme la douleur en catharsis, le gore en poésie macabre. Trente-cinq ans plus tard, il reste une référence incontournable du fantastique britannique, prouvant que l’horreur peut être aussi intellectuelle que viscérale.

Ma note : B+

Un commentaire

  1. Voilà une critique fouillée pour un film qui vaut en effet au moins autant que le précédent Hellraiser (et autrement plus intéressant que sa suite déclinante). Dans mon article, j’avais noté également un rapprochement avec « l’antre de la folie », film auquel Randell fut primitivement associé avant d’echoir dans l’escarcelle de John Carpenter. Les visions infernales ici mises en scène dévoile l’envers d’un enfer insaisissable et horriblement douloureux, le tout porté par les symphonies démoniaques de Christopher Young. Un opus majeur du cinéma d’horreur.

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