CANDYMAN (Critique)

C’est sans doute son gimmick ingénieux (prononcer cinq fois son nom dans un miroir fait apparaitre le tueur) qui a assuré au Candyman de 1992 le slasher sensuel de Bernard Rose inspiré d’une nouvelle de Clive Barker (qui eut droit à une suite signée Bill Condon  et une autre sortie en DTV en 1999)  sa postérité qui lui vaut aujourd’hui un nouveau film (avec sans doute aussi le succès du nouvel Halloween) .   Jordan Peele  assure la production et co-écrit le script de cette nouvelle version d’une des rares figures noires de l’horreur contemporaine qui peut-être considéré comme un précurseur de notre ère moderne de la « black horror » dont Peele est devenu en deux films la référence. On retrouve quelques échos stylistiques à Candyman dans son travail de  réalisateur et dans Us en particulier. Bien que son monstre soit né du racisme : un peintre noir amoureux d’une blanche, torturé (la main coupée remplacée par un crochet, le corps enduit de miel pour attirer les abeilles) puis brûlé vif avant de revenir telle une force de la nature, le film de Rose n’a pas pleinement exploité cet angle de l’histoire lui préférant  celui d’une romance sur fond de  réincarnation (la même année Coppola suivra aussi cette approche pour son adaptation de Dracula). Ce Candyman de 2021 tient pleinement la promesse de l’original, s’attaquant frontalement  aux aspects raciaux du personnage, même si il ne le fait pas toujours  aussi adroitement qu’on aurait pu le vouloir. Contrairement à l’original centré sur une protagoniste féminine blanche ce nouveau Candyman est vu presque exclusivement d’un point de vue afro-américain,  il se déroule également dans un monde largement noir, les personnages blancs servant principalement de dispositifs pour faire avancer l’intrigue – et de victimes pour certains meurtres sanglants savamment filmés. Là où l’original était réalisé par un homme blanc, cette version est dirigée par une femme noire   Nia DaCosta, jeune cinéaste de 31 ans, née à Harlem, dont c’est seulement le second film , le troisième ne sera autre que The Marvels la suite de Captain Marvel où elle retrouvera d’ailleurs  Teyonah Parris  et qui fera d’elle à 31 ans la plus jeune réalisatrice d’un film du MCU. Elle en co-écrit le scénario  avec  Jordan Peele et Win Rosenfield. Le film suit Anthony McCoy (Yahya Abdul-Mateen II), un jeune artiste noir qui emménage avec sa compagne, la directrice de galerie Brianna Cartwright, jouée avec acuité par Teyonah Parris (WandaVision) dans un appartement de luxe à  Chicago situé dans un complexe qui faisait partie autrefois des tristement célèbres cités de  Cabrini Green, lieu de chasse du tueur de l’original démolis une décennie auparavant. Artiste noir évoluant dans un univers principalement blanc, soumis à la pression des critiques et des galeristes il peine à trouver l’inspiration. Il se tourne alors vers les légendes urbaines locales en particulier celle du Candyman   que lui rapporte le mystérieux William Burke (Colman Domingo) un ancien résident de Cabrini Green qui connaît chaque détail de l’histoire du tueur. Bientôt Anthony sombre dans l’obsession et d’étranges meurtres se déroulent autour de ses œuvres.

Candyman édition 2021 poursuit deux ambitions, être un film d’épouvante efficace qui remet au gout du jour le personnage mais aussi un film qui traite ouvertement de nombreux sujets sociétaux. Le principal  problème du scénario réside la façon dont il aborde ce commentaire social et la manière dont celui-ci en prenant du temps sur l’intrigue principale en atténue l’efficacité. Trop souvent, les personnages expriment de manière explicite le point de vue des auteurs sur la gentrification et les préjugés raciaux, le manque de nuances dans l’expression de ces idées  nuit à leur efficacité. Par exemple les scènes dans le monde de l’art contemporain qui veulent fustiger ces artistes qui écartent le traumatisme noir pour en exploiter l’ esthétique sont assez maladroites. Candyman souhaite aborder d’autres thèmes comme les le traumatisme intergénérationnel ou la maladie mentale mais ne parvient pas à les développer si bien qu’à mesure que le film avance cette accumulation de thèmes, d’intrigues et de flashbacks  rendent le message du film plus  confus. Certaines intrigues – notamment celle  concernant le père de Brianna – apparaissant comme une distraction à l’intrigue principale  la descente aux enfers  d’Anthony dans le mythe de  Candyman, ses distractions diluant la puissance anxiogène  de son itinéraire plutôt que de l’enrichir. Peut-être qu’une durée supérieure aux  90 minutes du film aurait permis au film d’étoffer davantage ses idées. Bien qu’efficace  Candyman manque d’équilibre entre voyage personnel d’Anthony et la volonté d’en faire le vecteur d’un commentaire social. En revanche le scénario de DaCosta et Peele est une réussite dans la façon dont il parvient à  étendre la mythologie de Candyman qui est non seulement efficace, mais aussi horrible et poignante. Sans en révéler la tournure le film  est tout à la fois une suite et une forme de reboot  du mythe qui ouvre non la voie à une franchise Candyman renouvelée qui  fait du boogeyman au crochet l’incarnation surnaturelle du traumatisme intergénérationnel qu’engendre la violence raciste aux Etats-Unis et de la colère qu’elle génère. Le film est dédié à la mémoire de ceux qui ont été assassinés à tort par les forces de l’ordre, et cette version du Candyman  est une réponse de la fiction face à l’horreur réelle du retour à la « normale » de l’Amérique un an après les manifestations de Black Lives Matter.

L’autre réussite du film tient dans la maitrise visuelle dont fait preuve  DaCosta qui crée habilement un sentiment d’inconfort dès le début, donnant constamment l’impression que rien n’est jamais tout à fait juste.  Alors que la scène d’ouverture vous emmène dans les rues de Chicago, la caméra pointe toujours vers le haut, donnant l’impression que les gratte-ciel s’élèvent des nuages plutôt que du sol. Plutôt que d’utiliser des extraits  du premier film, DaCosta se sert pour le résumer et fournir des indices  sur le propre lien d’Anthony avec le passé de Candyman. un jeu d’ombres de marionnettes (créées par le studio de design Manual Cinema basé à Chicago). Ces figures délicates, actionnées par une main dont l’ombre reste visible, sont d’une expressivité envoûtante, elles sont également utilisées dans le générique de fin pour condenser des générations de souffrance en quelques vignettes douloureuses. Les miroirs et leurs réflexions , reflets de l’horreur,  de la société et de  nous-même sont omniprésents  dans le film (avant même le début , les logos des studios et des compagnies de production du film sont inversés comme reflétés dans un miroir). A travers ces surfaces le public et les personnages peuvent accéder à une réalité alternative. Si sa puissance s’exprime dans  le monde réel contrairement à l’original c’est dans les miroirs qu’Anthony ou  ses victimes voit apparaitre le Candyman quand ils prononcent son nom cinq fois de suite. Dacosta les utilise  constamment  pour montrer des scènes sous différents angles et points de vue. En résulte est une cinématographie magnifique – signée John Guleserian (Il était temps, Love, Simon)  à la fois belle et terrifiante lorsqu’elle est utilisée efficacement. Plusieurs meurtres ne sont vus que dans des reflets en miroir, le plus mémorable étant un bain de sang dans une salle de bain publique qui est aperçu dans le petit miroir rond  de maquillage d’une adolescente. Mais ce jeu de miroir est utilisée dans la séquence la plus terrifiante du film dénuée de la moindre goutte de sang qui se déroule dans un ascenseur. La mise en scène de  Nia DaCosta  fait délibérément référence à  l’histoire du cinéma fantastique, de nombreuses compositions d’une symétrie oppressante évoquent Stanley  Kubrick ,  quelques plans d’horreur corporelle citent La Mouche de  David Cronenberg et une poursuite à travers un tunnel sombre rappelle Le Silence des Agneaux de Jonathan Demme. La musique du  percussionniste Robert Aiki Aubrey Lowe qui a la lourde tache de succéder à Philip Glass qui avait participé au premier opus a un rôle capital dans la réussite du film. Sa partition pleine de bourdonnements et de murmures rituels , unifiés par des arrangements qui s’appuient sur l’héritage sonore du film d’horreur, semble exister à l’intérieur du monde du film et nous en transmettre  des instantanés  plutôt que de souligner chaque scène d’un effet émotionnel supplémentaire. La bande-son elle-même a été agrémentée d’enregistrements vocaux cryptés des acteurs  que Lowe a ensuite manipulés pour en faire des apparitions auditives au cours du film comme pour infuser des énergies spirituelles dans sa  musique .[ Il a invité Hildur Guðnadóttir (Joker , la série Chernobyl) qu’il a côtoyé en travaillant sur des compositions de feu Jóhann Jóhannsson à jouer du violoncelle sur son score.]  La symphonie électronique de Lowe existe à l’intérieur du monde du film et transmet d’impressionnants instantanés stéréophoniques de la réalité cinématographique de Candyman plutôt que de simplement recouvrir chaque scène comme un effet émotionnel supplémentaire.

En dehors de ses visuels les performances de ses comédiens (Abdul-Mateen, Parris et Domingo) sont l’autre atout de Candyman. Bien que les personnages eux-mêmes soient parfois peu développés, ils  leur apportent des nuances complexes, leur charisme  rendant leurs  réactions crédibles face aux  événements surnaturels jusqu’à ce que le film bascule dans le slasher. Yahya Abdul-Mateen II , vu dans Aquaman et la série Watchmen, dont la carrière explose actuellement , il sera bientôt   dans Matrix Revolutions, Ambulance (le nouveau Michael Bay) et Furiosa (la prequelle de Fury Road aux cotés d’ Anya Taylor-Joy et Chris Hemsworth) trouve ici une vitrine pour son talent. Il préserve  intelligemment  la normalité de son personnage le plus longtemps possible créant un faux sentiment de sécurité pour les spectateurs et passe de façon progressive d’artiste épanoui à paranoïaque à carrément possédé. Son jeu rappelle celui des vedettes des  classiques de l’horreur qui perdent pied avec la réalité à cause du surnaturel  mais aussi de leurs propres failles que ce soit  Mia Farrow dans Rosemary’s Baby , Jack Nicholson dans The Shining et bien sûr Virginia Madsen dans le  Candyman original. Il est accompagné dans cette descente aux enfers par une Teyonah Parris d’abord forte puis peu à peu perturbée  avant de sombrer à ses cotés elle aussi victime d’un héritage traumatique. Connu surtout pour ses rôles à la télévision  en particulier dans la série Fear the Walking Dead  Colman Domingo est excellent d’ambiguïté. A noter que des comédiens du film de Rose Vanessa Estelle Williams et bien sur Tony Todd le Candyman original font des apparitions remarquées dans le film.

Conclusion : Certes ce  nouveau Candyman n’est pas parfait, la multiplication des sujets sociétaux qu’il veut aborder affaibli son impact mais l’intelligence de sa réinvention, le talent de ses acteurs et la force de la mise en scène de Nia DaCosta en font un très bon film fantastique et une belle étape dans la renaissance de la « black horror » à laquelle nous assistons depuis Get Out.

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